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Report du lancement de la mission JUICE vers Jupiter et ses lunes

Lors de son quarantième passage rapproché de Jupiter (à 71'000 km), la sonde spatiale Juno a vu Ganymède projeter une grande tache sombre sur la planète, le 25 février 2022. [NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS - Image processing: Thomas Thomopoulos/CC BY]
La Mission JUICE décollera de Guyane pour explorer les lunes glacées de Jupiter / Le 12h30 / 1 min. / le 13 avril 2023
JUICE devait être lancée jeudi depuis Kourou avec une fusée Ariane 5 vers la géante gazeuse Jupiter, cinquième planète de notre Système solaire. Le lancement est reporté à vendredi en raison de mauvaises conditions météorologiques. Des instruments suisses examineront en détail Jupiter et trois de ses lunes, Ganymède, Callisto et Europe.

"Rouge météo", risques de foudre! "Ça s'est joué à une seconde", a déclaré, fataliste, l'Autrichien Josef Aschbacher, directeur de l'Agence spatiale européenne (ESA). Il a tenté de positiver malgré la déception de devoir reporter, juste avant le décompte final, le lancement de la sonde européenne JUICE vers Jupiter. La mission phare de l'ESA devrait donc être envoyée vers le système jovien avec un jour de délai, à la même heure.

JUICE est un acronyme pour JUpiter ICy moons Explorer: cette mission phare de l'Agence spatiale européenne (ESA) a pour but d'observer en détail la planète gazeuse géante et trois de ses plus de 80 lunes – selon certains décompte, elle pourrait même en posséder 95.

Europe, Ganymède et Callisto sont des mondes particulièrement intéressants car, sous leur banquise, se meuvent des océans d'eau liquide, terrains propices à l'émergence de la vie. Décollage prévu depuis la Guyane française à 14h15, heure suisse, ce jeudi 13 avril.

>> Le même programme avec des interprètes en français: ESA web TV Two

Ces milieux sont si éloignés du Soleil que les astronomes les ont longtemps exclus de la zone du Système solaire considérée comme habitable, "qui jusqu'à encore récemment s'arrêtait à Mars", explique à l'AFP l'astrophysicienne Athéna Coustenis, l'une des responsables scientifiques de la sonde européenne.

Les découvertes par les sondes Galileo (1995) et Juno (2016) autour de Jupiter ont repoussé les frontières de la recherche. JUICE va encore aller plus loin grâce à ses dix instruments dédiés, dont certains conçus en Suisse (lire encadré).

>> Regarder le reportage du 19h30 de lundi :

L’Agence spatiale européenne lancera jeudi sa mission "Juice" pour étudier la planète Jupiter et ses lunes avec un instrument suisse à son bord
L’Agence spatiale européenne lancera jeudi sa mission "Juice" pour étudier la planète Jupiter et ses lunes avec un instrument suisse à son bord / 19h30 / 2 min. / le 11 avril 2023

Ganymède, la star

Ganymède photographiée par la sonde Juno de la NASA lors de son survol de la lune jovienne, le 7 juin 2021. [NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS - JunoCam]
Ganymède photographiée par la sonde Juno de la NASA lors de son survol de la lune jovienne, le 7 juin 2021. [NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS - JunoCam]

Ganymède est la cible principale de la mission. Elle est la plus grande lune de notre Système solaire et la seule à générer son propre champ magnétique, ce qui la protège des dangereuses radiations de l'Univers: un vrai atout.

Son océan gigantesque est piégé entre deux épaisses couches de glace et serait profond de plusieurs dizaines de kilomètres. Les instruments de JUICE inspecteront cette étendue d'eau salée sous toutes ses coutures pour évaluer sa profondeur, sa distance de la surface et, espère-t-on, sa composition. L'engin orbitera environ huit mois autour de Ganymède, dont il pourra s'approcher jusqu'à 200 kilomètres d'altitude, à l'abri des radiations. Il se placera en orbite autour de Ganymède en 2034 et verra si son environnement – qui semble stabilisé – a vu le vivant apparaître et s'y maintenir.

Au fond des abysses terriennes, il est possible de détecter des formes de vie: certains écosystèmes sont capables de se maintenir sans lumière et grouillent de micro-organismes comme des bactéries ou des archées, des unicellulaires sans noyau... Est-ce qu'une vie semblable a été ou est possible sur cet autre monde?

Contrairement aux missions sur Mars, en quête des traces d'une vie ancienne aujourd'hui disparue, l'exploration des lunes glacées cherche des environnements encore habitables; ce que n'est plus la planète rouge.

L'habitabilité requiert aussi une source d'énergie. Sous les températures glaciales du système jovien, elle ne provient pas du Soleil mais de la gravité que Jupiter exerce sur ses satellites: des "effets de marée" semblables à ce qui se passe sur Terre avec la Lune. Ce phénomène permet de "dissiper la chaleur à l'intérieur des lunes et de maintenir l'eau à l'état liquide", décrypte Francis Rocard, planétologue au Centre national d'études spatiales (CNES).

>> Lire aussi : Sur Pluton, les volcans sont de glace

Deux autres lunes prometteuses

Europe et sa surface de dômes et de crêtes; un terrain perturbé comprenant des plaques crustales qui se sont brisées et repositionnées. Les zones rougeâtres sont associées à une activité géologique interne et le bleu à des plaines glacées relativement anciennes. [NASA - JPL/University of Arizona]
Europe et sa surface de dômes et de crêtes; un terrain perturbé comprenant des plaques crustales qui se sont brisées et repositionnées. Les zones rougeâtres sont associées à une activité géologique interne et le bleu à des plaines glacées relativement anciennes. [NASA - JPL/University of Arizona]

Les scientifiques pensent qu'Europe a un noyau de fer, un manteau rocheux et un océan d'eau salée; cet objet céleste jeune et actif ne possède pas de magnétosphère.

Sa surface est une croûte gelée fracturée qui bouge beaucoup, créant une sorte de "tectonique des glaces", avec des plaques qui s'emboîtent les unes dans les autres: lorsqu'Europe s'éloigne de Jupiter, les fractures s'ouvrent et des dépôts provenant de l'océan qui se trouve en dessous remontent en surface. Elle semble envoyer de l'eau dans l'espace via des jets de vapeur et des geysers.

A noter que la NASA lancera Europa Clipper en octobre 2024: cette sonde arrivera juste avant JUICE en raison des trajectoires choisies et travaillera de concert avec la mission européenne. Leurs données seront complémentaires.

>> Lire aussi : La vie existe-t-elle sur les mondes océans de notre Système solaire?

Quant à Callisto, c'est le plus vieil objet du Système solaire et celui qui comporte le plus de cratères; il se pourrait qu'il ait aussi un océan d'eau salée sous sa surface.

JUICE survolera cette lune vingt-et-une fois afin d'avoir une idée de l'environnement qui existait lorsque Jupiter était encore toute jeune.

>> Les configurations internes possibles des trois lunes visées par JUICE : Trois des quatre lunes galiléennes possèdent des océans d'eau liquide sous leur surface, qu'elle soit de glace (Europe et Ganymède) ou de roche et de glace pleine de cratères (Callisto). [Olivier Witasse/ESA - Voyager 1 & 2, Galileo, Juno/Jónsson, Gill]
Trois des quatre lunes galiléennes possèdent des océans d'eau liquide sous leur surface, qu'elle soit de glace (Europe et Ganymède) ou de roche et de glace pleine de cratères (Callisto). [Olivier Witasse/ESA - Voyager 1 & 2, Galileo, Juno/Jónsson, Gill]

>> Une page en anglais de la NASA: Jupiter Resources

Un modèle du Système solaire

Jupiter, la plus ancienne et la plus massive planète du Système solaire, est aussi très importante pour la compréhension de cet arrangement dans lequel évoluent nos huit planètes et toutes leurs lunes.

Comme Jupiter est aussi la plus grande planète et qu'elle a une composition similaire au Soleil – surtout de l'hydrogène et de l'hélium –, la compréhension de sa formation est considérée comme importante pour les connaissances sur l'origine de la Terre.

De surcroît, Jupiter exerce une influence sur ses lunes, mais encore sur des anneaux et des astéroïdes. La vie n'a pas pu s'y développer, car les températures qui y règnent, la pression et les matériaux qui la caractérisent sont vraisemblablement trop extrêmes et volatiles pour que des organismes puissent s'y adapter.

>> Lire aussi : Soixante ans de recherche de vie extraterrestre... et toujours rien

Stéphanie Jaquet et les agences

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Des instruments suisses

Le lancement est un grand pas pour chercheuses et chercheurs de l'Université de Berne. Il y a dix ans, ces scientifiques ont commencé à construire les instruments de mesure qui seront à bord de JUICE. Le travail intellectuel sur la mission avait déjà démarré des années auparavant.

L'UNIBE est au premier rang avec le spectromètre de masse NIM (Neutral and Ion Mass Spectrometer), élaboré en collaboration avec le Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche (Empa). Il étudiera la composition chimique et isotopique des particules présentes dans les atmosphères des lunes glacées de Jupiter.

Les scientifiques de Berne ont également développé un module pour l'altimètre laser GALA (GAnymede Laser Altimeter), qui étudiera la topographie de Ganymède, ainsi que l'optique et l'unité de calibration du Submillimeter Wave Instrument (SWI), qui mesurera notamment le rayonnement thermique de la stratosphère de Jupiter.

L'Institut Paul Scherrer a quant à lui fourni le détecteur RADEM (RADiation-hard Electron Monitor). Cet instrument, qui fonctionnera durant les huit années que durera le voyage, est chargé de récolter des informations sur l'activité solaire et son influence sur notre planète. Il servira aussi à cartographier les ceintures de radiations complexes de Jupiter.

>> Les instruments scientifiques de JUICE : Les instruments scientifiques de JUICE [CC BY-SA 3.0 IGO - ATG under contract to ESA]
Les instruments scientifiques de JUICE [CC BY-SA 3.0 IGO - ATG under contract to ESA]

La longue odyssée de JUICE

Conçue par Airbus, la sonde JUICE pèse plus de six tonnes et possède dix instruments scientifiques. Son coût total est de 1,6 milliard d'euros. C'est la première mission européenne à s'aventurer dans le Système solaire externe qui démarre après Mars.

>> Une animation faite par l'ESA du déploiement dans l'espace de JUICE :

JUICE se déploie
JUICE se déploie / L'actu en vidéo / 1 min. / le 12 avril 2023

Elle sera propulsée à 1500 kilomètres d'altitude avant d'être envoyée en orbite. Démarrera alors son odyssée, qui atteindra sa destination finale en 2031, à quelque 628 millions de kilomètres de la Terre. Un voyage long et sinueux car la sonde n'a pas assez de puissance pour atteindre Jupiter en suivant une trajectoire directe.

L'engin spatial devra en passer par de complexes manœuvres d'assistance gravitationnelle, qui consistent à utiliser la force d'attraction d'autres planètes, à la manière d'une catapulte. Par un survol Lune-Terre d'abord, puis de Vénus (2025), puis à nouveau de la Terre (2029), avant de prendre son élan vers le mastodonte du Système solaire et ses lunes glacées découvertes par Galilée il y a 400 ans.

Huit ans de voyage vers le système jovien avec de complexes manœuvres d'assistance gravitationnelle. [CC BY-SA 3.0 IGO - ATG under contract to ESA]
Huit ans de voyage vers le système jovien avec de complexes manœuvres d'assistance gravitationnelle. [CC BY-SA 3.0 IGO - ATG under contract to ESA]

Entre les +250 degrés lors du survol de Vénus et les -230 degrés aux alentours de Jupiter, la sonde affrontera de grands écarts de températures, d'où une couverture à isolation multicouches qui maintiendra ses instruments à une température stable.

Son autre défi sera de garder de la puissance alors que la lumière du Soleil y est 25 fois plus faible que sur Terre. JUICE est donc équipée de panneaux solaires de 85 mètres carrés – la taille d'un terrain de basket –, afin de recueillir un maximum de photons.

>> Pour célébrer la mission JUICE ("jus", en anglais), l'ESA propose un livret illustré de recettes de cocktails sans alcool: SPACE JUICE RECIPE BOOK