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L'histoire mouvementée de l'Otan en 5 moments clés

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) n’est jamais parue aussi indispensable que depuis le 24 février 2022. Pourtant, il y a peu de temps encore, elle était la cible des critiques acerbes du président américain Donald Trump ou du président français Emmanuel Macron, qui la considérait "en état de mort cérébrale".

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l'organisation semble reprendre tout son sens et son élargissement s’accélère. Tantôt dissuasive, offensive, solidaire, critiquée, elle est désormais "ressuscitée".

Cette série, diffusée du 18 au 22 juillet 2022 dans les émissions Tout un monde et Forum, analyse des moments charnière de l’existence de l’Otan qui résonnent avec ce qui se passe aujourd’hui.

1949: l’Otan dissuasive

Création de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

L'Alliance atlantique voit le jour au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte général des débuts de la Guerre froide et plus spécifiquement pendant le blocus de Berlin exercé par les Soviétiques.

Cette organisation politique est mise en place par les pays regroupés au sein du Traité de l'Atlantique Nord, signé le 4 avril 1949.

Se prémunir face à la menace soviétique

Instituée dans son volet militaire à la fin de l'année 1950, l'Otan a pour vocation initiale, selon l'exposé des motifs, d'assurer la sécurité de l'Europe occidentale en instaurant un couplage fort avec les Etats-Unis, seul moyen aux yeux des Européens de se prémunir contre toute tentative expansionniste de l'Union soviétique.

Selon le mot de son premier secrétaire général, Lord Ismay, le rôle de l'Otan consiste à "garder les Russes à l'extérieur, les Américains à l'intérieur et les Allemands sous tutelle".

Aujourd’hui, cette fonction dissuasive reprend tout son sens, les frontières de l’Otan sont même le Rubicon que la Russie ne doit pas franchir.

>> L'interview par Esther Coquoz de Jenny Raflik, professeure d'histoire à l'Université de Nantes :

Histoire de l’Otan, cinq moments-clés (1-5): l’Otan dissuasive (vidéo)
Histoire de l’Otan en cinq moments (1/5): l’Otan dissuasive (vidéo) / Forum / 9 min. / le 18 juillet 2022

Les Etats-Unis et l'Otan

La création de l'Otan permet aux Etats-Unis de confirmer leur rôle de superpuissance acquis lors de la Seconde Guerre mondiale.

Avec la guerre en Ukraine, ils ont envoyé 20'000 soldats supplémentaires en Europe où les effectifs des forces américaines dépassent désormais les 100'000 membres. Elles constituent la colonne vertébrale opérationnelle de l’Alliance. Cette hégémonie a également des retombées lucratives pour l’industrie de la défense américaine.

Ces dernières années, l'organisation a pourtant connu des grâces diverses aux Etats-Unis. L'ex-président Donald Trump disait ouvertement qu'elle était obsolète et peu d'Américains savaient encore ce qu'elle représentait.

Mais la guerre en Ukraine a permis de remettre les pendules à l’heure. Aujourd’hui, plus personne ne questionne l’engagement américain aux côtés des alliés de l’Otan. Et le Congrès dépense sans compter pour soutenir militairement Kiev et renforcer les capacités militaires en Europe.

Washington, qui ne craint pas pour son hégémonie en Europe, a cependant d'autres préoccupations: en Asie, la montée en puissance de la Chine est vue comme problématique.

>> L'analyse de Jordan Davis :

La cérémonie de signature de création de l'Otan, le 4 avril 1949. [AFP]AFP
Série sur l'Otan: les Etats-Unis et l'Alliance / Tout un monde / 5 min. / le 18 juillet 2022

Les années 90: l'Otan offensive

L’impact de la guerre en Yougoslavie

La fin de la Guerre froide, en 1991, fait suite à la chute du Mur de Berlin (1989), à l'écroulement de l'URSS et à la dissolution du Pacte de Varsovie, qui était l'adversaire "naturel" de l'Alliance atlantique.

Elle pose la question du devenir de l'Otan, voire de sa disparition. Mais Américains et Européens souhaitent qu'elle demeure le pilier de la sécurité en Europe. George H. W. Bush rencontre François Mitterrand par deux fois pour tenter d'en définir un nouveau modèle de fonctionnement. Les deux présidents sont d'accord sur la nécessité de pérenniser l'Alliance et donc de la transformer en profondeur.

Le Royaume-Uni milite aussi très activement pour son maintien. Londres estime qu'elle a fait ses preuves, qu'elle permet des économies d'échelle et qu'elle évite que l'Allemagne ne se retrouve en position d'hégémonie en Europe.

L'intervention dans les Balkans

La guerre en Bosnie-Herzégovine, premier des conflits qui font suite à l'éclatement de la Yougoslavie, est le premier champ opérationnel d'intervention de l'Otan à partir de 1993.

Elle intervient ensuite, à partir de 1999, au Kosovo où stationne toujours sa force de maintien de la paix (KFOR) sous mandat de l'ONU.

Aujourd’hui, l’Otan ne veut surtout pas paraître offensive pour ne pas envenimer les choses avec la Russie. Mais ses membres livrent massivement des armes à l’Ukraine.

>> L'interview :

Histoire de l’Otan en cinq moments (2-5): l’Otan offensive, 1989-2001
Histoire de l’Otan en cinq moments (2/5): l’Otan offensive, 1989-2001 / Forum / 8 min. / le 19 juillet 2022

Le Royaume-Uni et l'Otan

Le Royaume-Uni, membre fondateur et l'un des plus grands contributeurs de l'Alliance, est aussi l’un de ses soutiens les plus forts.

Les Britanniques l'ont toujours considérée comme un élément clé de leur stratégie de défense. C'est parce que l'Otan est portée par les Etats-Unis, leur interlocuteur privilégié, et parce qu'elle permet de crédibiliser le système de défense en Europe, dont il est un acteur majeur.

Cette implication se concrétise essentiellement par le poids militaire du Royaume-Uni. C’est la plus grande puissance en Europe avec la France, il possède l’arme nucléaire et il est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

Les Britanniques font preuve aussi d’un fort activisme lorsqu’il s’agit de redéfinir l’architecture sécuritaire de l’organisation. Ils plaident par ailleurs pour un dialogue plus étroit avec des démocraties de l’Asie-pacifique, pour faire contre-poids face à la Chine. Plus récemment, le Royaume-Uni a aussi été très actif dans le soutien militaire à l’Ukraine.

>> L'analyse de Catherine Ilic :

Les Balkans sont le premier champ opérationnel de l'Otan, notamment avec la KFOR au Kosovo depuis 1999. [AFP - Eric Feferberg]AFP - Eric Feferberg
Série sur l'Otan, deuxième épisode: le Royaume-Uni / Tout un monde / 5 min. / le 19 juillet 2022

2001: l’Otan solidaire

Après les attentats du 11 septembre

Pour la première fois de son histoire, le Conseil de l'Atlantique Nord invoque l’article 5 du traité de Washington après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Celui-ci prévoit que tous les membres de l'Alliance doivent venir en aide à une membre attaqué.

C'est à ce titre que l'Otan mène depuis 2001 des opérations maritimes en Méditerranée et dans l'océan Indien.

L'échec de la campagne d'Afghanistan

Mais les Etats-Unis chapeautent aussi plusieurs opérations militaires de grande envergure en dehors du cadre de l'organisation. C'est le cas en Afghanistan à l'automne 2001. L’Otan prend finalement le relais en 2003 en assumant la tête de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), sur mandat de l'ONU.

Le retrait d'Afghanistan, en 2021, sonne l'échec de cette opération de longue haleine. Mais aujourd’hui, c’est précisément la protection de cet article 5 que viennent chercher la Finlande et la Suède en demandant leur adhésion à l'organisation.

>> L'interview :

Histoire de l’OTAN en cinq moments (3-5): l'OTAN solidaire, 2001-2015
Histoire de l’OTAN en cinq moments (3/5): l'OTAN solidaire, 2001-2015 / Forum / 8 min. / le 20 juillet 2022

La France et l'Otan

Puissance fondatrice mais par la suite critique, la France vit une relation en dents de scie avec l'Otan. Dernier exemple en date, Emmanuel Macron a mis en émoi la diplomatie internationale en 2019 avec sa déclaration sur la "mort cérébrale" de l'organisation.

Le président français dénonçait alors et notamment le rôle ambigu de la Turquie, qu'il accusait d'agir contre les intérêts des autres membres de l'Alliance.

Mais les relations avec Paris ont connu un premier coup de froid dès le début des années 1960. Sous l’impulsion du général de Gaulle, la France avait pris progressivement ses distances. La crise avait culminé avec son retrait du commandement intégré en 1966.

Pour Paris, le problème fondamental est la coexistence de deux stratégies de défense: l'axe atlantique et l'axe européen.

>> L'analyse d'Alexandre Habay :

Le général de Gaulle au sommet de l'Otan à Paris en décembre 1963. [Roger-Viollet/AFP]Roger-Viollet/AFP
Série sur l'OTAN: la France / Tout un monde / 4 min. / le 20 juillet 2022

2015-2021: l’Otan critiquée

Remise en question par les USA et la France

Depuis le début des années 2010, l'Otan doit surtout faire face à un regain de tensions en Europe même si la montée en puissance de la Russie sur la scène internationale inquiète aussi.

L'organisation est fragilisée par les critiques de Donald Trump, qui demande aux Européens de contribuer davantage à leur défense. Avant même sa prise de fonction, le futur président des Etats-Unis parle déjà d'une alliance "obsolète". Ses propos inquiètent les Européens, qui y voient une possible remise en cause de l'obligation de solidarité entre pays membres.

Alliance "en état de mort cérébrale"

Juste avant le sommet de l'Otan de 2019, le président français Emmanuel Macron juge qu'elle est en état de "mort cérébrale". Paris et Berlin obtiennent alors que soit engagée une réflexion stratégique sur l'avenir de l'organisation.

L'Otan souffre aussi des initiatives nationalistes du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui vont à l'encontre de son unité. Mais depuis l'invasion de l'Ukraine, il est désormais difficile de la critiquer: elle symbolise la résistance contre la Russie.

>> L'interview :

Histoire de l’Otan en cinq moments (4-5): l’Otan critiquée, 2015-2022
Histoire de l’Otan en cinq moments (4/5): l’Otan critiquée, 2015-2022 / Forum / 8 min. / le 21 juillet 2022

L'Allemagne et l'Otan

Le positionnement de l'Allemagne au sein de l'Otan se situe à mi-chemin entre l'élève modèle britannique et l'élève rebelle français. Accusé par les Américains de traîner les pieds sur ses dépenses militaires, Berlin a fait de gros efforts ces dernières années pour rattraper son retard.

L'Allemagne est désormais le deuxième fournisseur de troupes pour les interventions de l'Otan, derrière les Etats-Unis. Et elle aura la plus grande armée conventionnelle d'Europe, puisque Berlin a décidé de consacrer un fonds spécial de 100 milliards d'euros à la modernisation de la Bundeswehr.

Avec Barack Obama, puis surtout avec Donald Trump, les Allemands ont compris que leur allié américain pouvait leur faire faux bond et que leur sécurité ne pourrait pas être assurée par la seule Union européenne.

Historiquement, ils ont toujours conçu leur défense avec l'Otan, pilier central de leur politique de défense et de sécurité. Et c'est un consensus politique général, à l'exception du parti Der Linke (gauche radicale). Même les Verts n'ont plus vraiment de problème à partager le programme de dissuasion nucléaire de l'organisation.

>> L'analyse de Blandine Milcent :

L'Allemagne est désormais le deuxième fournisseur de troupes pour l'Otan, derrière les Etats-Unis. [DPA/Keystone - Mohssen Assanimoghaddam]DPA/Keystone - Mohssen Assanimoghaddam
Série OTAN : l’Allemagne / Tout un monde / 5 min. / le 21 juillet 2022

2022: l’Otan ressuscitée

L’effet de l’invasion russe en Ukraine

L’invasion de l’Ukraine crée un nouveau regain d’intérêt pour l’Otan, vue comme la seule organisation militaire capable de résister aux velléités russes de recréer une Grande Russie à l’image de l’ancienne URSS.

Les Occidentaux excluent d'intervenir militairement, mais imposent des sanctions de plus en plus sévères à l'encontre de Moscou. Ils sont cependant confrontés à un dilemme entre le risque d’une escalade militaire aux conséquences désastreuses et celui d’une reculade diplomatique qui discréditerait l’Otan.

Double demande d'adhésion

Parallèlement, des pays comme l’Allemagne réinvestissent massivement dans leur budget militaire alors que deux pays neutres – la Finlande et la Suède – demandent leur adhésion.

Le 28 juin 2022, la Turquie lève son veto. En échange, elle annonce avoir obtenu "la pleine coopération" de la Finlande et de la Suède contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et ses alliés. Le lendemain, le processus d'adhésion est lancé pour les deux pays nordiques.

Mais l’Alliance est aussi considérée par les Etats-Unis de Joe Biden comme une manière de contrer les volontés de puissance de la Chine, qui veut la faire sortir du strict champ européen.

>> L'interview par Esther Coquoz de la politologue Alexandra Hoop Scheffer, directrice du Think Tank German Marshall Fund à Paris :

Histoire de l’Otan en cinq moments (5-5): l’Otan ressuscitée, 2022-…
Histoire de l’Otan en cinq moments (5/5): l’Otan ressuscitée, 2022-… / Forum / 9 min. / le 22 juillet 2022

La Turquie et l'Otan

La Turquie, qui a intégré l’Otan dès 1952, a toujours été considérée, et s'est toujours considérée elle-même, comme un membre essentiel à l’Alliance. Elle l’a rejointe au début de la Guerre froide, avant tout pour se prémunir de l’influence soviétique. Et tout de suite, sa position géographique et la taille de son armée lui ont conféré un statut particulier: celui de pilier oriental de l’Otan face à l’URSS.

Mais l’appartenance turque à l’Otan est marquée notamment par le contentieux historique avec le voisin grec sur la question de Chypre et par une méfiance permanente vis-à-vis des puissances occidentales et de leurs intérêts en Turquie et dans sa région.

Avec la chute du bloc communiste, Ankara a dû repenser sa place au sein de l’Alliance atlantique et de sa région, avec l’idée très claire qu’elle ne pouvait pas faire l’économie de relations avec la Russie, le Caucase ou le Moyen-Orient.

Et le rapprochement évident avec Moscou ces dernières années a créé un malaise au sein de l’Otan, certains membres accusant la Turquie de faire le jeu de la Russie. Mais c’est aussi ce rapprochement qui lui permet aujourd’hui de jouer un rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine et de continuer à faire valoir sa position stratégique à ses alliés de l’Otan tout en refusant de se joindre aux sanctions contre la Russie.

>> L'analyse d'Anne Andlauer :

Le président turc Erdogan avec le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg à Madrid, 28.06.2022. [AP/Keystone - Bernat Armangue]AP/Keystone - Bernat Armangue
Série OTAN: la Turquie / Tout un monde / 5 min. / le 22 juillet 2022