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Contre la déforestation, le traçage par images satellite des produits importés

Déforestation pour la plantation d'avocats à Cheran au Mexique en janvier 2022, Fernando Llano, Keystone
Traçage de la déforestation / Tout un monde / 5 min. / le 13 décembre 2022
Pour lutter contre la déforestation, l'UE a décidé d'interdire l'importation de biens dont la production contribue à mettre à mal les forêts. Face à cette réglementation, le traçage des produits s'avère un défi de taille, et s'appuiera sur la géolocalisation et les images satellite.

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres avait été direct à l'ouverture de la COP15 sur la biodiversité à Montréal, la semaine dernière: "l'humanité est devenue une arme d'extinction massive qui traite la nature comme des toilettes et, finalement, se suicide par procuration".

Pour traiter un peu moins la nature comme des toilettes, l'Union européenne a fait un pas contre la déforestation. Dès 2024, les pays membres ne pourront plus importer de soja, cacao, café, caoutchouc, huile de palme ou autres si ces matières premières ont été produites grâce à la déforestation. Cet accord doit encore être approuvé par le Parlement européen.

>> Lire : L'UE interdit l'importation de produits issus de la déforestation

Mais une fois qu'on a décrété cette interdiction, il faut la mettre en oeuvre, pouvoir vérifier. Les douanes doivent pouvoir vérifier que les produits ne proviennent pas de zones fraîchement déboisées grâce à des coordonnées GPS et des images satellite.

Contrôle par les entreprises importatrices

Cette demande de traçabilité des produits est une vraie avancée, selon les organisations environnementales. L'Union européenne est en effet à l'origine de 16% de la déforestation mondiale par le biais de ses importations.

Plutôt que de recourir à des certifications qui n'ont pas prouvé leur efficacité, la nouvelle réglementation fait reposer sur les entreprises importatrices toute la chaîne de contrôle.

Des satellites d'observation prennent des photos au quotidien de quasiment tous les endroits du globe. Ils vont permettre de comprendre les dynamiques à l'oeuvre et les caractéristiques de la forêt.

Wendy Carrera, responsable des services digitaux au département défense et espace d'Airbus

Prenons le cas d'un fabricant de chocolat par exemple: il devra fournir les données de géolocalisation des parcelles où est cultivé le cacao et les images satellites qui s'y rapportent.

Le quadrillage caractéristique des plantations de palmiers à huile, ici sur l'île de Sumatra en Indonésie. [EPA/Keystone - Hotli Simanjuntak]
Le quadrillage caractéristique des plantations de palmiers à huile, ici sur l'île de Sumatra en Indonésie. [EPA/Keystone - Hotli Simanjuntak]

"Aujourd'hui, on a des satellites d'observation à plusieurs centaines de kilomètres de la Terre, qui prennent des photos au quotidien de quasiment tous les endroits du globe. Ils vont permettre de dire s'il y a forêt ou non, et surtout de comprendre les dynamiques à l'oeuvre et les caractéristiques de la forêt", explique Wendy Carrara, responsable des services digitaux au département défense et espace d'Airbus, qui travaille depuis de nombreuses années dans le domaine de l'imagerie satellitaire.

"Par exemple, une forêt de palmiers plantée pour l'huile de palme peut être déforestée pour la récolte, et cela va être différent d'une forêt naturelle", illlustre-t-elle. Et selon la responsable, la meilleure façon de vérifier ces données, c'est de le faire via la géolocalisation des différentes parcelles et la preuve par l'image satellite. "Pour confirmer qu'à tel endroit, à telle adresse sur la planète, les arbres qui étaient là il y a quelques années y sont bien encore."

Chaîne d'approvisionnement à garantir

S'il est possible aujourd'hui de distinguer les forêts naturelles des autres ou de prouver que les parcelles n'ont pas été déforestées ces deux dernières années, ce ne sera toutefois pas suffisant, juge Andrea Carta, conseiller juridique de Greenpeace à Bruxelles.

Des sacs de cacao entassés pour le fret dans le port d'Abidjian, en Côte d'Ivoire. [AP/Keystone - Emanuel Ekra]
Des sacs de cacao entassés pour le fret dans le port d'Abidjian, en Côte d'Ivoire. [AP/Keystone - Emanuel Ekra]

"On devra avoir des informations aussi sur la chaîne d'approvisionnement. Où le cacao est-il récolté, par où va-t-il transiter, dans quel port va-t-il embarquer pour l'Europe? Il peut y avoir des risques de fraude avec certains fournisseurs. L'opérateur doit limiter les risques pour éviter qu'il y ait contamination des produits sans déforestation avec des produits d'origine incertaine", explique le juriste.

C'est seulement à ce moment-là que l'opérateur pourra fournir une déclaration de conformité aux douanes: tout comme l'importateur de cacao, l'exportateur de chocolat doit aussi garantir un standard de zéro déforestation.

La réglementation est donc exigeante, mais les douanes des pays membres n'auront pas la possibilité de vérifier les données de chaque entreprise. Les contrôles seront aléatoires, mais plus fréquents dans le cas où les produits viennent de pays à haut risque de déforestation.

Répercussion sur le prix des produits?

Les sanctions pourront atteindre jusqu'à 4% du chiffre d'affaires des entreprises. Quant à savoir si ces nouvelles exigences vont se reporter sur le consommateur et renchérir le prix du chocolat,Wendy Carrara nuance, l'imagerie satellitaire étant déjà très répandue.

"Toutes les données du programme Copernicus Sentinel et celle du programme Landsat de la NASA sont des données ouvertes, gratuites et accessibles à tous. Et en matière de données commerciales, il y a sur le marché une offre assez importante de capteurs", explique-t-elle. "C'est là où la réglementation va vraiment très loin: elle va démocratiser l'accès à tous ces outils pour des acteurs pour qui c'était auparavant trop compliqué, trop cher, ou carrément inaccessible."

Une zone déforestée au profit d'une plantation d'avocats, dans l'Etat du Michoacan au Mexique. [AP/Keystone - Fernando Llano]
Une zone déforestée au profit d'une plantation d'avocats, dans l'Etat du Michoacan au Mexique. [AP/Keystone - Fernando Llano]

Andrea Carta estime de son côté qu'il faut mesurer ces coûts supplémentaires à l'échelle des dommages causés aux forêts. "Ce coût est quand même inférieur à celui de la déforestation. Ce prix-là est une externalité négative -  une situation dans laquelle un agent économique provoque par son activité des effets négatifs sur la société, ndlr - qui n'est pas prise en compte dans le prix des produits que l'on consomme", fait valoir l'expert juridique.

Par ailleurs, la demande de produits zéro déforestation vient des consommateurs et consommatrices européens, et elle se justifie donc pleinement, souligne encore Andrea Carta.

Des lacunes

Pourtant, aux yeux des organisations environnementales, l'accord européen comporte aussi des lacunes. Notamment parce qu'il n'inclut pas les droits fondamentaux des peuples autochtones qui sont à la fois dépendants et gardiens de ces forêts.

Des champs cultivés, issus de la déforestation de la savane du Cerrado dans l'Etat de Bahia au Brésil. [AFP - Nelson Almeida]
Des champs cultivés, issus de la déforestation de la savane du Cerrado dans l'Etat de Bahia au Brésil. [AFP - Nelson Almeida]

Et puis la loi n'a pas été étendue aux autres écosystèmes, comme le Cerrado, une région de savane située principalement au Brésil, deuxième plus grand biome végétal du Brésil derrière la forêt amazonienne et menacée par les cultures de soja destinées à l'Europe.

Ce manque d'ambition pourrait encore être corrigé, grâce à une clause de révision qui permet d'espérer une extension de son champ d'application. Andrea Carta rêve notamment d'une loi similaire pour la production de poissons.

En attendant, les Etats et entreprises ont 18 mois pour s'adapter à la nouvelle réglementation européenne.

Sujet radio: Francesca Arigroffo

Adaptation web: Katharina Kubicek

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