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Une place sous la Coupole fédérale, combien ça coûte?

Les élus fédéraux qui se représentent mènent-ils une campagne personnelle? Combien dépensent-ils? Se financent-ils seuls ou via des dons? Nous avons posé ces questions à tous les parlementaires qui briguent un nouveau mandat cet automne. Plus de 80 d'entre eux nous ont répondu.

Pas moins de 198 parlementaires, sur les 246 membres des Chambres, souhaitent rempiler pour quatre ans supplémentaires dans la Berne fédérale. Pour la seule Suisse romande, ils sont 46 à défendre leur fauteuil ou, pour certains députés, à tenter leur chance au Conseil des Etats.

Avec nos collègues des télévisions alémaniques, tessinoises et romanches, nous les avons tous contactés. Objectif: déterminer combien coûte une place sous la Coupole fédérale, l'idée étant de s'attacher uniquement à la campagne personnelle, et en particulier à ce qui sort réellement de la poche des candidats (cf. méthodologie en encadré).

Nous avons reçu 81 réponses, dont 8 de personnes qui ne souhaitaient pas participer à l'enquête pour des raisons de respect de la sphère privée ou de temps. Les socialistes sont les plus transparents (74% de réponses chiffrées), devant les Verts et les Vert'libéraux (50%), puis les PLR et les PBD (35% et 33%). Les élus PDC et UDC ferment la marche (19%).

Voici les réponses que nous avons obtenues, canton par canton.

VALAIS

C'est en Valais que les budgets personnels des candidats représentent au mieux le coût réel d'une élection. En effet, les partis valaisans, pour la plupart, se mettent en retrait. C'est aux prétendants eux-mêmes de mener l'effort de campagne dans son intégralité: récolte des fonds, conception et mise en oeuvre de la stratégie de communication, gestion des dépenses, etc.

C'est aussi en Valais que le taux de retour à notre questionnaire est le plus faible de Suisse romande (4 sur 8). On y trouve néanmoins deux des candidats les plus transparents du pays: le PLR Philippe Nantermod et le PS Mathias Reynard. Candidats à leur réélection, également en lice pour les Etats, ces deux conseillers nationaux nous ont fourni une image très détaillée de leur budget.

Pour assurer sa réélection, Philippe Nantermod prévoit un budget conséquent: 100'000 francs environ, dont 10'000 provenant de son épargne personnelle. A cela s'ajoutent 40'000 francs pour la campagne pour les Etats, pris en charge par son parti. Mathias Reynard puisera lui aussi dans ses économies, à hauteur de 5000 à 10'000 francs. Il ne dévoile pas le montant total de son budget, mais assure que celui-ci sera bien en dessous des 100'000 francs.

Côté PDC, un seul des quatre élus qui briguent un nouveau mandat a joué le jeu de la transparence. Le Haut-Valaisan Philipp Matthias Bregy, qui vient d'entrer au National en remplacement de la conseillère fédérale Viola Amherd, va consacrer entre 50'000 et 70'000 francs pour se maintenir, dont la moitié pourrait venir de sa poche.

L'UDC Jean-Luc Addor a lui aussi pris la peine de nous répondre, mais sans communiquer de chiffres. Pour lui, le détail du financement de sa campagne relève de sa "sphère privée", argumente-t-il. L'autre démocrate du centre, Franz Ruppen, n'a pas donné suite à nos questions.

>> Les enjeux : L'hégémonie du PDC va-t-elle perdurer sur la délégation valaisanne?

>> Les explications de Loïs Siggen Lopez dans le 19h30 :

Loïs Siggen-Lopez: "Les élus romands ont eu moins de peine à participer à cet exercice de transparence"
Loïs Siggen-Lopez: "Les élus romands ont eu moins de peine à participer à cet exercice de transparence" / 19h30 / 1 min. / le 23 juin 2019

VAUD

Avec 20 élus, y compris les deux représentants aux Etats, les Vaudois disposent de la plus grosse délégation romande à Berne. Et cela va encore s'accentuer puisque le canton a droit à un siège supplémentaire au National cet automne. Pour les coûts de campagne, c'est également en terre vaudoise que les sommes en jeu sont les plus importantes, pas loin du montant maximum qui nous a été communiqué (200'000 francs pour l'UDC Hansjörg Knecht en Argovie).

Ainsi, pour conserver son siège, le sénateur PLR Olivier Français dispose d'un budget de 150'000 francs, provenant de dons d'entreprises (surtout du domaine de la construction) et de privés. Plus de la moitié de cette somme, qui s'ajoute aux montants engagés par le parti pour la campagne collective, est dévolue à l'affichage, le pilier de sa stratégie de communication. "Il est extrêmement cher de mener une campagne d'affichage dans un canton aussi vaste et aussi peuplé que le canton de Vaud", explique-t-il.

Outre Isabelle Moret, qui n'a pas répondu, les autres PLR ont indiqué mener eux aussi une campagne personnelle, avec des budgets allant de 10'000 francs à plusieurs dizaines de milliers de francs. Les candidats UDC ainsi que ceux du centre se trouvent dans la même fourchette, l'UDC Jacques Nicolet (35'000 francs, dont la moitié à sa charge) et le PDC Claude Béglé (25'000 francs issus à 100% de son épargne personnelle) étant ceux qui prévoient de dépenser le plus.

A gauche, la situation est totalement différente. Au PS et chez les Verts, les campagnes sont menées collectivement, avec l'argent récolté par le parti et les cotisations des membres. Les candidats ne paient donc rien, ou presque. Roger Nordmann confie par exemple son intention de dépenser 500 francs pour acheter des timbres. Seule exception: Ada Marra, candidate aux Etats, qui pourrait sortir au maximum 5000 francs, même si rien n'est pour l'instant budgété.

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GENÈVE

A Genève, les candidats ne doivent a priori pas se serrer la ceinture à l'approche des élections. En effet, ce n'est en général pas eux qui mènent l'effort de campagne, financièrement parlant. Tant le PS et les Verts que le PLR mènent ainsi une campagne collective au nom de leurs candidats. Le MCG laisse en revanche davantage de latitude aux prétendants. Enfin, à l'UDC, c'est silence radio.

Dans le détail, le socialiste Carlo Sommaruga annonce des dépenses nulles, tandis que sa collègue de parti Laurence Fehlmann Rielle affirme s'attendre à débourser 1000 à 2000 francs pour des frais divers, tout comme l'écologiste Lisa Mazzone.

Le libéral-radical Hugues Hiltpold, candidat aux Etats, est un peu plus "dépensier". Son budget personnel - 15'000 francs - comptabilise toutefois des frais indirects (essence, tournées, repas) qui ont souvent été omis par les politiciens sondés. L'investissement est par ailleurs proportionnel à l'enjeu. La droite genevoise souhaite en effet profiter du départ des deux sortants pour ravir à la gauche un des deux fauteuils à la Chambre haute.

Au MCG, le sortant Roger Golay entend mener une campagne personnelle à côté de celle de son parti. Son budget: environ 10'000 francs issus de ses propres économies ainsi que le produit d'éventuels dons.

Le PLR Christian Lüscher et les UDC Céline Amaudruz et Yves Nidegger n'ont quant à eux pas répondu à nos sollicitations. Croisé dans l'enceinte du Parlement, ce dernier a confié ne pas avoir répondu par "lassitude", ces questions revenant selon lui tous les quatre ans. "Je ne suis pas quelqu'un qui fait des campagnes qui coûtent de l'argent - cela se voit, cela se sait", affirme-t-il, critiquant "l'exigence de strip-tease intégral lorsqu'il n'y a rien à montrer".

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FRIBOURG

A Fribourg, on retrouve la candidate qui engage le plus d'économies dans sa campagne personnelle de toute la Suisse romande. Il s'agit de la démocrate-chrétienne Christine Bulliard-Marbach, qui prévoit de dépenser 75'000 francs pour sa réélection. Pour les autres, les sommes sont nettement moins importantes, allant de 35'000 francs pour le PLR Jacques Bourgeois (dont quelques milliers de francs d'épargne personnelle) à 0 franc pour le président du PS Christian Levrat.

Si l'on met de côté l'exception que constitue le Valais, il semble que la stratégie adoptée par les socialistes fribourgeois soit plus ouverte aux campagnes personnelles que dans les autres cantons. Valérie Piller Carrard et Ursula Schneider Schüttel comptent en effet investir respectivement 8000 et plus de 10'000 francs dans la bataille. Est-ce le reflet de l'importance du scrutin pour le PS Fribourg, qui souhaite regagner le siège perdu en 2015 au profit de l'UDC Pierre-André Page?

Sur les huit sortants qui se représentent, seul le PDC Beat Vonlanthen n'a pas donné suite à nos courriels. Quant à l'UDC Jean-François Rime, qui brigue un cinquième mandat sous la Coupole fédérale, il se borne à dire qu'il ne répondra pas, sans expliquer sa décision.

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BERNE/JURA/NEUCHÂTEL

Vu le faible nombre de candidats qui briguent un nouveau mandat, nous avons réuni les cantons de Neuchâtel et du Jura ainsi que le Jura bernois. Des cinq politiciens interrogés, seul le PDC jurassien Jean-Paul Gschwind n'a pas répondu. L'UDC bernois Manfred Bühler relève de son côté qu'il est trop tôt pour donner des chiffres.

Le constat qui ressort des trois réponses complètes que nous avons reçues est que les campagnes des partis prennent grandement le dessus sur les campagnes personnelles. Les sommes en jeu sont très modestes: 0 franc pour le popiste Denis de la Reussille, 1000 à 2000 francs pour le PLR Philippe Bauer et moins de 1500 francs pour le socialiste Pierre-Alain Fridez.

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LES AUTRES CANTONS

Comme en Suisse romande, la question du financement de la campagne des élections fédérales est extrêmement disparate en Suisse alémanique et au Tessin. On constate cependant, sans surprise, que les sommes en jeu sont les plus importantes dans les cantons les vastes et les plus peuplés, comme Berne, Argovie ou Zurich. Ainsi, la campagne personnelle la plus chère (à notre connaissance) est celle de l'UDC argovien Hansjörg Knecht, qui affirme dépenser 200'000 francs, dont la moitié provenant de ses propres économies.

Nombre de politiciens disposent d'un budget compris entre 50'000 et 80'000 francs, à l'image du vert'libéral bernois Jürg Grossen (80'000 francs, 70% issus de fonds personnels), du PLR bernois Christian Wasserfallen (54'000 francs, dont 22'000 francs de sa poche), de la socialiste argovienne Yvonne Feri (50'000 francs, dont 30'000 francs de fonds personnels) ou encore du PLR tessinois Giovanni Merlini (50'000 francs, essentiellement des fonds personnels).

>> Plus d'infos dans la version alémanique de l'enquête

A l'inverse, les montants les plus faibles se retrouvent dans les petits cantons ou, la plupart du temps, chez les candidats de gauche, qui bénéficient souvent d'une aide plus importante de leur parti. Au final, les campagnes semblent en général plus onéreuses pour les candidats alémaniques que pour leurs homologues romands.

>> Les enjeux : La course aux Etats s'annonce âpre à Zurich, en Argovie et à Schwyz

Didier Kottelat avec Loïs Siggen Lopez

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La méthodologie

L'enquête, non représentative, a été menée auprès des 198 parlementaires actuels qui briguent un nouveau mandat lors des élections fédérales du 20 octobre. Le questionnaire a été envoyé par mail lors de la première semaine de la session d'été, le mercredi 5 juin. Nous avons relancé une première fois les élus qui n'avaient pas répondu, puis effectué un deuxième rappel au terme du délai que nous avions fixé au vendredi 14 juin, en accordant un délai supplémentaire jusqu'au lundi suivant.

Au final, le taux de réponse au niveau national atteint 41%. Nous avons reçu 81 réponses, dont 8 de personnes qui ne souhaitaient pas participer à l'enquête, pour des raisons de respect de la sphère privée ou de temps. Si l'on ne considère que les politiciens de Suisse romande et du Jura bernois, le taux de réponse grimpe à 76% (35 sur 46).

Les résultats doivent être pris avec prudence. D'une part, parce que les chiffres récoltés ne sont pas toujours comparables (réponses incomplètes, frais comptabilisés différemment, etc.). D'autre part, parce que l'enquête se base sur des déclarations volontaires et que nous ne disposons d'aucun moyen pour vérifier les informations données. Enfin, parce que les campagnes sont gérées différemment dans chaque canton et dans chaque parti, ce qui permet uniquement de se faire une idée partielle du coût de l'élection.

Élections fédérales: combien investissent les candidats? Les dessous de notre enquête. #infotvpalais pic.twitter.com/4cXuq8ripJ

— Loïs Siggen Lopez (@siggenlopez) 23 juin 2019




A noter que la SSR a lancé une enquête similaire auprès des partis nationaux et des sections cantonales. Ce sondage sera publié dans quelques mois, à l'approche des élections fédérales. Il permettra de donner une image plus complète des sommes engagées dans la campagne.

Le peuple pourra voter sur la transparence

En Suisse, aucune loi n'oblige les partis et les candidats à divulguer leur financement, contrairement à ce qui existe dans de nombreux pays européens. A plusieurs reprises, le Groupe d'Etats contre la corruption (Greco) a estimé que la législation helvétique en la matière était "insuffisante". Plusieurs cantons, dont Genève et Fribourg, ont toutefois légiféré en la matière.

Au niveau fédéral, tous les efforts de réglementation ont jusqu'à présenté échoué, mais la question pourrait être réglée dans les urnes. L'initiative "Pour plus de transparence dans le financement de la vie politique", lancée par le PS, les Verts, le PBD, le PEV, le Parti pirate et Transparency International Suisse, a été déposée en octobre 2017 et pourrait être soumise au peuple l'an prochain.

Le texte exige que la Confédération édicte des prescriptions sur la publicité du financement des partis et des campagnes électorales au plan fédéral. Les particuliers et les comités qui dépensent plus de 100'000 francs pour un scrutin devraient déclarer tous les dons de plus de 10'000 francs qu'ils reçoivent. L'acceptation de dons anonymes serait interdite.