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Pourquoi les idées reçues sur l'alcool limitent l'efficacité de la prévention en France

Des bouteilles de vin prêtes à la dégustation lors de la foire Vinisud à Montpellier. [EPA/Keystone - Guillaume Horcajuelo]
Notre rapport à l'alcool est imbibé d'idées reçues et de lobbies: interview de Maria Melchior / Tout un monde / 9 min. / le 2 octobre 2023
Malgré ses méfaits avérés, l'alcool reste omniprésent dans la société. La prévention contre cette substance reste beaucoup plus difficile qu'avec d'autres produits, comme le tabac. Pour Maria Melchior, épidémiologiste à l'Inserm, c'est sa place culturelle, associée à un lobbying puissant, qui explique cette réalité.

"Chaque année, l'alcool est à l'origine de 40'000 décès en France. A cela s'ajoute un coût social de l'ordre de 100 milliards de francs par an." Invitée lundi de l'émission Tout un monde, Maria Melchior, épidémiologiste à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), estime que l'alcool "fait partie des principales causes de maladies évitables".

Comment expliquer que cette substance reste si populaire et que les campagnes de prévention soient aussi limitées?

Des idées reçues

Selon Maria Melchior, les milieux de la prévention doivent d'abord se battre contre des clichés et idées reçues qui ont la vie dure. Parmi ceux-ci, la croyance selon laquelle l'alcool à petite dose, notamment le vin, serait bon pour la santé.

"Il n'y aucune preuve scientifique qui démontre des bénéfices en termes de santé", rappelle pourtant Maria Melchior. Et d'ajouter: "Pourquoi est-ce que ce mythe perdure? D'abord parce qu'on est nombreux à boire de l'alcool régulièrement et à ne pas voir forcément d'effets secondaires ou néfastes. L'expérience vécue est évidemment très importante".

Comme à l'époque où l'on vendait des cigarettes en chocolat dans le commerce, on propose certains jus de pommes mousseux qui ressemblent à du champagne lors d'anniversaires d'enfants.

Maria Melchior

Dans les faits, s'il n'existe pas d'énormes risques à boire à petite dose de temps en temps, la donne change dès qu'on dépasse les 10 verres par semaine. "Il y a alors des risques de maladies cardiovasculaires, de cancers et d'autres types de pathologies chroniques qui augmentent de manière assez importante", détaille la chercheuse.

Parmi les autres mythes véhiculés, il y a aussi celui de moments festifs qui seraient quasiment impossibles sans alcool. "Faire la fête, ça veut dire boire une coupe de champagne ou un verre de vin. Il y a aussi des rites, y compris au travail, pour un pot de départ ou encore un afterwork. C'est très difficile de sortir l'alcool de ça", analyse Maria Melchior.

Un lien avec la fête qui serait d'ailleurs créé dès le plus jeune âge. "Je ne voudrais pas faire de procès en machiavélisme mais en tout cas, ce qui est certain, c'est que comme à l'époque où l'on vendait des cigarettes en chocolat dans le commerce, on propose des jus de pommes mousseux qui ressemblent à du champagne lors d'anniversaires d'enfants", illustre-t-elle.

>> Réécouter le reportage de Tout un monde sur le cas irlandais, où les bouteilles d'alcool devront désormais afficher les dangers que peuvent provoquer la consommation :

Un groupe de jeunes passe devant une publicité une célèbre bière irlandaise, à Dublin. [Keystone/AP Photo - John Cogill]Keystone/AP Photo - John Cogill
Les bouteilles d'alcool devront afficher les dangers de leur consommation en Irlande / Tout un monde / 4 min. / le 2 octobre 2023

Un secteur de l'économie et du patrimoine

Pour l'épidémiologiste, la puissance des lobbys, notamment viticoles, est réelle en France, mais elle n'explique pas tout. "Les lobbys existent, mais il y a surtout la notion que l'alcool en France est avant tout un secteur économique; c'est une partie de l'agriculture, du patrimoine. Il y a donc toute une histoire commune qui fait penser qu'on ne doit pas et ne peut pas l'abandonner", juge-t-elle.

L'idée d'un secteur économique à défendre, les pouvoirs publics français semblent l'avoir totalement intégrée. Le pays n'a par exemple jamais réussi à mettre sur pied avec le soutien du gouvernement le "Dry January", une campagne originaire de Grande-Bretagne qui consiste à inciter les gens à ne pas consommer d'alcool durant le mois de janvier.

On observe une baisse importante de la consommation occasionnelle et excessive chez les jeunes.

Maria Melchior

Une consommation en baisse mais toujours trop élevée

Malgré le manque d'efforts, la consommation moyenne d'alcool a toutefois nettement baissé en France. Il est par exemple devenu beaucoup plus rare pour les citoyens et les citoyennes de boire quotidiennement pour accompagner leurs repas.

Un changement qui s'est opéré très fortement chez les plus jeunes. "On est passé d'environ 44% de jeunes de 17 ans qui déclaraient avoir été ivres au moins une fois au cours du mois passé il y a une dizaine d'années, à 30% environ aujourd'hui", détaille Maria Melchior.

L'experte rapporte une baisse importante de la consommation occasionnelle et de la consommation excessive chez les jeunes, "une excellente nouvelle".

Néanmoins, 10% des Français continuent à avoir une consommation pouvant représenter des risques pour la santé, et près de la moitié de la population adulte à boire davantage que ce que recommande l'Organisation mondiale de la santé, soit deux verres par jour.

Propos recueillis par Eric Guevara Frey

Adaptation web: ther

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