Modifié

Jugés plus dangereux et plus polluants, les SUV seront-ils bientôt bannis des routes suisses?

Après le vote de Paris contre les SUV, état des lieux dans les villes suisses sur les projets contre ces grosses voitures.
Après le vote de Paris contre les SUV, état des lieux dans les villes suisses sur les projets contre ces grosses voitures. / 19h30 / 2 min. / le 11 février 2024
La population parisienne a approuvé dimanche passé la proposition de la maire Anne Hidalgo de créer "un tarif spécifique pour le stationnement des voitures individuelles lourdes, encombrantes, polluantes". En Suisse, la place des véhicules sportifs utilitaires (SUV) fait aussi débat depuis longtemps.

Selon le projet de la Municipalité de Paris, l'utilisateur d'un véhicule thermique ou hybride rechargeable dépassant 1,6 tonne, ou deux tonnes pour un véhicule électrique, devra dès septembre payer 18 euros (16,89 francs) l'heure de stationnement dans les arrondissements centraux de la capitale et 12 euros (11,26 francs) pour les arrondissements extérieurs. Ces montants représentent une augmentation de 200% par rapport aux prix de stationnement en vigueur.

La mairie socialiste de Paris affirme que les SUV sont plus dangereux. Les accidents impliquant des véhicules de ce type sont "deux fois plus mortels pour les piétons qu'avec une voiture standard", a indiqué Anne Hidalgo dans son communiqué à l'issue du scrutin de dimanche.

La nouvelle tarification pour ces grosses voitures devrait aussi permettre un "meilleur partage de l'espace public" et de "faire baisser la pollution". En effet, le WWF France rappelle qu'un SUV pèse 200 kilos de plus qu'un véhicule standard et mesure 25 centimètres de long en plus et 10 centimètres de large.

>> Ecouter les précisions dans le 12h30 de dimanche :

Paris se prononce lors d'une votation sur la tarification des voitures de type SUV. [Hans Lucas via AFP - LAURE BOYER]Hans Lucas via AFP - LAURE BOYER
Les Parisiens sont appelés à voter sur la question des véhicules de type SUV en ville / Le 12h30 / 1 min. / le 4 février 2024

>> Lire aussi : Triplement du coût de stationnement des voitures imposantes à Paris validée par un vote populaire

Un tiers de la croissance mondiale de la demande en carburant

Selon l'Agence internationale de l'énergie, la consommation de pétrole des SUV à l’échelle mondiale représente un tiers de la croissance totale de la demande en carburant. Leur consommation a augmenté de 500'000 barils par jour, car plus une voiture est lourde, plus elle a besoin de carburant. Ils consomment en moyenne environ 20% de plus de pétrole qu’une voiture moyenne.

L'agence relève aussi que les émissions de CO2 liées à la combustion de ces grosses voitures ont augmenté de près de 70 millions de tonnes en 2022. Au total, les 330 millions de ce type de voitures en circulation aujourd'hui émettent près d'un milliard de tonnes de CO2 .

Plus la taille est importante, plus le risque d'accident est élevé

Selon une étude de l'assureur AXA Suisse en 2019, les accidents de responsabilité civile provoqués par ces gros 4x4 urbains sont "près de 10% plus nombreux que les sinistres causés par les autres voitures de tourisme".

La différence est encore plus marquée chez les gros SUV, dont le poids est compris entre 2155 et 3500 kilos, puisqu'ils sont impliqués dans 27% de sinistres en plus que les autres automobiles. Bettina Zahnd, responsable Recherche accidentologique et Prévention chez l'assureur, relève que "plus un SUV est gros et lourd, plus la fréquence des collisions est élevée".

"Une telle situation est due à la taille et au poids de ces véhicules ainsi qu’à la hauteur du centre de gravité et du pare-chocs", explique la chercheuse.

De plus graves conséquences pour les autres

L'étude démontre encore que les conséquences des sinistres impliquant des SUV sont pires pour les usagers d'autres véhicules et pour les autres usagers de la route (cyclistes, piétons...) que pour eux-mêmes.

Selon le communiqué, les chercheurs d’AXA Suisse ont organisé un crash test au cours duquel un SUV refuse la priorité à une voiture de tourisme venant de droite. "De ce fait, le SUV heurte à environ 60 km/h le flanc de la voiture de tourisme. Le break subit des dommages considérables et sa portière arrière est complètement enfoncée sous le choc. L’enfant sur la banquette arrière est touché de plein fouet (...) Sa tête et le côté latéral gauche de son corps heurtent violemment la coque du siège. Le conducteur du break heurte la portière côté conducteur, tandis que l’airbag latéral permet d’éviter de graves lésions à la tête. Pour sa part, le conducteur du SUV est, au pire, légèrement blessé."

D'autres essais ont été réalisés avec un enfant à vélo et une personne à trottinette, et le résultat est toujours le même: le conducteur du SUV s'en sort indemne, ou légèrement blessé, alors que l'autre usager de la route est gravement blessé. Dans tous les cas, le port d'une protection comme le casque réduit les dommages.

Selon une étude de l'institut Vias, institut belge pour la sécurité routière, la gravité des blessures en cas de choc est corrélée au poids du véhicule: "Pour un usager vulnérable, le risque de blessures mortelles augmente de 50% s'il est heurté par un véhicule de 1800 kilos par rapport à un véhicule de 1200 kilos." Mais il n'est pas le seul critère: l'âge du véhicule, sa vitesse, sa puissance et l'âge du conducteur et de la victime ont aussi un impact.

Une autre étude du même institut montre que lors d'un accident unilatéral, les occupants du SUV ont 24% de chances en plus de survivre que ceux d'un autre type de voiture.

Au contraire, les défenseurs des SUV assurent que ces véhicules sont particulièrement sûrs grâce à la technologie. Comme toutes les nouvelles voitures, ils disposent de systèmes d'assistance à la sécurité telle qu'une aide au freinage d'urgence.

La Suisse barre-t-elle aussi la route aux SUV?

En Suisse, vouloir interdire les SUV n'est pas une nouvelle idée, même s'ils faisaient partie des voitures les plus vendues dans le pays en 2022.

>> Lire également : Les trois voitures les plus vendues en Suisse, radiographie d'un marché en pleine transition

Les Jeunes Vert-e-s avaient déposé l'initiative "Stop Offroader" en 2008, mais ils l'avaient retirée en 2011, après la promesse d'un contre-projet du Conseil fédéral. Face à la situation stagnante, ils ont adressé en 2020 une lettre ouverte aux autorités, menaçant de lancer une nouvelle initiative.

>> Relire : Les jeunes Verts suisses relancent la fronde contre les 4X4

Plus récemment, l’ancienne conseillère nationale Isabelle Pasquier-Eichenberger (Verts/GE) a déposé une première motion le 11 mars 2021 pour demander au Conseil fédéral d’interdire l’importation de SUV et de tout-terrain neufs pesant plus de deux tonnes à vide dès 2022. Le Conseil fédéral a proposé de la rejeter le 26 mai 2021, estimant "que les mesures prises par la Confédération pour réduire la consommation de carburant doivent concerner l'ensemble des voitures de tourisme". La motion a ainsi été classée le 17 mars 2023, faute d'examen terminé du Conseil dans un délai de deux ans.

Mais la politicienne genevoise n'est pas restée sur sa défaite. Elle a déposé une seconde motion le 14 juin 2023, afin d'interdire ces véhicules dès 2025, en ajoutant, cette fois, des conditions de dérogation. Le Conseil fédéral réitère sa position: "L'avis émis à l’époque par le Conseil fédéral au sujet de la loi sur le CO2 reste valable", précise-t-il en proposant à nouveau de le rejeter le 16 août 2023. L'objet est toutefois repris le 4 décembre 2023. Le Parlement doit donc se pencher dessus.

Du côté des communes et des cantons, ils sont plusieurs à vouloir les éliminer. Le Grand Conseil de Bâle-Ville a accepté en novembre 2020 une proposition socialiste visant à échelonner les tarifs des cartes de stationnement selon la taille des véhicules.

>> Pour en savoir plus, lire : Le parking pourrait bientôt être plus cher pour les gros 4x4 à Bâle-Ville

A Lausanne, le Conseil municipal a adopté en 2022 trois résolutions pour éliminer les SUV, alors qu'à Berne, la modification de la loi sur les véhicules à visée écologique a été rejetée par 53% des votants. Elle prévoyait que les émissions de CO2 soient prises en compte dans le calcul des émoluments perçus pour les voitures de transport et de livraison, en plus de leur poids.

>> Lire aussi : Les véhicules légers et peu polluants sont désormais moins taxés dans le canton de Vaud

De son côté, le canton de Genève a déjà mis en place une imposition plus élevée pour les SUV que la moyenne nationale, selon un comparatif du TCS. Posséder un Volvo XC40 coûte actuellement 1001,25 francs dans le canton, contre 288,79 au niveau suisse. Le Grand Conseil a accepté de revoir l’imposition des véhicules dans une perspective environnementale avec la prise en compte des émissions de CO2. Pour l'instant, elle est basée sur la puissance des véhicules.

>> Pour aller plus loin, lire : L'idée d'interdire les voitures polluantes dans les centres-villes progresse

Julie Marty avec afp

Publié Modifié

De nouveaux paysages routiers

L'attrait pour les SUV a d'autres conséquences, comme celle de modifier les paysages routiers.

Par exemple, les parkings s'adaptent à la taille de ces véhicules en élargissant leurs places de stationnement. Le parking du Mont-Blanc à Genève propose 250 places XXL de 3,5 mètres de large.

Sur la route, l'Association suisse des professionnels de la route et des transports (VSS) proposait en 2018 de réviser la norme pour les largeurs de route afin de les adapter à la taille des SUV et lutter contre la hausse du nombre d'accidents.