Alice Coffin: "En politique, il y a une manière d'exclure les femmes du pouvoir"

Elue écologiste au Conseil de Paris depuis 2020, Alice Coffin explique avoir assisté très rapidement à des violences dirigées à l'encontre des femmes.

"Quand je suis arrivée dans ce monde politique-là, la première chose à laquelle j'ai été confrontée, ce sont les violences sexistes, les violences sexuelles qui s'exercent contre les femmes politiques ou qui s'exercent de la part des hommes politiques sur l'ensemble de leur entourage", relate-t-elle lundi dans La Matinale.

En réaction, celle qui est également journaliste a créé un observatoire qui doit selon elle permettre de mieux comprendre l'importance du phénomène. "En France, on a de multiples cas, y compris dans l'actualité récente (...) . On constate que les témoignages sont extrêmement nombreux, que c'est partout, dans tous les pays et quels que soient les partis politiques", juge-t-elle.

Des "mécanismes d'emprise"

En France, des affaires ont notamment touché des membres du parti écologiste au cours des dernières années. L'ex-ministre Nicolas Hulot a été accusé de viol et d'agression sexuelle sur mineur et l'ancien député Denis Baupin d'agression sexuelle et de harcèlement (les deux affaires ont finalement été classées sans suite, pour prescription).

Pour Alice Coffin, cela tend à prouver que ce genre de comportement existe partout, mais elle trouve toutefois une explication bien spécifique pour les cas détectés dans son camp politique. "Pourquoi il y a beaucoup d'écologistes? Parce qu'il y a aussi beaucoup de féministes dans ce mouvement et qui osent justement parler", analyse-t-elle.

Beaucoup de femmes et de féministes qui ont eu le courage de dénoncer leur agresseur ont dû ensuite quitter la politique

Mais pour la militante, il apparaît important de souligner que la problématique dépasse les violences sexuelles. "Ce qui est déjà très grave, c'est aussi qu'en politique, il y a vraiment une espèce de manière de conserver le pouvoir et d'en exclure les femmes. En fait, ce sont des mécanismes d'emprise qu'on constate", soutient-elle.

Conférence devant le Parlement européen

Mais alors, depuis le début du mouvement Metoo et du procès d'Harvey Weinstein, n'y-a-t-il pas eu d'amélioration? "La parole s'est libérée", reconnaît Alice Coffin, mais à un "prix énorme".

"Beaucoup de femmes et de féministes qui ont osé, qui ont eu le courage de dénoncer leur agresseur quand il était parfois leur collègue de parti, ont dû ensuite quitter la politique", rapporte-t-elle.

La militante estime par ailleurs que chaque jour en Europe, un homme politique agresse ou harcèle une femme. Quand on lui demande d'où elle tient ces chiffres, Alice Coffin hésite. "C'est exactement ce qu'on souhaite expliquer. On n'a pas ces chiffres. Pourquoi? Parce que ce n'est pas encore un fait politique ou journalistique suffisamment étayé."

Ce qu'on voudrait avec ce Metoo européen, c'est lancer une grande étude annuelle sur ces violences sexistes et sexuelles en politique

Pour avoir une compréhension d'ensemble du phénomène, Alice Coffin se base donc sur les enquêtes d'investigation de médias, à l'instar de celles de Mediapart, ou alors sur des témoignages.

"Mes collègues femmes politiques européennes, avec lesquelles je travaille au sein de la Conférence européenne lesbienne, nous le disent tout le temps. Ça vient de femmes politiques grecques, de militantes albanaises, c'est absolument partout (...) et quand je dis que ça arrive tous les jours, je pourrais en fait parler de plusieurs fois par jour. C'est massif, c'est systématique et l'énorme problème est que ça ne semble pas être digne d'étude avec des statistiques", développe-t-elle.

Invitée du Parlement européen le 22 octobre pour une conférence, la militante espère bien réussir à changer la situation. "Pour l'instant, c'est un travail militant comme celui que mène l'observatoire. Et on voudrait avec ce Metoo européen lancer une grande étude annuelle sur ces violences sexistes et sexuelles en politique, afin qu'on ait justement des chiffres, des données par pays, pour mesurer l'ampleur du phénomène", rapporte-t-elle.

Lutte contre l'extrême droite

Alors que les élections européennes auront lieu l'année prochaine, cette initiative ne serait-elle pas une sorte de discours de campagne? Interrogée à ce sujet, Alice Coffin assume totalement le caractère politique de sa démarche.

"Je pense que cet événement aura aussi une portée de lutte contre la montée de l'extrême-droite en Europe (..) où on voit que très régulièrement ce sont les femmes féministes ou les femmes qui vont souvent être des femmes politiques 'racisées' (pour certains sociologues, la racisation est le processus par lequel certaines personnes sont assignées à une catégorie raciale, ndlr), lesbiennes ou trans qui vont être la cible", juge-t-elle.

"Evidemment, cela a trait avec les élections européennes. Si on choisit de lancer ce Metoo européen, c'est bien pour tirer une sonnette d'alarme et demander que ne soient pas investis sur les listes pour le Parlement européen des hommes qui ont déjà été accusés de violences sexuelles de manière étayée", conclut-elle.

Propos recueillis par Pietro Bugnon/ther