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Des élus qui se battent, une "loi russe", une présidente esseulée: comment la Géorgie en est arrivée là?

Des élus du Parlement géorgien se battent lors de la session du 15 avril 2024. [AFP - -]
Des élus du Parlement géorgien se battent lors de la session du 15 avril 2025. - [AFP - -]
La présidente de la Géorgie et des dizaines de milliers de manifestants se battent contre ce qu'ils nomment une "loi russe". Ce projet, défendu par le gouvernement et qui veut limiter "l'influence étrangère" au sein du pays, a été adoptée par le Parlement après des débats particulièrement houleux.

Un élu qui en frappe un autre et une situation qui finit en bataille générale. Le Parlement géorgien a été le théâtre de scènes peu communes ces dernières semaines. Elles ont eu lieu lors des débats autour du projet de loi sur "l'influence étrangère", qui a été adopté mardi en troisième lecture.

La loi prévoit d'imposer aux ONG et aux médias de s'enregistrer en tant qu'"organisation poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère" si leur financement provient à plus de 20% de l'étranger. Ce projet a été surnommé "loi russe" par ses détracteurs en raison de sa similitude avec une législation adoptée en Russie pour réprimer l'opposition.

>> Lire : Le Parlement géorgien adopte la loi controversée sur "l'influence étrangère" et En Géorgie, des milliers de manifestants dans les rues contre la loi sur l'"influence étrangère"

L'adoption de la loi a fait vivement réagir la population. Des dizaines de milliers de manifestants ont protesté contre le projet, alors qu'un cinquième du territoire géorgien est occupé par des forces pro-russes après l'offensive soutenue par Moscou en 2008.

Une présidente "privée de tout pouvoir"

Si le texte émane du gouvernement, il est farouchement combattu par la présidente du pays, Salomé Zourabichvili. En Géorgie, le pouvoir exécutif est détenu par le Premier ministre, et la fonction présidentielle n'a qu'un rôle protocolaire.

"Je suis pratiquement privée de tout pouvoir réel autre que la parole et autre que celui qui vient de la légitimité du soutien de la population. Et la population n'a aucun autre moyen que l'expression dans la rue de sa frustration", regrette jeudi Salomé Zourabichvili dans l'émission Tout un monde.

>> Lire aussi : La loi géorgienne controversée "ne correspond pas aux espoirs de la population", estime la présidente

La présidente dispose certes d'un droit de veto, mais le parti gouvernemental "Rêve géorgien" dispose d'assez de sièges au Parlement pour pouvoir le contourner. "Nous sommes dans un régime qui est en train de devenir autoritaire", alerte la présidente.

>> L'interview de la présidente de la Géorgie dans l'émission Tout un monde :

En Géorgie, des milliers de manifestants dans les rues contre la loi sur l'"influence étrangère". [AFP - GIORGI ARJEVANIDZE]AFP - GIORGI ARJEVANIDZE
"Nous sommes dans un régime qui est en train de tourner autoritaire": interview de Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie / Tout un monde / 14 min. / le 16 mai 2024

Un milliardaire aux commandes

Salomé Zourabichvili est pourtant elle-même issue du parti Rêve géorgien, qui l'a soutenue lors de son élection à la présidence en 2018. Lors de la prise de pouvoir du parti en 2012, tous deux avaient des positions pro-européennes, comme la majorité de la population, qui était déjà favorable à un rapprochement avec l'UE.

Depuis, la position du Rêve géorgien a de plus en plus penché du côté de Moscou. Il faut savoir que le fondateur du parti, Bidzina Ivanichvili, est un milliardaire géorgien qui a bâti sa richesse en Russie. En 2012, sa fortune était estimée à 6,4 milliards de dollars. Premier ministre entre 2012 et 2013, Bidzina Ivanichvili est souvent considéré comme le dirigeant de facto du pays.

Sur France Culture, Thorniké Gordadzé, ancien ministre géorgien en charge des relations avec l’Union européenne et enseignant à Sciences Po, expliquait l'année dernière que le gouvernement est devenu de plus en plus anti-européen et autoritaire au fil du temps.

"Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement accuse l'Europe et les Etats-Unis de vouloir pousser la Géorgie à ouvrir un second front contre la Russie, ce qui est d'un absurde absolu. Il est par contre obligé de tenir compte de l'opinion publique, et il a déposé la demande pour recevoir le statut de candidat à l'adhésion de l'UE. En parallèle, il a tout fait pour saboter ce processus."

Adhésion remise en question

L'adoption de la loi sur "l'influence étrangère" risque bien de mettre un coup d'arrêt au rapprochement de la Géorgie avec l'UE, alors que le pays avait obtenu fin décembre le statut de candidat officiel à l'adhésion. Bruxelles avait conditionné les négociations d'adhésion à des réformes des systèmes judiciaire et électoral du pays, ainsi qu'à un accroissement de la liberté de la presse et à la limitation du pouvoir des oligarques.

Après le vote de mardi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré que "la Géorgie est à la croisée des chemins. Elle doit maintenir le cap sur la voie de l'Europe". Même son de cloche du côté de l'Otan, à laquelle la Géorgie aimerait adhérer depuis 2008. L'organisation transatlantique a qualifié le vote de "pas dans la mauvaise direction".

Antoine Schaub

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