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Idée impopulaire ou visionnaire? Les Suisses votent sur la retraite à 66 ans

Un vieil homme avec une canne traverse la rue sur un passage piéton. [Keystone - Christian Beutler]
Les Jeunes libéraux-radicaux estiment que les Suisses devraient travailler plus longtemps, puisqu'ils vivent plus longtemps. - [Keystone - Christian Beutler]
L'âge de la retraite est à nouveau au coeur d’une votation fédérale. Le peuple se prononcera le 3 mars sur une initiative populaire des Jeunes libéraux-radicaux, qui souhaitent le relever et l'indexer sur l'espérance de vie. D'autres pays ont déjà franchi le pas.

A peine plus d’une année après avoir accepté d’augmenter l'âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, les Suissesses et les Suisses se rendent aux urnes pour décider de le relever à 66 ans pour tout le monde.

Si la proposition est acceptée, la Confédération suivrait la tendance qui prévaut au sein des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE): l’âge moyen du départ à la retraite y passera progressivement à 65,8 ans pour les femmes et à 66,3 ans pour les hommes d’ici au milieu des années 2060, selon le Panorama des pensions 2023 établi par l'institution (lire en anglais).

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Pourquoi vote-t-on à nouveau sur l'âge de la retraite?

La réforme AVS 21 est entrée en force au début de cette année. Elle implique un relèvement progressif de l'âge de la retraite des femmes de 64 ans à 65 ans d'ici au 1er janvier 2028. A cette date, l'âge de référence du départ à la retraite sera le même pour les hommes et les femmes. Ce changement fait partie de la réforme de l'assurance-vieillesse et survivants (AVS), acceptée par le peuple en votation fédérale en septembre 2022.

Trois mois après son entrée en vigueur, le sujet est à nouveau à l'ordre du jour. Cette fois, le peuple est amené à se prononcer sur une initiative populaire fédérale déposée par les Jeunes libéraux-radicaux (JLRS/droite) en juillet 2021, munie de 145’000 signatures.

Le texte "pour une prévoyance vieillesse sûre et pérenne" propose d’augmenter à 66 ans l'âge de la retraite pour les femmes et les hommes de manière progressive jusqu'en 2033. Dans un second temps, l'âge de référence serait lié à l’espérance de vie, c'est-à-dire qu'il serait relevé automatiquement si l'espérance de vie augmente et vice versa.

Concrètement, il est prévu de relever l'âge de la retraite à hauteur de 80% de l’augmentation de l’espérance de vie. Cela signifie que si l’espérance de vie augmente d'un mois, l’âge de la retraite augmentera de 0,8 mois. L’idée des promoteurs et promotrices de l'initiative est de permettre aux gens de passer environ 20% de leur vie à la retraite. Selon la formule, la retraite à 67 ans interviendrait dès 2043 et celle à 69 ans en 2070.

Si les Jeunes PLR l'ont reprise à leur compte, cette solution pour résoudre le problème du financement des retraites n’est pas nouvelle. Le Parti bourgeois-démocratique (PBD) - qui a aujourd'hui fusionné avec l'ex-PDC pour donner Le Centre - l'avait déjà proposée en 2012 au travers d’une motion, qui avait été rejetée par le Parlement.

Quels seraient les effets de l’initiative sur les finances de l'AVS?

En 2022, l'assurance-vieillesse a bouclé ses comptes avec un bénéfice de 1,6 milliard de francs et une fortune de 47 milliards. Ses finances sont pour l'instant stabilisées. Cela est en partie dû aux mesures de la réforme AVS 21 acceptée en 2022 et à la Réforme fiscale et financement de l'AVS (RFFA) adoptée en 2019, qui ont permis de faire diminuer les dépenses et augmenter les recettes.

Sur le moyen terme, le financement des retraites n'est toutefois pas garanti, car la prévoyance vieillesse fait face à un problème structurel. D'une part, le nombre de personnes qui perçoivent une rente augmente plus vite que le nombre des personnes qui exercent une activité lucrative. Et de l'autre, comme l'espérance de vie est en hausse, les rentes doivent être versées pendant une durée plus longue. A l'heure actuelle, la Suisse compte environ 32 retraités pour 100 personnes en âge de travailler. Dans 30 ans, le ratio sera de 56 retraités pour 100 personnes actives, selon les chiffres de l'ONU.

Ainsi, selon les projections (lien en pdf) de l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS), l'AVS sera déficitaire à partir de 2031. Le relèvement de l'âge de la retraite à 66 ans, comme le demande l’initiative, permettrait d’économiser quelque deux milliards de francs à partir de 2033, toujours selon l'OFAS. Cela permettrait de garantir le financement des rentes jusqu'à cette date. Miser uniquement sur le relèvement de l'âge de la retraite ne suffirait toutefois pas à assurer le financement à long terme, note l'OFAS.

Quels sont les principaux arguments en faveur de l'initiative?

Pour les JLRS, le premier pilier doit être urgemment assaini durablement pour éviter la faillite du système de prévoyance vieillesse. La formation politique présente son texte comme la solution pour garantir à long terme le financement de l'AVS, sans réduire les rentes ou en ajoutant des impôts ou des taxes.

Les promotrices et promoteurs de l'initiative estiment également que lier l'âge de la retraite à l'espérance de vie permettrait de dépolitiser le dossier, en instaurant un mécanisme automatique pour adapter l'âge de référence.

Comme nous vivons plus longtemps, nous devons également travailler plus longtemps pour financer nos retraites, considèrent les JLRS. Ils soulignent que d'autres pays occidentaux ont déjà pris ce type de mesures.

Quels sont les principaux arguments contre l'initiative?

Le gouvernement rappelle que le financement des rentes est actuellement assuré pour les dix prochaines années environ. Des mesures devront certes être prises pour assurer le financement du premier pilier sur le long terme. Toutefois, le Conseil fédéral est déjà en train d'élaborer un projet de stabilisation de l'AVS pour la période de 2030 à 2040, qu'il devra remettre au Parlement en 2026.

Le problème démographique auquel est confronté le système de prévoyance vieillesse ne peut pas être résolu uniquement par un relèvement de l'âge de la retraite, considère également le Conseil fédéral. À ses yeux, d'autres mesures comprenant un financement supplémentaire doivent être prises.

La proposition de lier l'âge de la retraite à l'espérance de vie ne séduit pas non plus les autorités helvétiques. Pour le gouvernement, un tel automatisme ne tient pas suffisamment compte de la situation effective sur le marché du travail – notamment celle des seniors – ni de la situation sociale.

Enfin, un tel automatisme ne serait pas compatible avec le système politique suisse. Le fait d'inscrire l'âge de la retraite dans la Constitution fédérale priverait en effet le Conseil fédéral, le Parlement et le peuple de la marge de manœuvre indispensable pour pouvoir prendre d'autres critères en considération.

Qui est pour, qui est contre?

Le Parti libéral-radical (PLR) soutient l'initiative de sa section jeunesse, tout comme l'UDC. Les autres partis gouvernementaux s'y opposent. Le Conseil fédéral et une large majorité du Parlement recommandent également le rejet du texte. Sans surprise, les milieux économiques sont en revanche favorables à l'initiative, alors que les syndicats s'y opposent.

Quelle est la situation dans les autres pays?

Un certain nombre de pays d'Europe ont opté pour des mécanismes plus ou moins automatiques pour indexer l'âge de la retraite sur l'évolution de l'espérance de vie, selon un rapport du Département fédéral de l'intérieur (lien en pdf). La Suède, le Danemark, la Finlande, le Portugal, l'Italie, les Pays-Bas, la Grèce, la Bulgarie et l'Estonie en font partie.

Les systèmes mis en place présentent toutefois des caractéristiques différentes dans chaque pays. De plus, les expériences faites sont limitées et ne permettent pas encore d’en tirer des conclusions.

Le Portugal et l'Italie sont les seuls pays où l'âge de la retraite a réellement été relevé par un mécanisme automatique. Au Portugal, celui-ci n'a augmenté que de quelques mois et est actuellement fixé à 66 ans et quatre mois. En Italie, l'introduction de ce mécanisme a cependant ouvert la voie à un relèvement important de l'âge de la retraite: il est passé de 60 ans en 2012 à 67 ans actuellement.

>> En savoir plus : Le dossier des votations fédérales du 3 mars

Katy Romy/Swissinfo

Texte adapté pour RTSinfo par Didier Kottelat

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