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En Équateur, une violence politique qui favorise les partisans de la fermeté contre le crime

Des soldats gardent la zone de la télévision équatorienne avant le débat présidentiel, le 13 août, à Quito. [Keystone - Dolores Ochoa/AP Photo]
Longtemps considéré comme sûr, l'Equateur vit désormais une grave crise sécuritaire / La Matinale / 1 min. / le 16 août 2023
L'assassinat d'un candidat à l'élection présidentielle en Équateur bouleverse la donne politique. Ce meurtre donne un coup de pouce aux partisans de la manière forte contre les criminels. Le pays d'Amérique du Sud, auparavant considéré comme sûr, connaît une poussée de violence, liée notamment au narcotrafic.

Le 9 août, le centriste Fernando Villavicencio a été abattu à la sortie d'un meeting à Quito. Jamais auparavant le crime organisé n'avait osé s'attaquer à un homme politique d'un tel statut, et encore moins dans la capitale, jusqu'à présent relativement épargnée par la violence qui frappe la côte pacifique, épicentre des exportations de cocaïne.

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Otto Sonnenholzner a occupé le poste de vice-président de l'Equateur sous la présidence de Lenín Moreno. [Keystone - Mauricio Torres/EPA]
Otto Sonnenholzner a occupé le poste de vice-président de l'Equateur sous la présidence de Lenín Moreno. [Keystone - Mauricio Torres/EPA]

Six Colombiens au lourd passé criminel ont été interpellés, tandis qu'un septième a été tué dans la fusillade avec les gardes du corps du candidat. Les commanditaires restent à ce jour inconnus, mais l'ancien journaliste d'investigation et membre du Congrès avait récemment fait état de menaces à son encontre par un chef de gang actuellement emprisonné.

Certains candidats mis en avant

Pour les analystes, ce meurtre a provoqué une onde de choc qui bénéficie avant tout aux candidats promettant d'utiliser toute la force de l'Etat contre les narcotrafiquants.

"Le problème de l'insécurité et du crime organisé que traverse l'Equateur était déjà, selon les sondages, la principale préoccupation de la majorité de la population", rappelle Paolo Moncagatta, doyen de la Faculté des sciences sociales de l'université privée San Francisco de Quito.

"Évidemment, quand le candidat qui avait un discours très direct contre (la criminalité) est assassiné, cela renforce les candidats qui ont un discours encore plus dur", juge-t-il.

Un ancien légionnaire

L'ancien vice-président Otto Sonnenholzner (2018-2020) en fait partie, mais surtout Jan Topic, homme d'affaires prospère, ancien membre de la Légion étrangère de l'armée française, qui promet d'éradiquer les bandes criminelles.

Surnommé "Rambo", le candidat de "l'Alliance pour un pays sans peur" propose notamment de construire davantage de prisons, dans le style du gouvernement salvadorien de Nayib Bukele.

Jan Topic, un ex-légionnaire, a centré sa campagne sur le thème sécuritaire. [Reuters - Vicente Gaibor del Pino]
Jan Topic, un ex-légionnaire, a centré sa campagne sur le thème sécuritaire. [Reuters - Vicente Gaibor del Pino]

Après le débat télévisé de dimanche, les experts et les médias ont désigné Topic comme l'un des gagnants. "Il a été le grand vainqueur", estime le politologue Santiago Basabe, de la Faculté latino-américaine des sciences sociales à Quito.

"Les gens sont fatigués de tant de violence"

Car parler de sécurité, c'est toucher la corde sensible des Équatoriens. "Les gens sont fatigués de tant de violence (...). Les enlèvements, les assassinats sur commande sont des crimes qui n'étaient pas courant en Equateur", souligne l'universitaire Saudia Levoyer.

L'Equateur a longtemps fait exception en Amérique latine comme un petit havre de paix, mais ressemble désormais à la Colombie sanglante des années 1990 du baron de la drogue Pablo Escobar. Entre 2021 et 2022, le taux d'homicide a presque doublé dans le pays, passant de 14 à 25 pour 100'000 habitants.

Un phénomène inédit

"Le narcotrafic met véritablement un pied dans la politique, via des menaces envers les candidats qui veulent s'attaquer ou s'intéresser de trop près à leurs affaires ou via le financement des campagnes de candidats qui seraient plus favorables à l'un ou l'autre trafiquant de drogue", observe Régis Dandoy, professeur en science politique à l'Université San Francisco de Quito.

"C'est un phénomène nouveau, qui prend l'Equateur totalement au dépourvu. Le pays n'a pas de tradition de violence politique ni de violence électorale et n'a pas encore la capacité de lutter contre", analyse-t-il mercredi dans La Matinale.

Image écornée

Avant sa mort brutale, Fernando Villavicencio était selon les sondages en deuxième position, derrière l'avocate Luisa Gonzalez, proche de l'ancien président de gauche Rafael Correa (2007-2017), condamné par contumace à huit ans de prison pour corruption et réfugié en Belgique.

Luisa Gonzalez a affirmé lors d'une interview avec l'agence mexicaine EFE que Rafael Correa continuait d'être le leader de son parti Révolution citoyenne et qu'il serait son conseiller principal pour gagner la bataille électorale. [Keystone - Jose Mendez/EPA]
Luisa Gonzalez a affirmé lors d'une interview avec l'agence mexicaine EFE que Rafael Correa continuait d'être le leader de son parti Révolution citoyenne et qu'il serait son conseiller principal pour gagner la bataille électorale. [Keystone - Jose Mendez/EPA]

Si la loi équatorienne interdit la publication de sondages à la veille de l'élection, tous les analystes s'accordent à dire que le camp Correa a été sérieusement écorné depuis le meurtre.

Pour l'influent ancien président socialiste, Fernando Villavicencio était une épine dans le pied. Journaliste indépendant, il avait révélé l'affaire de corruption pour laquelle il a été condamné.

Lors de ses funérailles, ses proches ont crié "Correa assassin!" et sa veuve, Veronica Sarauz, a déclaré, sans présenter de preuves, que l'ancien président avait connaissance du meurtre, l'accusant de "liens avec des bandes criminelles". "L'image de Correa a été gravement endommagée", constate l'universitaire Saudia Levoyer.

Lien avec les meurtriers nié

Depuis son exil, Rafael Correa nie tout lien avec les assassins et assure qu'il s'agit d'un "complot" pour enlever des voix à sa candidate. "Normalement, nous devions gagner en un seul tour, mais l'assassinat de Fernando Villavicencio a déplacé l'échiquier électoral", a-t-il commenté.

"Nous ne sommes pas si stupides (pour ordonner ce meurtre). Qui profite de la mort de Fernando Villavicencio? La droite", a assuré Luisa Gonzalez sur un média local.

"Il y a évidemment un pourcentage d'électeurs indécis qui pensaient (voter) pour la Révolution citoyenne", le parti de Rafael Correa, mais "la mort de Villavicencio (...) les fait réfléchir à deux fois", souligne le politologue Basabe. Les élections générales anticipées restent programmées à dimanche.

afp/ami

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