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Parallèlement au nouveau coronavirus, le racisme anti-chinois se libère

Des travailleurs chinois portant des masques dans la station de métro de Manille, aux Philippines, le 30 janvier 2020. [Reuters - Eloisa Lopez]
Des travailleurs chinois portant des masques dans la station de métro de Manille, aux Philippines, le 30 janvier 2020. - [Reuters - Eloisa Lopez]
Alors que le nouveau coronavirus fait la Une des journaux depuis le milieu du mois de janvier, un deuxième phénomène, corrélé au premier, semble avoir pris de l'ampleur: le racisme anti-chinois, voire anti-asiatique.

L'épidémie qui touche en priorité la mégalopole de Wuhan et la province chinoise du Hubei réveille des amalgames, des clichés et des comportements racistes qui en inquiètent plus d'un, en particulier les communautés asiatiques européennes, qu'elles soient chinoises ou non.

Sur Twitter, de nombreux internautes francophones ne résidant pas en Chine simulent par exemple l'inquiétude d'avoir vu tousser "un Chinois" dans un métro, un bus ou dans la rue, avec des tons qui varient, entre l'ironie et la parole raciste.

Ces comportements problématiques ne se cantonnent néanmoins pas aux réseaux sociaux. Le lundi 27 janvier, Sam Phan, un étudiant en traduction à l'Université de Manchester, britannique mais d'origine est-asiatique, publiait un billet d'opinion dans le Guardian, où il expliquait le climat délétère imposé à sa communauté.

Dans son texte, Sam Phan raconte les remarques tendancieuses de passants qu'il a entendues dans les rues de Londres. A bord d'un train, il surprend la discussion d'un groupe où un individu conseille à ses amis "de ne pas se rendre à Chinatown" car ils ont "cette maladie".

Lors d'une autre conversation interceptée, il entend une femme se dire "terrifiée" car "son amie a travaillé avec des étudiants chinois" qui "pourraient l'avoir infectée avec le virus".

Et l'étudiant de conclure, avec une certaine lassitude: "Peut-être qu'il n'est pas venu à l'esprit de ces gens, si heureux de parler à haute voix en face de moi, que j'étais également inquiet de la situation, et qu'en tant que citoyen britannique, je n'avais pas plus de probabilités d'être contaminé qu'eux."

En France, réaction des milieux associatifs

En France, où un cinquième cas de coronavirus a été confirmé, la situation apparaît similaire. Des responsables associatifs font part de leur désarroi. Interrogé jeudi par Alexandre Habay dans La Matinale, Sacha Lin-Jung, responsable au sein de l’association des Chinois résidant en France, relève que le nombre de témoignages est en augmentation constante.

Il évoque notamment le cas d'une personne qui dit s'être fait exclure d'un train bondé par deux individus ou celui d'un père de famille qui suggère à son enfant de s'éloigner d'une personne d'origine asiatique.

Sur les réseaux sociaux est rapportée aussi l’histoire d'une employée de supermarché qui fond en larmes car des clients refusent d’être servis par une personne asiatique.

"Cela s'ajoute à d'autres clichés réducteurs qui ont abouti à une vague d'agressions sur des personnes asiatiques", ajoute Sacha Lin-Jung.

Celui-ci fait allusion aux nombreuses agressions qui ont visé par le passé des résidents chinois désignés par la rumeur comme porteurs d’argent liquide. Les amalgames sanitaires du moment s’inscrivent donc dans un climat de racisme déjà existant.

>> Réécouter l'interview de Sacha Lin-Jung réalisé par Alexandre Habay dans La Matinale :

Une passagère arrivant à l'aéroport de Paris Charles de Gaulle en provenance de Pékin. [Keystone - AP Photo/Kamil Zihnioglu]Keystone - AP Photo/Kamil Zihnioglu
#Jenesuispasunvirus, un hashtag face au racisme anti-asiatiques en France / La Matinale / 1 min. / le 30 janvier 2020

Médias et journalistes pas exempts de tout reproche

Les exemples ne se limitent néanmoins pas à des internautes lambdas ou à des badauds. Dans le milieu médiatique, plusieurs publications ont aussi été épinglées pour des propos jugés racistes à l'encontre des Asiatiques dans leur globalité.

Le journal français "Courrier Picard" a ainsi provoqué une vague de protestations quand il a présenté sa une du dimanche 26 janvier intitulée "Alerte Jaune". Dans ce numéro, l'éditorial, titré "La menace jaune?", a aussi posé son lot de problèmes. Le jour d'après, le quotidien présentait des excuses à ses lecteurs.

La une du "Courrier Picard" avec le titre "Alerte Jaune" a été jugé raciste par de nombreux internautes. Le journal a par la suite présenté ces excuses. [Courrier Picard/Twitter]
La une du "Courrier Picard" avec le titre "Alerte Jaune" a été jugé raciste par de nombreux internautes. Le journal a par la suite présenté ces excuses. [Courrier Picard/Twitter]

Le même jour, le journaliste d'investigation canadien Peter Akman de la chaîne CTV W5 a également créé la polémique en postant une photo de lui dans un salon de coiffure de Toronto, accompagné d'un employé d'origine asiatique portant un masque. Et de légender sa publication: "J'espère que tout ce que j'ai eu aujourd'hui, c'est une coupe de cheveux. #CoronaOutbreak #Coronavirustoronto"

Là encore, face à un flot de réactions négatives, le journaliste a fait marche arrière, en présentant ses excuses dans un autre tweet: "Mon tweet plus tôt dans la journée a manqué de sensibilité. Je présente mes excuses à ceux que j'ai pu offenser."

La liste n'est ici pas exhaustive et de nombreuses personnalités du monde médiatique ont été pointées du doigt pour des propos du même acabit.

Imprécisions et Fake News, un vecteur important

Si le racisme ici exprimé semble être en partie lié à une sorte de petit "vent de panique", on constate encore une fois l'influence que peuvent avoir les réseaux sociaux en termes d'imprécisions, voire de désinformation.

Lorsque l'épidémie a commencé à être médiatisée, un marché de Wuhan vendant des animaux sauvages a très vite été perçu comme étant à l'origine du coronavirus. Si cette information ne sonne désormais plus comme une évidence aux yeux des chercheurs et autres virologues, de nombreuses personnes évoquent encore sur internet "une punition divine" infligée à une population "cruelle envers les animaux" et "manquant sensiblement d'hygiène".

La vidéo d'une jeune femme chinoise, supposément à Wuhan et mangeant à l'aide de baguettes une chauve-souris entière est ainsi devenue virale sur Twitter et sur Facebook, où de nombreux commentateurs ont estimé que cette nouvelle maladie ne pouvait provenir que de là.

Problème, la vidéo partagée des milliers de fois ne provenait pas du tout de Wuhan, où la chauve-souris n'est pas dans les habitudes culinaires. Les images montraient en fait Wang Mengyun, présentatrice d'une émission pour une agence de voyage en ligne, goûter ce plat inhabituel dans les Palaos, un archipel de plusieurs centaines d'îles situé en Micronésie.

Une autre vidéo, publiée cette fois-ci le 26 janvier sur Facebook et visionnée plus de 68'000 fois, montre un marché bondé qui vend des chauve-souris, des serpents, des rats et d'autres animaux sauvages. Le commentaire accompagnant la publication affirme qu'il s'agit d'un marché de la ville de Wuhan. Les services Fact-checking de l'AFP ont depuis démenti cette information en prouvant que la vidéo provenait de l'île indonésienne des Célèbes.

Bien qu'il soit prouvé par de nombreuses études que les conditions sanitaires et alimentaires de certains marchés chinois sont inférieures aux normes classiques, des publications erronées et imprécises semblent donc bien avoir accentué les réactions racistes de nombreuses personnes. Celles-ci continuent à lier la naissance du virus à des régimes alimentaires particuliers aux populations chinoises, voire asiatiques.

Tristan Hertig

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Un racisme aussi présent en Asie

Le nouvel élan anti-chinois n'est cependant pas que le fruit d'Européens ou autres Nord-Américains.

Après le début de l'épidémie de coronavirus, des propos, des attitudes et des comportements anti-chinois ont aussi été recensés sur le continent asiatique.

Kok Xinghui, journaliste pour le quotidien hongkongais South China Morning, explique dans un article que durant les fêtes du Nouvel an chinois, de nombreux Singapouriens ironisaient sur l'origine du coronavirus, en l'attribuant à l'habitude des Chinois à "manger tout ce qui a quatre pattes sauf la table et tout ce qui vole sauf les avions".

Les blagues, teintées de racisme, se sont rapidement transformées en un appel à l'Etat d'interdire d'accès les voyageurs chinois. Une pétition en ce sens a été lancée sur change.org le 26 janvier. Trois jours plus tard, elle comptait déjà 118'858 signatures.

A Hong Kong, un restaurant a prévenu qu'il ne servirait plus les personnes parlant mandarin. Plusieurs Singapouriens d'ethnie Han (comme le 91% des Chinois continentaux) et parlant mandarin s'interrogeaient alors: "Serons-nous quand même acceptés ? "

Enfin au Japon, les autorités touristiques ont présenté leurs excuses officielles après qu'un magasin d'une ville de montagne eut affiché une pancarte prévenant "qu'aucun Chinois ne serait autorisé à entrer afin d'éviter une propagation du virus".