Publié

Des poissons sur la Lune, c'est le but d'une expérimentation prometteuse

Dicentrarchus labrax est le nom scientifique du bar européen, un poisson de mer. Ici, un spécimen dans la mer tyrrhénienne, au large de l'île d'Ischia, en Italie. [Biosphoto via AFP - Franco Banfi]
Des poissons sur la Lune, c'est le but d'une expérimentation prometteuse / Le Journal horaire / 25 sec. / le 10 octobre 2023
Les astronautes du futur pratiqueront-ils l'aquaculture sur la Lune? C'est la question à laquelle essaie de répondre une équipe de recherche française, qui vient de tester la résistance des œufs de bar aux changements de gravité.

"C'est très prometteur", annonce à l'AFP Cyrille Przybyla, chercheur en biologie marine à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), qui vient de publier un article sur le sujet dans la revue Frontiers in Space Technologies.

En 2019, le chercheur, spécialisé en aquaculture, a initié le programme Lunar Hatch (éclosion lunaire) et répondu à un appel à idées de l'Agence spatiale européenne (ESA), en vue de l'installation d'une base sur la Lune.

>> Lire aussi : Les principaux enjeux du retour sur la Lune avec la mission Artemis

"Avec le renouveau de la course vers la Lune, on se demande comment on va faire manger les gens", explique-t-il. "Aujourd'hui, toutes les nations travaillent sur les salades ou les tomates dans l'espace. Mais il va manquer des fibres importantes et des acides aminés d'origine animale pour une alimentation équilibrée."

>> Des essais avec du sol lunaire : Des essais de plantation dans de la régolithe lunaire: au 16e jour, des différences physiques évidentes sont apparues entre les plantes cultivées dans le simulant lunaire de cendres volcaniques (à gauche) et celles cultivées dans le sol lunaire (à droite). [nasa.gov - Tyler Jones/UF/IFAS]
Des essais de plantation dans de la régolithe lunaire: au 16e jour, des différences physiques évidentes sont apparues entre les plantes cultivées dans le simulant lunaire de cendres volcaniques (à gauche) et celles cultivées dans le sol lunaire (à droite). [nasa.gov - Tyler Jones/UF/IFAS]

En outre, "s'occuper d'animaux, quand on est à 360'000 kilomètres de la Terre, ça peut être un facteur psychologique important", ajoute le chercheur. Son idée est donc d'envoyer sur le satellite de la Terre un petit aquarium de dix centimètres de côté, contenant 200 œufs de poissons. Les poissons grandiraient dans un système d'aquaculture en circuit clos, alimenté par de l'eau déjà présente sur la Lune.

>> Un système aquatique biologique fermé et équilibré : Un diagramme d'un système aquatique biologique fermé et équilibré démontrant le concept d'une chaîne trophique, avec un bassin pour les grands animaux (en bas à droite), un pour les plus petits (au milieu), un pour les plantes avec des lampes et, tout en haut, un filtre à bactéries. [Université de Montpellier - Bluem & al., 2000]
Un diagramme d'un système aquatique biologique fermé et équilibré démontrant le concept d'une chaîne trophique, avec un bassin pour les grands animaux (en bas à droite), un pour les plus petits (au milieu), un pour les plantes avec des lampes et, tout en haut, un filtre à bactéries. [Université de Montpellier - Bluem & al., 2000]

"On ne connaît pas la qualité de cette eau. Quand on la connaîtra, on va pouvoir y associer un poisson", explique le biologiste. L'eau trouvée dans le système solaire a pour l'instant toujours été de l'eau salée, ce qui tend à favoriser les poissons d'eau de mer, tels que le bar, poisson-modèle pour l'aquaculture. Mais avant de bâtir le système d'aquaculture, l'équipe scientifique doit s'assurer que les poissons sont capables de faire le voyage vers la Lune.

"Effet miroir"

Dans le cadre de Lunar Hatch, programme soutenu par le Centre national d'études spatiales (CNES), ils ont déjà soumis des œufs de bar et de maigre à des vibrations équivalentes au lancement de la fusée russe Soyouz, lors d'une expérience en laboratoire.

"Il y a énormément de lanceurs spatiaux. Mais on m'avait dit que Soyouz battait tous les records de vibration. Si ça passe Soyouz, ça passe tout", explique Cyrille Przybyla, récemment diplômé de l'Université spatiale internationale. Le taux d'éclosion des œufs soumis aux vibrations a ainsi été équivalent à celui des œufs témoins.

La deuxième expérimentation, dont les résultats ont été publiés lundi, a consisté à soumettre les œufs de bar à une hypergravité pendant dix minutes, semblable à une accélération de fusée, puis à une période d'apesanteur de 39 heures, simulant un voyage vers la Lune.

Au terme de cette expérience, menée à l'Université de Lorraine, à Nancy, la proportion des œufs qui ont éclos a été la même que celle des œufs témoins restés à la gravité terrestre. Les embryons de poissons n'ont en outre pas montré de signes de stress, après une éclosion en apesanteur.

"La microgravité et l'hypergravité, c'étaient deux points sensibles", pointe le chercheur. La prochaine étape, d'ores et déjà en cours d'expérimentation, vise à tester l'effet du rayonnement cosmique sur des centaines d'œufs de bar fécondés, en les soumettant à des flux de protons et de neutrons dans l'accélérateur de particules de l'IRSN à Cadarache (Bouches-du-Rhône).

"L'avantage de l'organisme aquatique, c'est qu'il est dans l'eau. Et l'eau, c'est un bouclier contre plein de particules", explique Cyrille Przybyla. Avant une éventuelle application sur la Lune, ces recherches pourront avoir un intérêt sur Terre, pour élaborer des systèmes de production de poissons sans impact sur l'environnement.

"Il y a un effet miroir entre ce qu'on veut faire sur la Lune et sur Terre", décrit le chercheur. "Sur la Lune, on veut recycler toutes les molécules car c'est un corps mort et que toute molécule est importante à recycler. Sur Terre, on veut plutôt sauvegarder la richesse de l'environnement."

>> Lire aussi le Grand Format : Le fantasme de la Lune

afp/sjaq

Publié