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En Ukraine, Moscou piétine sans montrer de signes de fléchissement

Une résidente ukrainienne quitte la ville de Zaporizhzhya après une attaque de missiles russes le dimanche 1 janvier 2023. [Keystone - Andriy Andriyenko/AP Photo]
Un enlisement russe en Ukraine / Tout un monde / 10 min. / le 3 janvier 2023
La guerre en Ukraine semble être entrée dans une impasse en ce début 2023, alors que peu de mouvements sont observés sur le front depuis des semaines. De part et d'autre, on défend ses positions en attendant une probable offensive.

Il n'y aura pas eu de trêve de fin d'année en Ukraine. D'un côté, la Russie a multiplié les attaques de drones du 31 décembre au 2 janvier, visant Kiev et d'autres villes. Ces frappes ont fait au moins cinq morts et des dizaines de blessés et endommagé au passage des infrastructures essentielles, malgré le bon fonctionnement de la défense antiaérienne ukrainienne. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé que son armée avait intercepté plus de 80 drones depuis le début 2023.

En face, l'Ukraine n'est pas en reste. Elle a reconnu être à l'origine de la frappe qui a tué 63 soldats russes, selon le bilan de Moscou, le 31 décembre à Makiïvka, une ville sous occupation russe proche de Donetsk. Il s'agit de la plus lourde perte en une seule attaque admise par le Kremlin depuis l'invasion le 24 février dernier. Et le bilan pourrait encore augmenter: l'armée ukrainienne avait dans un premier temps évoqué jusqu'à 400 soldats décédés.

"C'est un fait de guerre important, d'autant plus que les Russes l'ont médiatisé. Visiblement, ils vont utiliser cela comme un argument pour justifier la poursuite de la guerre contre l'Ukraine", a réagi mardi le général français Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue défense nationale dans La Matinale de la RTS.

>> Lire : Jérôme Pellistrandi: "La frappe ukrainienne prouve l’amateurisme du commandement russe"

Enlisement à Bakhmout

Depuis la contre-offensive ukrainienne qui a conduit à la libération de Kherson en novembre, peu de mouvements ont été observés sur la ligne de front d'un millier de kilomètres. Les deux parties campent sur leurs positions, se concentrant sur la bataille à Bakhmout, une ville qui ne représente aujourd'hui plus réellement d'enjeu stratégique.

Il n'y a aucun signe de fléchissement ni dans le discours ni dans les actes de Moscou

Cyrille Bret, chercheur associé à l'Institut Jacques Delors

"Bakhmout est devenu un enjeu informationnel. La Russie veut montrer qu'elle est encore capable de vaincre et, en face, l'Ukraine ne veut pas lâcher d'un pouce", détaille l'historien militaire Cédric Mas interrogé par la RTS. "Cet acharnement pour une ville de seconde zone vient aussi du fait qu'à Bakhmout, c'est Wagner qui est à la manoeuvre et l'échec serait d'autant plus cuisant que cette milice privée voulait démontrer à cet endroit qu'elle ferait mieux que l'armée russe", poursuit-il.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky en visite surprise à Bakhmout
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky en visite surprise à Bakhmout

Résultat: en près de six mois, le front n'a bougé que de quelques kilomètres dans cette zone. De quoi faire dire au chef du renseignement militaire ukrainien Kyrylo Budanov que la situation en Ukraine est "bloquée", dans un entretien à la BBC fin décembre.

"Un front qui ne bouge pas: on l'a vécu tout l'été. On est dans un phénomène non linéaire avec des périodes lentes où les choses se passent sous les radars, puis des moments plus intenses où la manoeuvre apparaît au grand jour", rappelle Cédric Mas, qui préside par ailleurs l'Institut Action Résilience. Pour lui, les deux camps se préparent à la campagne d'hiver après une campagne d'automne extrêmement longue. Comprendre: la boue a empêché toute avancée.

Des signes de faiblesse?

Cet enlisement passe cependant aux yeux de beaucoup comme un des signes qui montrent la faible puissance de combat russe. Spécialiste des questions de défense et sécurité au quotidien britannique The Guardian, Dan Sabbagh relève que même les bombardements cruels et incessants contre les infrastructures énergétiques faiblissent. Il en veut pour exemple l'envoi d'environ 20 missiles de croisière sur l'Ukraine dans la nuit du Nouvel An, contre 80 à 100 en octobre et novembre, 69 encore début décembre.

Dans un entretien à la TV ukrainienne, cité par l'Institute of the Study of War, le chef du renseignement militaire ukrainien Budanov assurait quant à lui que la Russie serait passée de 60'000 obus par jour à 20'000.

"Aujourd'hui, les Ukrainiens ont clairement un ascendant opérationnel et moral. Ils sont optimistes sur leur futur et ont réussi à faire monter en compétences leurs brigades territoriales grâce à la formation de leurs officiers, avec l'aide notamment du Royaume-Uni et de la France", estime Cédric Mas, qui se refuse cependant à toute prospective.

"L'ascendant psychologique peut se perdre et tout peut basculer très vite dans un sens comme dans l'autre", souligne-t-il. Les Ukrainiens en particulier dépendent beaucoup de l'aide qu'ils recevront de leurs alliés et de quand celle-ci arrivera.

Des voeux sans ambiguïté

Côté russe, le succès des opérations futures passe par la recherche d'approvisionnements alternatifs pour les armes et pour la logistique. Du point de vue des ressources humaines, une faiblesse connue des forces armées russes, de nouvelles mesures pourraient - selon les autorités ukrainiennes - empêcher les hommes de moins de 55 ans de quitter le territoire à partir du 5 janvier.

Si cela pourrait aider à renflouer les effectifs, il n'est pas certain que cela résolve les problèmes d'encadrement et de formation exposés au grand jour depuis le début de l'opération spéciale en Ukraine, comme le Kremlin s'obstine à appeler cette guerre.

De telles mesures rappellent que la Russie "a un problème de ressources humaines, tout simplement parce que la façon dont les forces russes mènent leurs opérations est très consommatrice de vie humaine", note mardi Cyrille Bret, chercheur associé à l'Institut Jacques Delors, spécialiste de la Russie, dans l'émission Tout un monde de la RTS.

La Russie peut encaisser un tas de pertes humaines, l'Ukraine n'a pas le droit à l'erreur

Cédric Mas, historien militaire

Dans ses voeux, le président russe Vladimir Poutine n'avait laissé planer aucun doute quant à ses intentions en Ukraine, affirmant avoir la "justesse morale" de son côté. Quelques jours auparavant, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov s'était pour sa part dit "convaincu" que la Russie atteindrait ses objectifs en Ukraine à force de "patience" et d'"entêtement".

Dans son viseur figure notamment, la reconnaissance de quatre régions ukrainiennes dont Moscou revendique l'annexion, un point sur lequel Kiev, qui veut récupérer l'intégralité de son territoire, exclut de discuter.

Vladimir Poutine a choisi le terrain pour adresser ses voeux à la population russe. [Keystone - Mikhail Klimentyev, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP]
Vladimir Poutine a choisi le terrain pour adresser ses voeux à la population russe. [Keystone - Mikhail Klimentyev, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP]

"Nous sommes malheureusement dans une guerre qui va durer plusieurs mois, plusieurs années, tout simplement parce que les autorités russes ne peuvent pas arrêter les hostilités avant d'emporter une victoire. Elles ont placé leur crédibilité personnelle dans cette opération. Elles sont condamnées au succès, de leur point de vue", observe encore Cyrille Bret.

Offensive après l'hiver

Selon les services de renseignements occidentaux, Vladimir Poutine prépare une nouvelle offensive d'envergure une fois l'hiver passé. "Le premier trimestre 2023 va être déterminant", a indiqué fin décembre le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, sur LCI.

"[Nous nous attendons à] une contre-attaque plutôt terrestre, s'appuyant sur la mobilisation (...) Il y a encore d'énormes enjeux logistiques pour les Russes, qui font les affaires des Ukrainiens, et tant mieux. Mais il est clair que nous allons rentrer dans un moment de massification, lors duquel les Russes vont jeter toutes leurs forces dans la bataille, notamment sur des endroits précis du territoire", a-t-il ajouté.

La Russie envisage donc des opérations au sol, des combats d'infanterie et d'artillerie, quitte à faire de nombreuses victimes, y compris dans ses rangs. Reste à savoir si, côté ukrainien, on optera pour une posture défensive ou si, comme pour la contre-offensive contre Kherson, la stratégie sera plutôt de prendre l'ennemi par surprise, là où il ne l'attend pas.

Juliette Galeazzi

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Une attaque russe depuis la Biélorussie?

Au cours des dernières semaines, la Biélorussie a annoncé une vague d'activités militaires, notamment des vérifications de l'état de préparation et un nouveau déploiement de troupes russes dans le pays. Ces manœuvres ont amené des responsables ukrainiens à suggérer que la Russie pourrait préparer une nouvelle attaque contre l'Ukraine via le territoire biélorusse, comme elle l'a fait sans succès au début de sa guerre en Ukraine.

Alexandre Loukachenko a en outre accueilli le président russe Vladimir Poutine à Minsk, dans le cadre d'une rare visite à l'étranger pour le chef du Kremlin. Cette visite a fait craindre que Vladimir Poutine ne cherche à convaincre la Biélorussie de se joindre à sa campagne militaire en Ukraine, ce qu'Alexandre Loukachenko a jusqu'à présent refusé de faire.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que les informations faisant état de tels plans étaient "sans fondement" et "stupides".