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"Comme Yéniche, c’est difficile de voyager en Suisse romande"

15 MINUTES YENICHES FINAL
"Je suis né dans une caravane", entretien avec Patrick Birchler, voyageur yéniche / L'actu en vidéo / 2 min. / le 3 décembre 2021
Ils sillonnent le pays depuis des générations. Leurs caravanes sont reconnaissables de loin et il n’est pas rare de les entendre jouer de l’accordéon. Eux, ce sont les Yéniches, une communauté nomade reconnue par la Confédération. Celle-ci recommande d'ailleurs l'aménagement d'espaces pour les accueillir. Mais il manque de la place. Pourquoi? 15 Minutes a rencontré les différents acteurs de cette problématique. Reportage.

"Je suis né dans une caravane." Cette phrase résume à elle seule la vie de Patrick Birchler. Ce Vaudois de 48 ans fait partie des quelque 30'000 personnes d'origine yéniche qui vivent en Suisse. "Jusqu'à mes 7 ans, on était sur les routes. Ensuite, nous nous sommes semi-sédentarisés, pour aller à l'école", explique-t-il.

L'appel de la route est inscrit dans les gênes de Patrick Birchler, surtout au printemps: "Quand les oiseaux commencent à sortir, on est aussi tout contents de partir. On a été élevés comme cela. C'est notre vie depuis toujours, de génération en génération. Pour moi, ça ne changera pas, je mourrai comme ça je pense."

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KEYSTONE [Jean-Christophe Bott]Jean-Christophe Bott
15 minutes - Quelle place pour les Yéniches? / 15 minutes / 14 min. / le 4 décembre 2021

Mais ces voyages intermittents impliquent des périodes de stationnement. Et c'est ici que cela se complique. "C'est difficile de voyager en Romandie", regrette le Yéniche. "Quelques communes l'acceptent, mais c'est une à deux fois par année, ce qui est déjà pas mal, mais c'est insuffisant pour nous. On doit toujours mettre les gens devant le fait accompli car nous n'avons pas d'autre choix."

Sa communauté se heurte fréquemment aux réticences des autorités locales. Cette méfiance devient un véritable obstacle pour certains gens du voyage: "Il y en a beaucoup qui se sont sédentarisés pour ne plus avoir affaire aux complications vis-à-vis des communes. Je trouve ça très triste pour notre communauté."

Il ajoute: "On est des citoyens suisses depuis des générations. Je paie mes impôts, je paie mon AVS, comme tout citoyen lambda." La seule différence entre lui et la majorité de la population, insiste-t-il, c'est le voyage: "Pour moi c'est ça la vie, ce n'est pas d'être enfermé dans un cocon."

Le soutien du canton de Vaud

Conscient de la problématique, le canton de Vaud veut mettre davantage d'emplacements à disposition des gens du voyage de nationalité suisse.

Des assises se sont tenues en début de semaine, à Lausanne. Le canton vise d'une part à convaincre les communes de faire un geste, mais espère aussi les aider à mieux comprendre cette communauté nomade.

Albert Barras, porte-parole romand de la communauté yéniche. [RTS - Coraline Pauchard]
Albert Barras, porte-parole romand de la communauté yéniche. [RTS - Coraline Pauchard]

Au terme d’une matinée de discussions dans la salle du Grand Conseil, le porte-parole romand de la communauté yéniche, Albert Barras, quitte les lieux, sans attendre, visiblement agacé: "C'est toujours la même chose. Ils nous connaissent depuis des siècles, mais c'est toujours à nous de nous faire connaître. Les syndics savent tous qui nous sommes, mais ils ont peur de se mouiller pour nous."

Albert Barras a peu d'espoir concernant l'issue de ces rencontres: "Je ne sais pas si cela va vraiment servir à grand-chose. On nous dit qu’il faut faire de la sensibilisation. Cela prend un an, deux, trois ans... Et au bout de quatre ans, il n’y a toujours pas d’emplacement!"

15 communes sur 300 dotées d'aires d'accueil

Actuellement, seule une quinzaine de communes vaudoises, sur les 300, proposent des aires d'accueil. Et même si les Yéniches sont reconnus comme une "minorité nationale" et devraient donc pouvoir conserver leur mode de vie, il n'y a aucune obligation légale. Comme l'explique Béatrice Métraux, conseillère d'Etat vaudoise, cheffe du Département de l'environnement et de la sécurité et organisatrice de ces assises.

"Les communes ne peuvent pas être contraintes à offrir tel ou tel terrain à ces communautés, fussent-elles des communautés suisses et bien intégrées. Ce n'est qu'en partageant les expériences qu'on arrivera probablement à convaincre des commues d'offrir un terrain de passage ou un terrain de stationnement."

De son côté, le Conseil d'Etat a ouvert la voie à une place d'accueil cantonale, sur la commune du Mont-sur Lausanne. Elle devrait être mise à disposition dès l'année prochaine.

Un "camp en toute illégalité"

Pierre-Yves Rapaz est membre de l’Exécutif de la commune de Bex (VD). A titre personnel, cet

Pierre-Yves Rapaz (UDC-VD), membre de l’Exécutif de Bex. [Keystone - Jean-Christophe Bott]
Pierre-Yves Rapaz (UDC-VD), membre de l’Exécutif de Bex. [Keystone - Jean-Christophe Bott]

ancien député UDC garde de mauvais souvenirs des passages des Yéniches dans la localité. "Les gens ne sont pas rassurés les deux semaines où les caravanes sont là."

En 2019, leur installation sans autorisation l’a particulièrement choqué: "C’est une entrée sauvage sur une propriété privée ou communale pour construire un camp en toute illégalité."

Pierre-Yves Rapaz pointe le risque de concurrence déloyale de cette communauté: "Ces gens viennent proposer leurs services pour repeindre les volets, affûter des couteaux, tout en ne respectant pas forcément les mêmes règles que les entreprises locales."

Et de conclure: "Ils ont des droits, mais pas tous les droits."

Martine Clerc et Coraline Pauchard

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