Le fantasme de la Lune

Grand Format

Introduction

"On a marché sur la Lune", c'était le 21 juillet 1969. Il y a 50 ans, les premiers hommes ont mis le pied sur la Lune. Un jour, ou plutôt une nuit d'apothéose qui a couronné des années de prouesses technologiques, politiques et morales. Course à l'exploit, concurrence, science-fiction, l'avant et l'après de cette conquête de la Lune, en vidéo et en audio dans ce long format web.

Episode 1
Neil Armstrong pose sa botte sur le sol lunaire

"C'est un petit pas pour un homme, mais un bond de géant pour l'humanité". Il est trois heures du matin en Suisse, le lundi 21 juillet 1969. L'américain Neil Armstrong vient de prononcer l'une des plus grandes phrases de l'histoire humaine. De l'histoire du monde, puisqu'il s'exprime depuis la Lune tant convoitée.

>> Revivez l'événement tel que diffusé en direct à la télévision :

Les premiers pas du cosmonaute Neils Amstrong sur la Lune.
Divers - Publié le 21 juillet 1969

Astrophysicien à l'Université de Berne, Willy Benz a 14 ans cette nuit-là. Comme beaucoup, il suit l'événement avec une assidue fascination. "C'était fantastique. La science-fiction devient réalité. On avait l'impression de participer à l'Histoire, de changer d'époque."

Quelques minutes avant ces premiers pas historiques, le module Eagle de la mission Apollo 11 s'est donc posé sur la Lune, en pleine mer de la Tranquillité. Deux astronautes, Neil Armstrong et Buzz Aldrin, foulent le sol lunaire. Le troisième, Michael Collins, reste en orbite.

>> Retour sur le voyage d'Apollo 11 dans le 19h30 :

Il y a 50 ans, la mission Apollo 11 a décroché la Lune. Un exploit qui couronne des années de prouesses technologiques.
19h30 - Publié le 17 juillet 2019

C'est l'aboutissement d'une compétition féroce entre deux superpuissances, les Etats-Unis et l'Union soviétique, jusque-là en tête de cette folle course contre-la-montre. Les Américains font la différence in extremis. Le discours du président Kennedy, sept ans plus tôt, s'est avéré décisif. "Les yeux du monde sont dorénavant tournés vers l'espace, vers la Lune et les planètes au-delà, et nous avons fait voeu de ne pas voir cet espace gouverné par l'étendard hostile de la conquête, mais par la bannière de la liberté et de la paix. (...) Les vœux de cette nation ne peuvent être accomplis que si nous sommes premiers et, par conséquent, nous avons bien l'intention de l'être."

>> Cliquez ici si vous souhaitez lire l'intégralité du discours traduit en français

Par ces déclarations à Houston, le 12 septembre 1962, John Fitzgerald Kennedy place la conquête spatiale comme une priorité pour le pays. "Le programme Apollo a coûté l'équivalent de 125 milliards de dollars, raconte Willy Benz. Il y avait 400'000 employés. 20'000 industries ou universités ont participé à ce programme. Les Etats-unis ont mis les moyens et ils y sont arrivés."

Thierry Courvoisier, professeur honoraire d'astrophysique à l'Université de Genève, décrypte le discours fondateur de JFK: "Il y met quelques éléments scientifiques et technologiques ainsi qu'un peu d'idéal pacifiste. En disant que le USA doivent être les premiers, il y a des éléments d'hégémonie américaine. Ce que sous-tend ce discours, c'est que les États-unis veulent façonner le monde comme ils l'entendent."

Aller sur la Lune, pas parce que c'est facile, mais justement parce que c'est difficile

John F. Kennedy, président des Etats-Unis, le 12 septembre 1962 à Houston (TX)

Pour Willy Benz, ce qu'il y a d'extraordinaire dans cette aventure, “c'est que ça a fonctionné du premier coup! Avec l'électronique et l'informatique de l'époque, ils ont réussi à aller sur la Lune. C'est incroyable. Il y avait plein de petits boutons que l'on actionnait manuellement. Ça n'a rien à voir avec le spatial d'aujourd'hui."

"Les astronautes de l'époque étaient un peu des kamikazes. On les attachait dans des boîtes de conserve. Ils étaient assis au sommet d'une fusée, sur des tonnes d'explosifs."

"Quand on voit la toute petite capsule sur cet immense tube rempli de carburant, on se dit qu'on est à la limite de ce qu'on peut faire, surenchérit Thierry Courvoisier. Il y a aussi un aspect d'organisation du travail très bien géré par la NASA."

Un souvenir impressionnant aussi pour John Diethelm, qui était en 1969 employé de la firme horlogère Omega. A l'époque, la NASA a testé la résistance de montres dans le but d'en envoyer une au poignet des astronautes d'Apollo 11. La gagnante fut la Speedmaster suisse, surnommée désormais la Moonwatch.

"Mais chez Omega, les employés n'en savaient rien avant le jour J", se souvient John Diethelm. "Puis, mystérieusement, nous avons appris que la NASA avait fait des essais et nous nous sommes empressés de demander les résultats. Ils nous ont surpris, nous n'avions jamais pensé qu'une montre pourrait résister à tout cela", raconte-t-il fièrement dans le 19h30.

>> Regardez les témoignages de Suisses recueillis par le 19h30 :

L'homme sur la Lune vu de Suisse: souvenirs, fierté et révélation
L'actu en vidéo - Publié le 17 juillet 2019

En 1969, c'est le 16 juillet que le voyage concret commence, dans un suspense insoutenable. Le lanceur Saturn 5, pesant plus de 3000 tonnes, décolle de Cap Canaveral. Près d'un million de personnes assistent à l'événement.

Après un trajet de trois jours, le vaisseau Apollo se place en orbite autour de la Lune. Au bout de 13 tours, le vaisseau Apollo se scinde en deux. Armstrong et Aldrin entament leur descente vers le sol lunaire.

L'Aigle se pose. L'Histoire se fige. Armstrong lit le texte à haute voix: "Ici des hommes de la planète Terre ont pris pied pour la première fois sur la Lune, juillet 1969 apr. J.-C. Nous sommes venus dans un esprit pacifique au nom de toute l'humanité."

Les astronautes sont restés 21 heures et 36 minutes sur la Lune. Le retour sur Terre dure 2 jours et demi. Le 24 juillet, la capsule Apollo 11 amerrit dans l'océan Pacifique.

>> Ecoutez l'épisode diffusé dans la Matinale :

Aldrin sort du module lunaire [Nasa]Nasa
La Matinale - Publié le 15 juillet 2019

Mais a-t-on vraiment posé le pied sur la Lune? Un drapeau qui flotte alors qu'il n'y a pas d'atmosphère, des images trop belles pour être vraies, un éclairage suspect, l'absence de cratère sous le module lunaire, pas d'étoiles dans le ciel… autant d'arguments mis en avant par les complotistes pour nier l'alunissage de la nuit du 20 au 21 juillet 1969.

Si ces arguments ont tous été scientifiquement démontés, rien n'y fait: 11% des Suisses croient que les astronautes n'ont jamais marché sur la Lune, selon un sondage Sotomo en 2018.

>> Ecoutez le sujet de Médialogues avec les interviews du professeur Thierry Herman et du mathématicien et économiste Alain Schaerlig :

L'astronaute Edwin Eugene Aldrin sur la Lune à côté du drapeau américain lors de la mission Apollo XI le 20 juillet 1969. [Collection Roger-Viollet / AFP]Collection Roger-Viollet / AFP
Médialogues - Publié le 13 juillet 2019

>> Voir aussi les explications de  Chloé Carrière, présidente de l’association Space at your Service et étudiante en physique à l’ Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL):

Episode 2
Les questions sans réponses des scientifiques

Une belle vue et surtout... une désolation magnifique. Buzz Aldrin s'adresse à Neil Armstrong. Il est le deuxième homme à marcher sur la Lune. Ses mots "magnifique désolation" décrivent une réalité empreinte à la fois d'émerveillement et de désarroi. La Lune est belle, mais austère.

Alors, au-delà de la course à l'exploit, pourquoi ce voyage vers la Lune? Qu'est-ce qu'on va y chercher? "Le concept de la recherche de l'origine de la Lune est très vite apparu, affirme l'astrophysicien Willy Benz. Car si on comprend l'origine de la Lune, on comprend l'origine de la Terre. Dès le début, il y avait cette idée que la Terre et la Lune sont étroitement liées. Les matériaux à la surface de la Terre ne datent pas de l'époque de la formation de notre planète. La Lune, en revanche, est un astre mort où tout reste tel qu'il est. La Lune, c'est l'archive de la Terre."

Structure interne de la Terre comparée à celle de la Lune. [Luis María Benítez]
Structure interne de la Terre comparée à celle de la Lune. [Luis María Benítez]

Plusieurs théories s'affrontent à ce moment-là, pour savoir d'où vient la Lune. L'une d'elle affirme que la Lune s'est formée par l'éjection d'un morceau du manteau terrestre: "La Terre tournait sur elle-même très vite. Ça tournait tellement vite, qu'il y a un morceau qui a été éjecté et ce morceau est devenu la Lune. Une autre théorie était que la Terre et la Lune se sont formées en parallèle. On parlait également d'un astre qui se promenait et s'est fait capturer par l'attraction terrestre. La dernière théorie en date, attribue l'origine de la Lune à une collision géante entre la Terre et un objet de la taille de Mars."

Le but, en allant sur place, est donc de ramener suffisamment d'échantillons lunaires pour vérifier en détail sa composition. Des bouts de Lune pour les comparer avec le manteau de la Terre. "C'est très similaire, selon Willy Benz. Au début, on pensait même que c'était identique. Mais avec l'affinement des mesures, on arrive à montrer qu'il y a des différences. Il est peu probable que la Lune soit directement qu'un seul morceau du manteau terrestre. La théorie de l'impact d'une autre planète avec la Terre, c'est aujourd'hui la théorie qui recevrait le plus de suffrages, mais il reste encore des points d'interrogation."

Origine de la Lune - Hypothèse de l'impact géant

Et au milieu de la Lune? Qu'est-ce qu'il y a au fond? De quoi sont composées les profondeurs du satellite naturel de la Terre? "L'originalité de la Lune, c'est qu'elle a un tout petit noyau de fer. C'est très particulier. La Lune est morte, géologiquement parlant. Il y a pourtant de l'eau, sous forme de glace, car la Lune n'a pas d'atmosphère. Donc au soleil, il fait très chaud et à l'ombre, il fait très froid. Si vous trouvez un endroit à l'ombre perpétuelle, vous pouvez avoir de la glace qui serait déposée, par exemple par une comète."

Au moment du voyage sur la Lune en 1969, pas d'eau, pas de glaces supposées. L'idée d'explorer la Lune se décline sur trois axes: la science sur la Lune, la science de la Lune et la science depuis la Lune. Depuis la Lune, c'est-à-dire qu'on utilise la Lune comme plateforme pour observer l'Univers.

Aldrin déploie l'expérience de mesure du vent solaire développée à l'Université de Berne [Nasa]
Aldrin déploie l'expérience de mesure du vent solaire développée à l'Université de Berne [Nasa]

C'est là qu'entre en scène la Suisse, avec son expérience bernoise... Willy Benz travaille à l'endroit même où tout a commencé. "L'Université de Berne a eu l'énorme avantage d'avoir une expérience dans toutes les missions Apollo qui se sont posées sur la Lune (sauf la mission 17). Il s'agissait de mesurer la composition du vent solaire pour connaître la composition du Soleil, car on ne peut pas aller chercher un échantillon de Soleil, on le fait donc à distance. On a donc recueilli des atomes de la surface du Soleil sur les détecteurs bernois."

Un étendard suisse a donc été déployé sur la Lune il y a 50 ans. Et cela avant même que soit planté le drapeau américain.

>> Ecoutez l'épisode diffusé dans la Matinale :

Expérience de l'Université de Berne [Nasa]Nasa
La Matinale - Publié le 16 juillet 2019

Autre mystère, celui de l'effet réel du satellite de la Terre sur les humains et la nature. La Lune est l'objet de nombreuses croyances, régulièrement mises à mal par la science.

>> Voir le reportage du 19h30 :

La Lune n'aurait pas d'effet sur le sommeil selon des chercheurs
19h30 - Publié le 19 juillet 2019

Episode 3
Un robot sur la face cachée de la Lune

Les Américains affichent plus que jamais leur fierté nationale, une suprématie technique et scientifique. Les missions Apollo se succèdent. Il en aura cinq jusqu'en 1972. Mais la passion pour la Lune se perd. Les voyages deviennent une routine pour le grand public. La joie des débuts s'estompe.

Avec la mission Apollo 17, l'agence spatiale américaine, la NASA, conclut le projet lancé en 1961 par le président Kennedy. Depuis, plus personne n'est retourné sur la Lune. "Il est arrivé un moment où la pression économique était trop forte, selon l'astrophysicien Willy Benz. Il y avait également un besoin de faire autre chose. Ces missions Apollo ont positionné la NASA comme une agence phare dans la conquête spatiale. Elle a ainsi pu mener un grand nombre de programmes scientifiques."

Pour Thierry Courvoisier, professeur honoraire d'astrophysique à l'Université de Genève, l'intérêt scientifique d'aller sur la Lune n'est pas gigantesque. "De plus, les gens étaient prêts à prendre d'énormes risques. Aujourd'hui, on ne prend plus ce genre de risques. On ne peut pas se permettre de voir des gens mourir en direct à la télévision."

Mais en janvier de cette année 2019, une nouvelle fait le tour du monde. Un engin spatial chinois s'est posé sur la face cachée de la Lune. Un petit robot y collecte des données.

Photo de la face cachée de la Lune à 360 degrés, prise par le robot chinois en 2019. [CNSA]
Photo de la face cachée de la Lune à 360 degrés, prise par le robot chinois en 2019. [CNSA]

La face cachée de la Lune, son côté sombre, qu'on ne peut pas voir depuis la Terre, l'humanité l'a pourtant déjà observée. "Il y a des orbiteurs qui ont photographié l'autre côté de la Lune, rappelle Willy Benz. Mais c'est la première fois qu'une sonde s'est posée. La difficulté réside dans le fait qu'il n'y a pas de liaison radio possible. Il faut donc un relais. De plus, le paysage de l'autre côté est plus montagneux, plus rugueux. C'est un paradis pour les radioastronomes, car il n'y a pas d'ondes parasites. C'est un endroit de rêve pour poser un radiotélescope et étudier l'Univers profond."

>> Ecoutez l'épisode diffusé dans la Matinale :

Robot chinois sur la face cachée de la Lune [CNSA]CNSA
La Matinale - Publié le 17 juillet 2019

La Lune en tant que garage de la Terre. Une base avancée avec des relais radios pour explorer l'espace, plus loin, beaucoup plus loin.

Mais les Chinois ne sont pas les seuls à viser la Lune. Un robot indien devrait se poser sur le satellite de la Terre ces prochains mois. Les Européens souhaitent y créer une base lunaire, un projet également caressé par la Russie. Quant aux Etats-Unis, ils restent les plus ambitieux.

>> Le point dans le reportage du 19h30 :

La Lune au centre d'une rivalité entre grandes puissances
L'actu en vidéo - Publié le 17 juillet 2019

"Aujourd'hui, on ne peut parler de l'espace de la même manière pour les Etats-Unis et le reste du monde", précise Isabelle Sourbes-Verger, chercheuse au CNRS. "Les Etats-Unis sont une hyperpuissance spatiale et consacrent une part faramineuse de leur budget à l'espace, de l'ordre de 40 milliards de dollars chaque année."

Suivent le budget spatial européen, avec quelque 9 milliards de dollars au total, et le budget chinois, estimé à 8 milliards. "Les Chinois ne prétendent pas du tout à une course spatiale contre les Etats-Unis", analyse la spécialiste de la géopolitique de l'espace. "La mission de cette année fait partie de leur projet spatial de long terme, mais ce n'est pas une course."

Par contre, pour le président américain, la Lune représente un argument électoral. "Ainsi, Donald Trump endosse un peu les habits de Kennedy. Il s'agit de montrer aux Américains que les Etats-Unis sont 'great again'", estime Isabelle Sourbes-Verger. "Au final, l'idée de Donald Trump est de faire croire qu'il y a une course à la Lune alors qu'il n'y en a pas."

La NASA a d'ailleurs annoncé le mois passé travailler sur l'envoi d'équipements sur la Lune dès septembre 2020. Ils permettront de préparer la prochaine mission américaine humaine prévue pour 2024, la première en un demi-siècle.

>> Regardez l'entretien avec Isabelle Sourbes-Verger :

Interview d'Isabelle Sourbes-Verger, chercheuse au CNRS
L'actu en vidéo - Publié le 11 juillet 2019

Episode 4
La reine de la science-fiction

Un an avant les premiers pas humains sur la Lune sort le film 2001 l'Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrick. La Lune est utilisée par les hommes comme avant-poste du cosmos.

Atteindre la Lune représente un fantasme qui a, de tous temps, nourrit les arts. Littérature, cinéma, bande dessinée... en 1929, La Femme sur la Lune est le dernier film muet de Fritz Lang. Il inspire les albums de Tintin : Objectif Lune et On a marché sur la Lune. Avant, Méliès réalise le Voyage dans la Lune. Plus loin encore, on trouve Cyrano de Bergerac et Jules Verne. C'est le trajet, le mystère, l'inconnu qui fascine.

>> Regardez le reportage du 19h30 sur la Lune, étalon artistique :

La Lune, étalon scientifique et artistique pour les êtres humains
L'actu en vidéo - Publié le 17 juillet 2019

"Le fantasme lunaire, c'est de sortir de la Terre mais sans aller complètement dans l'espace, estime Marc Attalah, directeur de la Maison d'Ailleurs à Yverdon. Comme une sorte de sas entre les deux mondes. C'est avant tout un lieu symbolique qui est pétri d'imaginaire, davantage que de course vers la Lune."

Dès le moment où l'homme a posé le pied sur la Lune, la donne change. Les paramètres de science-fiction s'en trouvent modifiés. On y est allé, c'est une prouesse technique, mais "il n'y a rien. Il n'y a tellement rien que tout l'imaginaire fictionnel qui avait meublé cette Lune devient incohérent. Dès les années 70, la Lune perd beaucoup de sa superbe. On présente désormais la Lune comme vide, hostile à la vie humaine. Un monde décharné. Il n'y a que la face cachée qui reste fantasmatique, car elle n'a pas été observée."

Désormais, pour que fonctionnent les rouages narratifs, il faut qu'il se passe quelque chose qui puisse titiller l'imaginaire. Avec la face cachée de la Lune, ça peut fonctionner. Exemple avec un film récent, Iron Sky, où des nazis colonisent le côté obscur.

La Lune, dans la réalité telle qu'elle est, déçoit souvent les auteurs de science-fiction. "La contrainte d'un auteur de science-fiction est qu'il doit respecter la vraisemblance. Il ne peut pas faire grand-chose avec la Lune, sauf en créant un espace de transition. On a un vieil imaginaire de la Lune, qui la présente comme le début d'une colonisation du cosmos. C'est l'histoire d'une déception, mais c'est ce qui arrive quand on cartographie le réel. Pour Kubrik, la Lune est une porte d'entrée vers le cosmos. La Lune est la métaphore d'une humanité qui progresse."

Et ces frontières du monde de la Lune, si on les élargit, elles guident l'Homme vers un nouvel objectif, la planète Mars.

>> Ecoutez l'épisode diffusé dans La Matinale :

Melies color Voyage dans la lune
La Matinale - Publié le 18 juillet 2019

Episode 5
Retour vers la Lune

Le new space. C'est dorénavant sous ce nom qu'une nouvelle économie tourne les yeux vers les étoiles. L'extraction de matières premières, la communication, le tourisme ou la recherche scientifique sont autant de nouveaux terrains de jeu pour ces sociétés privées qui espèrent arriver au pays d'Eldorado. C'est une nouvelle course à l'espace qui se joue. Notamment dans la réduction des coûts.

Toujours à l'affût d'un nouveau secteur d'innovation, le cofondateur des automobiles Tesla, Elon Musk ne s'y trompe pas. En 2002 déjà, il fonde SpaceX qui désormais construit des fusées réutilisables et des véhicules pour la NASA, lance des satellites et prévoit d'envoyer des touristes dans l'espace en 2021.

Le voyage dans l'espace selon SpaceX [SpaceX]
Le voyage dans l'espace selon SpaceX [SpaceX]

L'homme le plus riche du monde, Jeff Bezos, se lance également dans la course. Le patron d'Amazon a présenté cet année son alunisseur, nommé Blue Moon. Sa société spatiale Blue Origin, qu'il finance à hauteur d'un milliard par an, prévoit d'alunir au pôle Sud de la Lune pour trouver de l'eau et la transformer en carburant permettant de poursuivre l'exploration spatiale.

Les start-up sont légions. Avec la baisse programmée des coûts de lancement des fusées, une entreprise innovante peut désormais envoyer son nanosatellite. Et certains de ces objets traquent les astéroïdes. Car elles renferment du platine, du fer, du cuivre, du zinc, de l'or ou encore de l'eau. C'est vers l'exploitation minière que les bénéfices attendus sont les plus grands.

Le programme japonais "Hayabusa 2" a fait atterrir sur module sur l'astéroïde (162173) Ryugu. Il rapportera des échantillons sur terre entre décembre 2019 et décembre 2020. [EPA/JAXA - JAXA / HANDOUT]
Le programme japonais "Hayabusa 2" a fait atterrir sur module sur l'astéroïde (162173) Ryugu. Il rapportera des échantillons sur terre entre décembre 2019 et décembre 2020. [EPA/JAXA - JAXA / HANDOUT]

Selon les estimations, le fer contenu dans l'astéroïde (16) Psyché vaudrait à lui seul 11'000 quadrillions de francs suisses (11'000'000'000'000'000'000.-). L'astéroïde UW-158 aurait, lui, un noyau de platine de 90 millions de tonnes. De quoi bouleverser l'économie mondiale. Le problème n'est pas seulement d'aller sur ces astéroïdes, mais aussi de rapatrier le minerai. Dans ce dispositif, la Lune aurait un rôle de base arrière permettant d'accueillir et d'entreposer les matières premières. Des matériaux qui serviraient en priorité à l'exploration spatiale depuis la Lune.

Encore faudra-t-il savoir à qui appartiennent les ressources spatiales. Aujourd'hui, les Etats-Unis et le Luxembourg ont statué sur la question. Une entreprise luxembourgeoise, par exemple, doit au préalable obtenir une autorisation des autorités pour exploiter des ressources de l'espace. Car le Traité de l'espace de 1967 régit les relations entre pays et ne prévoyait pas l'arrivée d'entreprises privées sur le marché spatial.

L'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, ne peut faire l'objet d'appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d'utilisation ou d'occupation, ni par aucun autre moyen

Art. II Traité international sur l'espace de 1967

Et en Suisse?

Si la faillite de l'entreprise S3 a laissé un mauvais souvenir en Suisse romande, les start-up qui misent sur l'espace pullulent autour des hautes écoles. On compterait un millier d'entreprises en Suisse spécialisées dans le spatial. Parmi les derniers succès suisses, on trouve le satellite Cheops de l'Université de Berne, qui doit repérer une planète similaire à la Terre, ou encore les satellites de l'entreprise lausannoise Astrocast permettant de connecter des objets hors réseau terrestre.

La Suisse participe aux programmes de l'Agence spatiale européenne. Dans ce cadre, la Confédération a fixé une politique spatiale, et vise les secteurs de niche principalement autour de la haute précision et des nouvelles technologies de transmission des données.

Une colonie sur la Lune

Les acteurs historiques du spatial sont bousculés. Pour ne pas être à la traîne, la NASA a lancé en 2017 le programme Artemis, de la Lune à Mars: "Le président Donald Trump a demandé à la NASA d'accélérer ses projets de retour sur la Lune et de faire atterrir des êtres humains à la surface d'ici 2024. Nous utiliserons des technologies innovantes. Cette fois, nous allons sur la Lune pour y rester. Et ensuite, nous allons apprendre à l'utiliser". Les propos Jim Bridenstine, administrateur de la NASA, ne laissent pas de place au doute. Les USA veulent leur camp de base sur la Lune. Le pari est ambitieux, car le programme prévoit d'utiliser les ressources de la Lune pour mener les explorations lunaires. Une colonie humaine est prévue pour 2028.

L'astrophysicien Martin Elvis s'inquiète des conséquences de cette démocratisation de l'espace et d'une exploitation industrielle effrénée. Il appelle à faire de l'espace une réserve naturelle. S'exprimant dans le Guardian, l'astrophysicien craint que les premières expéditions minières lancent une véritable ruée vers l'or. "Si nous n'y pensons pas maintenant, nous irons de l'avant, comme d'habitude, et dans quelques centaines d'années, nous ferons face à une crise extrême, bien pire que celle que nous connaissons actuellement sur Terre. Une fois que vous avez exploité le système solaire, il ne reste plus nulle part où aller."

Episode 6
En route pour Mars

Fin novembre 2018. InSight s'est posée sur Mars. La sonde américaine développée par la Nasa a pour mission d'étudier la structure interne de la planète rouge. Des dizaines de sondes, orbiteurs, atterrisseurs ont été envoyés sur Mars depuis plus de 50 ans, avec plus ou moins de succès. L'URSS y pose un engin en 1971, qui ne survit que quelques secondes. Cinq ans plus tard, les Etats-Unis envoient Viking-1. Il est le premier vaisseau à transmettre une prise de vue depuis le sol de Mars.

Être le premier, aller le plus loin dans l'espace n'est pourtant pas la préoccupation première. L'intérêt pour Mars répond surtout à une autre motivation, selon Willy Benz, professeur d'astrophysique à l'Université de Berne. "C'est la question de la Vie. Mars est la planète qui se rapproche le plus de la Terre. C'est une planète qui, contrairement à la Lune, a une atmosphère. On a l'impression que c'est une planète asséchée, avec des lits de rivières et des canyons. Il devait y avoir un liquide sur la surface de Mars à l'époque."

Les chinois s'entraînent à vivre sur Mars, dans le désert de Gobi [C-Space Project - HOW HWEE YOUNG]
Les chinois s'entraînent à vivre sur Mars, dans le désert de Gobi [C-Space Project - HOW HWEE YOUNG]

La recherche de la vie sur Mars. C'est l'ambitieuse et première mission de Curiosity. Toujours en activité, le rover a atterri sur Mars en 2012 avec l'objectif de déterminer si Mars est, ou était, propre à la vie. Il y a aussi l'ambition d'y envoyer des gens depuis la Terre. Une mission spatiale habitée vers Mars, thème de science-fiction par excellence, avant la conquête réelle à proprement parler. "Tant qu'on n'y va pas, la science-fiction peut encore jouer avec cette planète, estime Marc Attalah, directeur de la maison d'Ailleurs. Si on découvre dans la réalité qu'il n'y a personne sur Mars, on ne pourra plus faire des histoires sur les martiens. La Terre est notre foyer. On fuit sur Mars. La planète représente le départ, l'abandon d'une Terre qui part en cacahouète."

Mais les vrais voyages vers Mars se préparent pour de bon. Après le débarquement de l'Homme sur la Lune en 1969, les stratégies, même privées, se déploient pour assurer une présence humaine sur la planète rouge d'ici quelques décennies. Les défis sont multiples selon Thierry Courvoisier, astrophysicien et professeur honoraire à l'Université de Genève. "Il y a des aspects psychologiques. Il n'est pas évident de passer du temps dans un lieu inconnu avec peu de ressources. Il y a des questions de rayonnement cosmique, qui créerait des dégâts. Il y a des problèmes technologiques, avec les ressources nécessaires pour se nourrir ou encore le fait d'atterrir, mais aussi de repartir. Il y a une longue liste des problèmes à résoudre."

>>Regardez le sujet du 19h30 sur la sonde InSight

La sonde InSight de la Nasa s'est posée comme sur Mars après sept ans de travaux et sept mois de voyage dans l'espace
19h30 - Publié le 27 novembre 2018

Objectif Mars. Plusieurs projets sont en développement. Pour dans 15, 20, 30 ans, rien n'est moins sûr. Une seule certitude, on ira sur Mars. "On peut envoyer des sondes, on peut envoyer des gens qui vont creuser le sol, on peut ramener des échantillons, selon Willy Benz. Il est difficile de dire qui sera le premier. Il faut un chef, un leader, une agence pour coordonner le tout et guider les énergies"

L'étonnant patron de SpaceX, Elon Musk, veut incarner ce rêve et souffler la politesse à la NASA. Il veut envoyer un équipage sur la planète Mars en 2024.

>> Ecoutez l'épisode diffusé dans La Matinale :

Le voyage dans l'espace selon SpaceX [SpaceX]SpaceX
La Matinale - Publié le 19 juillet 2019