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Des régies facturent des frais indus aux locataires

Selon l'Asloca, les régies ont toujours plus tendance à facturer des frais indus aux locataires. Les régies le contestent.
Selon l'Asloca, les régies ont toujours plus tendance à facturer des frais indus aux locataires. Les régies le contestent. / 19h30 / 2 min. / le 27 août 2023
Des personnes qui résilient leur bail de façon anticipée ou sous-louent leur logement se voient réclamer des centaines de francs. L’Asloca dénonce des pratiques qui se généralisent et qui sont illicites. Les régies contestent les faits reprochés.

Mathieu Fasel est doctorant en droit à l'Université de Lausanne. Il y a environ un an, il décide de déménager. Il résilie donc son bail et fournit trois dossiers solvables à sa régie. "L'agence m’a alors dit que je devais payer 150 francs de frais de résiliation anticipée", explique-t-il dans le 19h30 de la RTS.

Le doctorant refuse. "J'avais entendu dire que ces frais étaient illégaux et je n'entendais pas les payer." La régie lui dit alors que s'il ne paie pas, elle ne lui rend pas sa caution. "J’avais besoin de l'argent de la caution pour verser la caution de mon nouvel appartement, j'ai donc été contraint de donner les 150 francs demandés", confie-t-il.

Secrétaire général de l’Asloca Vaud, Fabrice Berney n'est pas surpris par ce récit. "Des régies qui facturent des frais indus, ce n'est pas nouveau. Mais à l'Asloca, on constate une généralisation de cette pratique. Ces frais, on le rappelle, sont déjà pris en charge par le bailleur. Ils sont donc refacturés une deuxième fois aux locataires. Cette généralisation est inquiétante", estime Fabrice Berney.

Dans le cadre de ses recherches, le Pôle Enquête de la RTS s'est procuré de nombreux baux à loyer dans lesquels figurent des frais qui interpellent. Ils ont été établis par dix régies actives dans le canton de Vaud.

Pour savoir si ces frais sont justifiés ou non, nous avons soumis nos exemples à François Bohnet, professeur à la faculté de droit de l’Université de Neuchâtel, avocat spécialiste en droit du bail, éditeur et coauteur du Commentaire du droit du bail. Son verdict : les frais en question "ne sont pas admissibles".

- Frais de résiliation anticipée -

D’après les documents en notre possession, des régies demandent entre 100 francs et 350 francs au locataire en cas de résiliation anticipée. Pour François Bohnet, ces frais sont indus. "En droit du bail, il y a des règles qu'on dit impératives. Cela signifie qu’on ne peut y déroger. Même si vous signez un contrat avec certaines conditions, c'est le droit du bail qui fait foi. Si un locataire souhaite partir de son appartement de manière anticipée, il en a le droit à certaines conditions. Si une régie lui met des frais pour cela, elle bloque les droits du locataire. Les frais ne sont donc pas admissibles", estime le professeur Bohnet.

Dans un arrêt du 9 juin 2015, le Tribunal fédéral a confirmé ce point. Il écrit qu’est "nulle toute clause prévoyant le paiement, par le locataire, d’une indemnité forfaitaire en cas de restitution anticipée".

- Frais d’ouverture de dossier -

Lors de la conclusion du bail, c'est-à-dire lorsque le locataire s’apprête à prendre possession du logement, des régies facturent des frais "d'ouverture et de constitution du dossier" qui vont de 100 francs à 200 francs selon nos documents. Là aussi, selon François Bohnet, ce n’est pas admissible. "Les frais de gérance sont compris dans le loyer versé par le locataire. On ne peut donc lui imposer de payer des frais pour cette prestation couverte par le loyer."

- Frais en cas de baisse de loyer -

Nos documents montrent qu'une régie facture 50 francs à chaque locataire qui demande et obtient une baisse de loyer "pour couvrir les frais liés aux démarches administratives qui en résultent, soit la notification du nouveau loyer sur le formulaire officiel, l’impression et l’envoi de nouveaux BVR". Pour François Bohnet, cet exemple rentre également dans la catégorie des frais qui ne sont pas admissibles. "Si vous demandez une baisse de loyer, ce qui est votre droit, notamment lorsque le taux hypothécaire diminue, on ne peut pas vous mettre des frais administratifs pour cela. Cela limiterait votre droit et vous pourriez avoir tendance à y renoncer."

- Frais liés à la convention de sortie -

L’état des lieux de sortie énumère les éventuelles remises en l’état à la charge du locataire. Selon les documents dont nous disposons, une régie demande ainsi 250 francs pour la remise en état "du mur de la chambre".  Rien de surprenant à ce stade. Mais elle réclame 20 francs de plus par ligne figurant sur l'état des lieux. Ainsi, si elle relève trois travaux à effectuer, elle majorera la facture de trois fois vingt francs, soit 60 francs en tout. Pour François Bohnet, ces frais ne sont pas justifiés. "Si la gérance se déplace et constate qu’il y a des travaux à effectuer, le locataire doit alors rendre les choses dans un état approprié. Mais on ne peut pas lui mettre des frais administratifs pour chaque ligne d’activité qu'il devrait réaliser."

- Frais pour sous-location autorisée -

Dans un document type remis à ses locataires et que nous nous sommes procuré, une régie énumère des cas où "la demande du locataire nécessite une activité supplémentaire" qui lui sera donc facturée. L'agence indique ainsi qu’en cas de "sous-location autorisée", le locataire devra débourser 200 francs de frais. François Bohnet estime que ces frais ne sont pas justifiés. "Un locataire a le droit de sous-louer son logement à certaines conditions. Lui imposer des frais pourrait bloquer ses droits."

Si certains frais ne sont donc pas admissibles, d'autres peuvent en revanche se justifier selon François Bohnet. Voici quelques exemples tirés des baux que nous avons consultés.

- Frais de rappel et de mise en demeure -

Certaines régies facturent entre 20 francs et 50 francs de frais en cas de rappel, et entre 50 francs et 100 francs en cas de mise en demeure. "Normalement, un locataire doit payer son loyer dans les temps, il n'a pas le droit de payer en retard. A mon sens, des frais sont donc justifiés, mais ils doivent être raisonnables. Ils ne devraient pas dépasser 30 francs en cas de rappel", estime François Bohnet.

- Frais pour copies de documents -

D'après nos documents, des régies demandent entre 40 francs et 50 francs pour chaque demande de copie de bail ou d'avenant par exemple. Selon François Bohnet, les frais de copie sont admissibles car ils ne sont pas compris dans le loyer, mais ils doivent être raisonnables.

- Frais de macaron parking -

Une régie demande 15 francs à chaque locataire sollicitant une attestation pour le macaron parking en zone bleue. Pour François Bohnet, ces frais sont admissibles car "ils sont proportionnés et correspondent à une prestation supplémentaire fournie par la régie".

Fabiano Citroni, Pôle Enquête RTS

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Mises en cause, des régies se justifient

Nous avons contacté les dix régies dont les noms figurent dans nos documents. Sept d’entre elles ont refusé de répondre à nos questions. Trois seulement ont accepté.

- Régie numéro 1

Cette régie facture des frais en cas de rappel (50 francs minimum) ou de résiliation anticipée (100 francs minimum). Elle a répondu à nos questions en quelques lignes par l’entremise d’un chargé de communication. "Ces frais sont contractuels et courants dans de nombreuses régies, à l’instar du secteur bancaire, par exemple", indique-t-il.

Le professeur Bohnet rappelle que "tout ce qui figure dans un contrat n’est pas forcément valable" et que c’est bel et bien le droit du bail qui fait foi.

- Régie numéro 2

Cette régie facture des frais lors de la conclusion du bail (130 francs), en cas de sous-location autorisée (200 francs) ou de restitution anticipée du logement (350 francs minimum). Au téléphone, sa directrice explique que la question des frais est "sujette à interprétation". Elle fait ainsi référence à une analyse juridique parue dans une revue spécialisée en 2014 et rédigée par l’avocat Andreas Fabjan, ancien secrétaire général de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier à Genève.

"Nous facturons des frais lorsque la demande du locataire engendre un travail administratif supplémentaire pour la régie", résume la directrice. Pour elle, une demande de sous-location nécessite l’étude du "dossier d’inscription", ce qui reviendrait presque à établir "un nouveau bail".

La régisseuse précise encore que d’autres pays facturent des frais aux locataires, notamment la France qui a un système de montant forfaitaire au mètre carré lors de l’état des lieux d’entrée.

- Régie numéro 3

Cette régie facture des frais lors de la restitution anticipée de l’appartement (200 francs). Elle a répondu à nos questions de manière détaillée par écrit via son avocat. Pour lui, "la jurisprudence et les spécialistes de l’immobilier et du droit du bail sont loin d’être unanimes" sur la question des frais.

L’avocat cite ainsi certains arrêts cantonaux, mais qui sont anciens. Il minimise également la portée de l’arrêt du Tribunal fédéral de 2015 qui exclut tout frais en cas de résiliation anticipée. "Cet arrêt signale un seul avis de doctrine dont l’auteur est (...) un avocat connu pour son activité dans le cadre de l’Asloca, ce qui n’est pas nécessairement gage d’une parfaite impartialité".

L’homme de loi estime ainsi "à ce stade et sur le principe que la facturation des frais ne contrevient pas à l'essence de la norme". Mais il ajoute que l’enquête de la RTS a attiré l’attention du régisseur qu’il représente. "Mon client m’a indiqué demander un avis de droit afin de déterminer si la jurisprudence ou la doctrine a évolué. La pratique actuelle sera le cas échéant adaptée à l’aune du résultat de cette démarche."