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"La crise au Moyen-Orient entre en résonance avec des lignes de tensions entre puissances"

Israël, sur tous les fronts
Israël, sur tous les fronts / Geopolitis / 26 min. / le 5 mai 2024
Des événements du 7 octobre en passant par l’intervention de Tsahal à Gaza et l’attaque menée par l’Iran sur sol israélien, la logique de guerre prévaut dans la région. 

Destinée à venger la mort de plusieurs Gardiens de la Révolution tués le 1er avril dernier par une frappe sur le consulat iranien à Damas, l’opération de représailles orchestrée par Téhéran dans la nuit du 13 au 14 avril dernier alimente la crainte d’une escalade hors de contrôle dans la région. C’est la première fois que l’Iran s’en prend directement à Israël en s’attaquant à son territoire. Trois cents missiles et drones, pour la plupart interceptés par le fameux dôme de fer israélien, ont visé l'Etat hébreu. "Ils ont réussi avec pas mal de doigté à faire passer le message de dissuasion que l'un voulait envoyer à l'autre sans faire trop de casse. Et cela a été une manoeuvre très habile", analyse Pascal de Crousaz, docteur en relations internationales et spécialiste du Proche-Orient, dans Géopolitis.

Le niveau d’intensité de la riposte israélienne face à l’"Axe de la résistance" piloté par Téhéran a été mesuré. "Des bruits évoquent une espèce de deal entre Américains et Israéliens où les Israéliens ont monétisé leur retenue, puisqu'il y avait des généraux israéliens qui appelaient à une riposte immédiate, massive et dévastatrice pour l'Iran, mais qui aurait alors risqué de faire plonger toute la région dans une escalade meurtrière", explique Pascal de Crousaz. "Certains estiment que Benjamin Netanyahou aurait obtenu des Américains qu'en échange d'une réplique mesurée, les États-Unis ne s'opposent pas complètement à une opération militaire israélienne à Rafah, voire si le Hezbollah ne retire pas ses troupes de la frontière israélienne où il empêche les civils israéliens de revenir dans leurs domiciles, à une guerre éventuellement contre le Hezbollah".

Une riposte immédiate israélienne, massive, dévastatrice pour l'Iran, aurait plongé toute la région dans une escalade meurtrière.

Pascal de Crousaz

La crise israélo-palestinienne provoque une onde de choc dont les enjeux ne se limitent pas au seul Proche-Orient, elle révèle les bouleversements géopolitiques d’un ordre mondial devenu incertain.


"Cette crise entre en résonance avec des lignes de tensions et des compétitions entre puissances régionales et globales comme probablement jamais auparavant, y compris entre la Russie, l'Iran, les États-Unis et leurs alliés", analyse Pascal de Crousaz.

Gaza, dévastée

Cette crise replace au centre de l’échiquier mondial la question palestinienne, la création d’un Etat indépendant et la reconstruction de Gaza. "Si le Hamas et Israël acceptent un cessez-le-feu et ensuite vont au-delà, on a éventuellement une possibilité d'aller vers quelque chose de plus large. L'élément clé dans cette équation, ce sont les Saoudiens", selon ce spécialiste du Proche-Orient. A ce titre, le choix du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken d’entamer sa tournée en début de semaine en Arabie saoudite n’est pas innocent. Riyad pourrait être invitée à participer, à terme, à la stabilisation, la sécurisation et la reconstruction de Gaza.

Sept mois de guerre ont dévasté la bande de Gaza. Ses habitants manquent de soins, de nourriture alors que l’aide internationale qui entre dans l’enclave est largement insuffisante. Les opérations militaires israéliennes n’ont pas épargné Rafah, où selon les Nations unies plus d’un million de Gazaouis se sont réfugiés. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou indiquait en mars que "plus de 13'000 terroristes" avaient été tués depuis le début de la guerre. Selon le ministère de la Santé du Hamas, le conflit aurait fait plus de 34'000 morts, en majorité des femmes et des enfants.

Israël, pays fracturé et traumatisé 

Israël est à l’épreuve de l’une de ses plus profondes crises politiques depuis sa création en 1948. Le pays est fragmenté, confronté à une vague de contestation qui exige la tenue d’élections anticipées et dénonce sans relâche l’incapacité du gouvernement à ramener les otages à la maison – 250 ont été enlevés ou exécutés, certains sont encore captifs - et les failles sécuritaires qui ont éclaté au grand jour lors des attentats terroristes du 7 octobre 2023.

"La société israélienne est revenue à ses fondamentaux, c'est-à-dire sauver des vies juives, sauver des otages", explique Pascal de Crousaz. Monstre sacré de la politique israélienne, Benyamin Netanyahou a engagé son pays dans une guerre totale contre le Hamas en représailles aux atrocités commises le 7 octobre : 1200 personnes exécutées, en majorité des civils, dans des localités et des kibboutz israéliens. 

Les Etats-Unis, allié indéfectible d’Israël

Cette crise au Moyen-Orient a révélé des dissensions entre Israël et Washington - qui a apporté son soutien à l’Etat hébreu – et l’obsession de la Maison-Blanche d’éviter à tout prix une escalade qui pourrait devenir hors de contrôle. Un conflit qui s’est invité dans la campagne présidentielle américaine et pèse de tout son poids sur Joe Biden, candidat à sa propre réélection et déterminé à trouver une solution politique à la crise israélo-palestinienne.

"Cela lui permettrait d'une part de montrer face au discours de Donald Trump qu'il est capable de résoudre des gros problèmes internationaux, des crises gravissimes sans engager de soldats américains", explique Pascal de Crousaz. "Cela lui permettrait aussi éventuellement d'améliorer ses relations avec l'aile gauche du parti démocrate qui critique son soutien à Israël."

Olivier Kohler / Elsa Anghinolfi

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