Enlèvement de Mia, qui sont les complices en Suisse?

L’homme qui avait conduit Mia et sa mère de Bure (JU) à Estavayer-le-lac (FR) sera extradé en France. Il affiche sa proximité avec les thèses de Rémy Daillet-Wiedemann, "gourou" d’extrême droite et cerveau présumé de l’opération.

Sa compagne, qui a participé aux échanges organisationnels a été relâchée dimanche. Selon l'enquête de Mise au Point qui sera diffusée dimanche, le couple a basculé dans l'univers conspirationniste suite à la crise sanitaire.

Une mission de passeur

Au volant de sa Porsche Cayenne aux plaques fribourgeoises, Roméo, tel qu’il se fait appeler sur certaines plateformes en ligne, doit emmener Mia et sa maman vers un premier gîte sur territoire helvétique. Nous sommes le mardi 13 avril. Quelques heures auparavant, dans les Vosges, Mia a été enlevée à sa grand-mère maternelle, par un commando d’hommes qui ont remis la fille de huit ans à sa mère, à qui la justice française avait retiré la garde en janvier 2021.

Tous deux ont longuement nié leur implication, avant que 'Roméo' tente de nous faire croire à une version où il aurait fortuitement rencontré la mère et la fille au bord de la route et proposé son aide.

Roméo, qui a donc accepté de jouer les passeurs, récupère Mia et sa maman, à Bure, à deux pas de la douane franco-suisse. Il doit emmener la mère et la fille dans un gîte planifié par l’organisation. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Mauvaise adresse? Désistement des hôtes? Le trio doit se rabattre sur un plan B. Ce sera un hôtel, le B&B sur l’aire d’autoroute qui jouxte Estavayer-le-Lac. Pour Roméo, la mission s’arrête-là. Il rejoint sa compagne à leur domicile, un bel appartement, du centre-ville de Fribourg.

Auditions compliquées

Quatre jours plus tard, samedi 17 avril en début d’après-midi, la police fribourgeoise frappe à la porte du couple. "L’interpellation s’est passée tranquillement", détaille Nicolas Boschung, chef de Brigade à la police de sûreté. "En revanche, leurs auditions ont été compliquées. Tous deux ont longuement nié leur implication, avant que 'Roméo' tente de nous faire croire à une version où il aurait fortuitement rencontré la mère et la fille au bord de la route et proposé son aide."

Les éléments d’enquête réunis depuis, en France comme en Suisse, montrent que la course était planifiée. Détenu à la prison de Bellechasse (FR), Roméo, citoyen français, a accepté son extradition. Il sera jugé pour enlèvement en bande organisée sur mineur de moins de 15 ans. Un délit pour lequel le code pénal français indique la perpétuité comme peine maximale.

>> Lire : La mère de la petite Mia et un homme seront extradés en France

Sa compagne, qui est impliquée dans des échanges relatifs à l’organisation mais n’a pas participé à la course en voiture, a été relâchée dimanche par la police fribourgeoise. Les proches du couple contactés la disent psychologiquement dévastée par la situation.

Un couple intégré

Roméo et sa compagne ont effectué des études supérieures. Actifs dans l’entrepreneuriat et l’économie privée, ils résident au centre de Fribourg depuis de longues années et n’avaient jusqu’alors pas connu de démêlés judiciaires.

L’examen de leurs publications sur les réseaux sociaux montre cependant qu’en 2020, le couple bascule dans la complo-sphère. Dans les publications de Roméo notamment, tous les classiques du genre y passent: le grand complot mené par la famille Rockefeller qui contrôlerait le monde avec d’autres milliardaires comme Bill Gates et qui auraient créé la pandémie pour pouvoir ensuite nous implanter des puces via les vaccins.

>> Revoir le sujet de Forum sur le fond idéologique de l'affaire Mia :

Il apparaît aussi que le couple consomme abondamment des documentaires conspirationnistes à commencer par le controversé "Hold Up" qui a connu une large diffusion l’automne dernier. Dans un post, sous forme de mème, Roméo affirme que ces documentaires leur ont permis, à lui et sa compagne, "d’entrer dans le vrai monde."

C’est alors que Roméo va publier et partager toujours plus fidèlement les contenus de Rémy Daillet-Wiedemann, un politicien français (ex-Modem) qui appelle au renversement de la République. Ce gourou conspirationniste et négationniste dénonce notamment les enlèvements d’enfants par l’Etat et leurs placements abusifs.

Rémy Daillet-Wiedemann, qui serait exilé en Malaisie, est désormais l’objet d’un mandat d’arrêt international puisque le procureur de Nancy estime qu’il "apparaît comme l'animateur principal de la 'mouvance' dans le cadre de laquelle s'inscrivent les mis en cause" et qu’il "aurait joué un rôle dans l'organisation de l'enlèvement".

>> Lire : Une figure de la sphère complotiste soupçonnée d'avoir participé à l'enlèvement de Mia

Une logeuse à Neuchâtel

C’est aussi Rémy Daillet-Wiedemann qui aurait transmis à la mère de Mia les coordonnées d’une femme à Neuchâtel. Mia et sa mère s’y rendent, au lendemain de leur nuit d’hôtel près d’Estavayer-le-Lac. Un gîte, comme l’appelle le réseau.

La logeuse, une mère de famille dans la quarantaine que la RTS a pu rencontrer, affirme n’avoir rien prémédité ni participé à l’organisation de l’opération. Des propos confirmés par le procureur de Fribourg Jean-Luc Mooser en charge du volet suisse de l’enquête.

Cette Neuchâteloise aurait pour habitude d’héberger des gens dans le besoin. Elle a indiqué avoir offert son toit à un SDF par le passé. Très active sur YouTube où elle a multiplié les interactions au sein de dizaines de chaînes conspirationnistes, mais aussi de développement personnel, elle avait signalé être à disposition pour quiconque aurait besoin d’aide et laissé son adresse.

François Roulet avec François Ruchti

_{>> Voir l'enquête complète dans Mise au Point le 25 avril.}