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Les éléphants d'Asie enterrent leurs petits décédés et les pleurent

Une éléphante joue avec ses petits dans le parc national de Kaziranga, dans l'Etat d'Assam, au nord-est de l'Inde. [Keystone - Anupam Nath/AP photo]
Les éléphants d'Asie enterrent leurs petits décédés et les pleurent / Le Journal horaire / 32 sec. / le 7 mars 2024
Les éléphants d'Asie procèdent à l'ensevelissement de leurs petits décédés et manifestent de manière sonore leur tristesse, selon une étude réalisée par des scientifiques en Inde. Elle détaille certains comportements poignants des pachydermes qui évoquent les rites funéraires humains.

Sorti de la forêt, un troupeau d'éléphants d'Asie (Elephas maximus) s'avance dans une plantation de thé et transporte un petit décédé en le soulevant par la trompe ou les pattes. Le corps de l'éléphanteau est amené vers une sorte de sépulture préfabriquée – les drains d'irrigation du champ, dans un endroit peu fréquenté – puis déposé avec attention dans le trou avant d'être recouvert de terre. Seuls dépassent ses quatre pattes, car le petit pachyderme a été enterré sur le dos. Une scène touchante que deux scientifiques indiens ont observée dans chacun des cas qu'ils ont étudiés.

Une dépouille d'éléphanteau portée par un membre du troupeau dans une plantation de thé, au Bengale. [West Bengal Forest Department]
Une dépouille d'éléphanteau portée par un membre du troupeau dans une plantation de thé, au Bengale. [West Bengal Forest Department]

Parveen Kaswan, un officier du service forestier indien, et Akashdeep Roy, chercheur à l'Institut indien d'éducation et de recherche scientifique, ont identifié cinq sites dans le nord du Bengale-Occidental, où un éléphanteau avait été enterré, à chaque fois par des éléphants, en 2022 et 2023. Les cinq petits – trois femelles et deux mâles – étaient âgés de trois mois à un an; l'analyse post mortem a montré que tous les décès étaient naturels, liés à une insuffisance respiratoire ou à une infection, selon l'étude publiée début mars dans le Journal of Threatened Taxa.

"Grâce à des observations opportunes, des photographies numériques, des notes de terrain et des rapports d'autopsie, nous suggérons que les dépouilles ont été enterrées à la manière étrange d'un gisant, quelle que soit la raison de la mort du petit", indique l'étude. Dans un cas, le troupeau a barri bruyamment autour de l'éléphanteau gisant sous terre, ajoutent les scientifiques. Ces cérémonies étaient très organisées: "Ils sont très conscients de leur rôle", selon Akashdeep Roy, cité dans un article de Live Science.

"Aucune intervention humaine directe"

L'étude explique que seuls les petits sont enterrés ainsi, le transport des adultes étant "non réalisable" par la harde en raison de leur taille et de leur poids. Les auteurs précisent que leurs recherches n'avaient révélé "aucune intervention humaine directe" dans l'enterrement de chacun des cinq éléphanteaux. Les petits avaient parfois été transportés sur de longues distances, parfois pendant 48 heures.

>> Galerie photo des sépultures des cinq éléphanteaux:

Les éléphants ont inhumé les dépouilles dans les canaux d'irrigation de plantations de thé, pouvant atteindre une profondeur de 65 centimètres, à quelques centaines de mètres d'établissements humains: les cultures de théiers forment la majorité des corridors pour les pachydermes. Des empreintes claires de quinze à vingt éléphants ont été observées autour des lieux de sépulture et sur la terre sous laquelle les dépouilles étaient ensevelies: les membres du troupeau ont collectivement poussé la terre sur le corps puis ont nivelé le sol.

Cette posture dorsale, pattes tournées vers le haut, s'explique par la manière dont le corps a été délicatement déposé dans la fosse: "C'est la position la plus accessible pour tenir la carcasse et la mettre dans le drain", remarque Akashdeep Roy: "C'est également la position dans laquelle plusieurs membres du troupeau peuvent participer au processus d'enterrement". Et d'ajouter que les éléphants peuvent avoir donné la priorité à l'ensevelissement de la tête ainsi que de la trompe et vouloir éviter que les restes soient dévorés par des carnivores.

Pour le chercheur, cette façon de faire met en évidence la fabuleuse intelligence des éléphants: "Ils ont choisi les plantations de thé à dessein parce qu'ils ne pouvaient pas enterrer la carcasse dans les villages, où les perturbations humaines sont importantes. Ils ne pouvaient pas non plus le faire à l'intérieur de la forêt, où il n'y a pas de tranchées préfabriquées et où ils savent qu'ils ne peuvent pas creuser de grands trous", note-t-il dans Live Sience.

Les éléphants sont sensibles, émotionnels, sociaux et coopératifs

Les éléphants sont connus pour leur comportement social et coopératif, mais l'enterrement de petits n'avait été que "brièvement étudié" parmi les éléphants de forêt africains (Loxodonta cyclotis): les membres du troupeau couvrent leurs morts avec des branches et des feuilles et restent parfois plusieurs heures auprès de leur proche décédé.

Le phénomène était encore inexploré parmi leurs cousins asiatiques. Cette étude est donc le premier enregistrement d'enterrements d'éléphants d'Asie et constitue le premier cas connu de ces animaux utilisant de la terre dans ces funérailles, ainsi qu'un positionnement spécifique du corps. L'étude souligne la sensibilité, le comportement émotionnel et l'intelligence sociale de ces grands herbivores.

Des vidéos ont déjà saisi des attitudes particulièrement émouvantes autour de la mort d'un éléphanteau. Dans certaines, une femelle adulte – probablement la mère – porte le corps du petit. D'après l'état de décomposition du cadavre, il semble que ce comportement de portage ait duré des jours ou des semaines.

On sait que les éléphants sauvages d'Afrique et d'Asie visitent les dépouilles de leurs congénères adultes à différents stades de décomposition, mais cette étude a révélé des comportements différents. Dans les cinq cas bengalais, les responsables des plantations de thé et les personnes vivant dans les villages des environs ont entendu les éléphants gronder et barrir pendant trente à quarante minutes. Akashdeep Roy estime que ces vocalisations étaient destinées à "exprimer l'agonie et la douleur et à rendre hommage aux éléphanteaux décédés".

Le troupeau "a fui le site dans les quarante minutes suivant l'enterrement", ce qui peut indiquer que les éléphants font la distinction entre les espaces humains et non-humains et désirent éviter les dissensions avec les êtres humains. La harde a ensuite évité de retourner dans la zone, empruntant plutôt des chemins parallèles pour leur migration, même si ces itinéraires avaient été régulièrement empruntés auparavant.

Selon les estimations, 26'000 éléphants d'Asie vivent à l'état sauvage, principalement en Inde mais il en demeure aussi quelques-uns en Asie du Sud-Est. Hors captivité, ces fantastiques animaux vivent en moyenne de 60 à 70 ans. Les éléphants d'Asie sont reconnus comme étant en danger par l'Union internationale pour la Conservation de la Nature.

Stéphanie Jaquet et l'ats

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