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Guillaume Meurice: "Ma blague sur Netanyahu a été instrumentalisée par l'extrême droite et le pouvoir"

Guillaume Meurice, humoriste et chroniqueur français. [AFP - Lionel Bonaventure]
L’invité de la matinale - Guillaume Meurice, humoriste et chroniqueur sur France inter / L'invité-e de La Matinale / 26 min. / le 1 avril 2024
Le 29 octobre dernier, l'humoriste français Guillaume Meurice s'est trouvé au cœur d'une polémique après une blague sur Benjamin Netanyahu. Cinq mois plus tard, il en tire un livre dans lequel il explique son point de vue et réaffirme sa volonté de pratiquer un humour sans compromis, malgré les pressions.

Chroniqueur sur France Inter, Guillaume Meurice s'est vu reprocher une blague, faite au détour d'une chronique sur Halloween, assimilant le Premier ministre israélien à "une sorte de nazi sans prépuce". Qualifié de "vermine antisémite" par un député, désavoué à demi-mot par sa direction, il a refusé de s'en excuser et s'y refuse toujours, malgré une convocation par la police.

"Je considère que je n'ai pas commis de faute et que j'ai juste fait mon travail d'humoriste, de caricaturiste qui pratique la satire politique", explique-t-il dans La Matinale de la RTS. "J'ai fait une blague qui a été instrumentalisée par une partie de l'extrême droite française, puis par le pouvoir en place. Je n'avais pas à caler mes réactions sur l'agenda de l'extrême droite. Et comme je n'avais pas fait d'erreur, j'ai considéré que je n'avais pas à m'excuser."

Il dit néanmoins s'être remis en question: "Quand on m'a accusé d'antisémitisme au départ, je me suis dit: 'mince, peut-être que ça l'est'. On peut aussi faire du sexisme ou de l'homophobie sans s'en rendre compte. Donc je me suis posé la question. Moi, je ne considère pas que je suis au-dessus de tout et que j'ai le droit de tout dire au nom de l'humour", explique-t-il. "Mais j'ai rapidement conclu que c'était juste une manipulation, une instrumentalisation."

Le pays ne s'excitait pas autour de ma blague. C'étaient seulement les médias, la petite sphère médiatique concentrée dans deux arrondissements de Paris

Guillaume Meurice

Dans un livre publié mi-mars, intitulé  "Dans l'oreille du cyclone", l'humoriste relativise l'importance de l'événement. Pour lui-même - il explique avoir vécu l'affaire avec une certaine distance - mais aussi pour la majorité de la société française.

Une posture qu'il illustre à travers une métaphore: celle d'un évier bouché qu'il tentait de réparer alors que la polémique enflait. "C'était surtout pour rappeler que la réalité, ce sont des éviers bouchés, des crédits à payer, des enfants à chercher à l'école, des factures, des problèmes... Je veux dire, le pays ne s'excitait pas autour de ma blague, c'étaient seulement les médias, la petite sphère médiatique concentrée dans deux arrondissements de Paris. Les réseaux sociaux, aussi, et encore, pas tous les réseaux, juste Twitter."

Pas de soutien de France Inter

Il raconte notamment avoir constaté une véritable "panique" dans la direction de France Inter, "persuadée que tout le monde parlait de ça". "Mais moi, je suis dans le monde réel, et les gens s'en foutent. Et en plus j'ai un évier bouché donc j'ai autre chose à faire", sourit-il.

J'ai une parole publique et je n'ai aucun problème à ce qu'on considère que ma blague est nulle, pas drôle ou de mauvais goût. Ça fait partie du jeu et je trouve ça plutôt sain

Guillaume Meurice

Durant la polémique, la chaîne publique a estimé qu'un humoriste "doit se montrer exemplaire". Une réaction absconse qui amuse le principal visé. "Il y a eu un enchaînement de communiqués complètement absurdes qui consistaient à dire: Guillaume Meurice a le droit de dire ce qu'il veut, mais il aurait mieux fait de fermer sa gueule, mais on le soutient, mais on voudrait qu'il s'excuse...", résume-t-il. "Pour moi, il y avait deux options. Soit considérer que ma blague est antisémite, et dans ce cas-là, il fallait me virer. Soit qu'elle ne l'est pas, et il fallait me défendre à fond. Mais ils ont choisi entre les deux, ce qui donne des phrases comme ça, qui ne veulent absolument rien dire."

L'humoriste dit toutefois n'avoir aucun problème à être jugé. "J'ai une parole publique et je n'ai aucun problème à ce qu'on considère que ma blague est nulle, pas drôle ou de mauvais goût. Ça fait partie du jeu dès qu'on prend la parole en public, et je trouve ça plutôt sain", dit-il.

"Traque à l'antisémitisme" contre-productive

Il déplore toutefois un "deux poids, deux mesures", notamment lorsqu'il s'agit d'Israël. "Faire de l'humour sur la politique israélienne, c'est une pente glissante, surtout en France. On est un pays qui a tellement collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale que c'est resté le tabou ultime. Toutes les sphères politiques ou économiques se sont vautrées dedans. Et à la Libération, tout le monde est devenu d'un coup plus résistant que les résistants", estime-t-il.

Pour lui, la "traque à l'antisémitisme" actuelle s'inscrit donc dans la continuité. "Bien sûr, il y a des actes antisémites, il y en a certainement de plus en plus, et ça, c'est dramatique", précise-t-il. "Mais je pense que c'est un peu contre-productif d'aller traquer l'antisémitisme là où il n'y en a pas."

Montée de l'extrême droite

D'autant plus que la France fait face à une percée de l'extrême droite depuis des années. L'humoriste engagé s'inquiète de son influence sur le reste du champ politique. Une influence qu'il retrouve dans "sa" polémique: "J'ai vraiment vu ce qu'on appelle la 'fachosphère' parler de ma blague pour alimenter la polémique. C'est resté cantonné 2-3 jours, mais très vite, les députés macronistes, l'Assemblée nationale, la ministre de la Culture, tout le monde y a été de son petit mot", raconte-t-il.

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"Si on veut faire une analyse un peu politique de la situation, ça montre qu'il y a une vraie porosité entre l'extrême droite et ce qu'on appelle les libéraux, c'est-à-dire Emmanuel Macron. En France, on le voit tous les jours. Ils ont voté des lois ensemble, ils vont de plus en plus sur des thématiques communes. Et ils ont défilé avec l'extrême droite. Ça, c'est vraiment très symbolique, et dramatique. À la marche contre l'antisémitisme, il y avait les libéraux et le Rassemblement national. L'image est terrible! ", déplore-t-il.

Il l'affirme néanmoins: sa manière de penser ou d'écrire une chronique n'a pas changé depuis cette affaire. "On garde le cap. Moi, mon cap, c'est la liberté d'expression, l'amusement, ne pas se prendre au sérieux. J'essaie de garder ces valeurs-là coûte que coûte. Et quand ce n'est plus possible dans un média, je vais ailleurs."

Propos recueillis par Aleksandra Planinic

Texte web: Pierrik Jordan

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Éloge du service public

Cette polémique est loin d'être la seule à avoir ébranlé la sphère médiatique française, très coutumière du fait. Pour l'humoriste engagé à gauche, les origines du problème sont à chercher dans le système économique.

"Pourquoi ça se passe comme ça? Ce n'est pas parce que les gens sont gentils ou méchants, c'est parce que ça fait de l'audience! Les clashs, ça a toujours fait de l'audience. Quand les gens s'engueulent dans la rue, on s'arrête pour regarder. C'est vieux comme le monde. On est fasciné par ça. Donc les médias privés s'en servent énormément parce que ça captive les gens, ça les scotche sur leur canapé jusqu'à la page de publicité", analyse-t-il.

"Et là où ça devient politique, c'est qu'on a beaucoup moins de ça sur le service public. (...) C'est à ça que ça sert, le service public. C'est un espace où on peut prendre un poil plus de recul, parce qu'on est moins tributaire de la publicité. Encore une fois, ce n'est pas parce que les gens sont gentils sur le service public, c'est structurel. Et pour moi, c'est un marqueur fort de démocratie."