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Comment le Brésil tout entier subit les conséquences de la déforestation

Une déforestation record en Amazonie pour un mois de mai. [AFP - Florian Plaucheur]
Au Brésil déforestation est synonyme de violence pour les peuples autochtones / La Matinale / 5 min. / le 18 octobre 2022
Les organisations environnementales estiment que le président Jair Bolsonaro est largement responsable d'une accélération de la déforestation ces dernières années au Brésil. Mais l'Amazonie n'est de loin pas la seule concernée et les conflits engendrés sont synonymes partout de violence pour les populations.

Lors du premier débat télévisé de l'entre-deux-tours de la présidentielle au Brésil dimanche dernier, l'ancien président de gauche Lula a une nouvelle fois accusé l'actuel chef de l'Etat Jair Bolsonaro de "jouer avec la déforestation" du pays.

>> Lire : Premier face à face entre Lula et Bolsonaro en vue de la présidentielle au Brésil

Si les ONG, les instituts de veille écologique ou les médias parlent régulièrement de la situation en Amazonie, la diminution rapide de la forêt et ses conséquences écologiques et humaines ailleurs au Brésil sont plus rarement évoquées.

C'est pourtant le cas particulièrement dans l'Etat du Mato Grosso do Sul, au sud du pays. Trop nombreux dans des réserves délimitées arbitrairement, les autochtones revendiquent une petite part de leurs terres ancestrales.

"Pour nous, c'est un désastre total"

"Tous les jours, on se lève et on voit que là où il y avait tant de forêt, maintenant il n'y a que du soja, de la canne à sucre et du maïs", a témoigné Simao Kaiowa dans La Matinale de la RTS. Depuis sa maison au toit de paille perchée sur une petite colline, la vue porte au loin vers les terres de ses ancêtres labourées par d'immenses tracteurs.

"Cela fait vraiment mal au cœur. Pour nous, c'est un désastre total", déplore ce membre de la communauté indigène Guarani, qui est un survivant: il a toujours une balle logée près du cœur suite à une attaque organisée par de grands agriculteurs.

Marche de protestation des peuples autochtones à Brasilia, 15.09.2022. [EPA/Keystone - Joedson Alve]
Marche de protestation des peuples autochtones à Brasilia, 15.09.2022. [EPA/Keystone - Joedson Alve]

Mais d'autres n'ont pas eu sa chance. A une heure de route, Valdelice Guarani Kaiowa déplore une augmentation de la violence depuis l'arrivée au pouvoir du président d'extrême droite Jair Bolsonaro.

"Ces quatre années, ça a été une lutte pour la vie. Beaucoup des nôtres sont morts, pas par la pandémie, mais par balles ou à cause des pesticides", précise-t-il. "Ces pesticides produits en Europe et aux Etats-Unis et qui sont répandus sur nos maisons".

En juillet dernier, une répression policière sur un territoire disputé a fait une victime parmi les autochtones. Puis un leader a été tué en août et un autre, rescapé d'une première embuscade, a fini par tomber sous les balles de tueurs à gages en septembre. 

Taux de suicide élevé chez les jeunes

Malgré ce climat de violence, le président du syndicat des agriculteurs locaux salue, lui, le travail des autorités actuelles. "On espère vraiment que ce gouvernement continue, parce qu'avec les gouvernements de gauche, on a eu de sérieux problèmes", confie Rodrigo Lorenzetti dans un entretien téléphonique avec la RTS.

"Il y avait des minorités d'autochtones encouragées et manipulées par des ONG étrangères pour envahir des propriétés privées", assure ce partisan de Jair Bolsonaro.

Au sein des réserves, la vie est marquée par la violence, les viols et les drogues. Les problèmes sociaux sont exacerbés par le manque de terres et l'abandon de l’Etat.

Agée de 13 ans, la nièce de Valdelice Guarani Kaiowa a été violée puis assassinée début septembre. Un suspect a été arrêté, mais sa famille pense qu'elle a été tuée en représailles de leur lutte pour la terre. Le jour même où son corps a été retrouvé, un jeune Guarani mettait fin à ses jours.

Nailson, fils d'une chamane locale, tente d'aider ses camarades face à un taux de suicide très important dans les communautés. "J'ai empêché 30 jeunes que je connais de se suicider. Moi-même je me suis déjà retrouvé en dépression, mais j'ai réussi à m'en sortir avec l'aide de ma mère et je repasse cette connaissance pour venir en aide aux autres".

Le demi-courage du Parlement européen

Dévastation totale sur les terres des indigènes Guarani Kaiowa. [Reuters - Lunae Parracho]
Dévastation totale sur les terres des indigènes Guarani Kaiowa. [Reuters - Lunae Parracho]

Le Parlement européen s'est montré très ambitieux pour bannir les produits issus de la déforestation en Amazonie et dans d'autres écosystèmes comme les savanes très répandues dans le sud du Brésil. Mais le texte final pourrait être moins audacieux et le Pantanal, immense zone humide au nord-ouest de l’Etat du Mato Grosso do Sul, ne sera pas inclus.

Pourtant, la déforestation explose ici aussi. Au sol, des vaches blanches contrastent avec la terre totalement noircie: un incendie a tout ravagé il y a moins de vingt jours. Depuis un avion affrété par Greenpeace, Klenner da Silva, qui arpente cette région depuis des années pour défendre les autochtones, se désole de la situation.

"La sécheresse est très importante. En 2020 et 2022, elle a été très intense, avec beaucoup d'incendies dans le Pantanal", rappelle-t-elle. "Depuis quatre ans, la monoculture gagne du terrain. L'agro-industrie détruit une partie de la végétation pour y installer du bétail, puis termine de nettoyer le terrain pour la monoculture du soja."

>> Lire : L'Amazonie brésilienne et le Pantanal ravagés par les flammes en octobre

Sans pouvoir compter sur le soutien des pouvoirs publics, l'un des principaux leaders locaux en appelle à la responsabilité des pays importateurs. "Tout ça, c'est pour l'exportation. Le soja produit ici, c'est pour nourrir le bétail", rappelle Alberto Terena. "Donc tant que le marché européen continuera à consommer ces produits, tout va empirer ici. Le monde doit en prendre conscience."

Encore pire en année électorale

Les années électorales sont traditionnellement synonymes de dévastation environnementale accélérée au Brésil, mais cette année est particulièrement à risque.

"Comme ils ne sont pas sûrs du résultat de cette élection, ils profitent du climat d'impunité actuel pour pousser leur avantage", explique Romulo Batista, qui travaille pour Greenpeace. Et "au cas où ce gouvernement n'obtient pas de nouveau mandat, il peut y avoir une véritable course pour profiter des mois qui restent jusqu'à la transition".

En pleine campagne présidentielle, les autochtones brésiliens espèrent très majoritairement un changement à la tête de l’Etat. Mais ils savent aussi que, quoi qu'il arrive, leur lutte est loin d'être terminée.

Jean-Mathieu Albertini/oang

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L'Etat de Bahia champion de la déforestation atlantique

Sur les six premiers mois de l'année 2022, c'est l'Etat de Bahia, dans le nord-est, qui détient le record national de la déforestation concernant la forêt atlantique (qui longe le littoral).

Plus de 7400 hectares ont été fauchés au premier semestre, ce qui représente l'équivalent de 49 terrains de football par jour.

Sur ce total, la commune de Baianópolis, dans l'ouest de l'Etat, a réussi à perdre à elle seule 1697 hectares (2056 terrains de football) durant la période.

Ces chiffres figurent dans la 3e publication 2022 du Système d'alerte de déforestation brésilien. Ils proviennent de l'Institut national d'études spatiales.