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L'Espagne choquée par un système qui permet aux violeurs d'éviter la prison

Des femmes réclamant plus de sévérité contre le viol lors d'un procès en 2019. [Reuters - Sergio Perez]
Des délits de viol sont jugés sans procès ni peine de prison en Espagne / Tout un monde / 4 min. / le 16 août 2022
En Espagne, environ un violeur identifié sur dix, selon une estimation, s'en sort sans peine de prison et même sans procès. Cette clémence est rendue possible par des "accords de conformité" passés entre la défense et l'accusation. L'évitement du traumatisme que peut représenter le procès permet souvent d'arracher l'accord de la victime.

Même si la péninsule ibérique est connue pour être pionnière en matière de lutte contre les violences sexuelles et la violence machiste, cela ne veut pas dire pour autant que des jugements pour le moins surprenants ne s'y produisent pas dans des affaires d'agression. Deux d'entre eux en témoignent. Divulgués fin juillet par la presse, ils ont beaucoup choqué dans le pays et préoccupent énormément les associations féministes et les personnes qui luttent contre les violences sexuelles.

La première affaire remonte à 2018. A Estepona, en Andalousie, deux policiers municipaux en uniforme droguent et violent une jeune fille de 18 ans à son domicile familial. Au final, il n'y aura pas de procès. Condamnés à deux ans de prison, les policiers ont vu leur peine suspendue. Ils ont indemnisé la victime à hauteur de 80'000 euros ‒ une somme payée par leurs parents ‒ et devront suivre un cours d’éducation sexuelle.

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Case prison évitée au final

S'il n'y a pas eu de procès, c'est parce que les parties, accusation comprise (lire encadré), ont établi un accord dit de conformité. Un tel accord n'est normalement pas autorisé pour les délits qui occasionnent des peines supérieures à cinq ans de prison, à l'instar des viols.

Mais comme en dessous tout ou presque peut se négocier, même pour des faits graves, le parquet et l'accusation s'entendent souvent pour ne pas rajouter de circonstances aggravantes afin de réduire la peine finale. C'est ce qui s’est passé dans l'affaire des deux policiers: au départ, le parquet et l’accusation réclamaient respectivement 30 et 33 ans de prison. Au final, une peine de deux ans a été prononcée.

Or, avec une sentence de deux ans, la prison peut être évitée. C'est notamment le cas de manière générale pour les condamnés sans antécédents, sans être automatique pour autant. Dans l'affaire d'Estepona, par exemple, deux des trois juges ont considéré que les accusés pouvaient éviter la prison. En revanche, le troisième juge était en désaccord et ne voyait aucune raison de pas envoyer en prison les deux policiers.

Un schéma qui se répète

Une autre affaire témoigne de ce système. Divulguée elle aussi fin juillet, les faits remontent à 2019. Un sexagénaire responsable d'une ferme dans la région de Murcie est reconnu coupable de viol avec violence d'une employée saisonnière paraguayenne. Après avoir fait six mois de prison préventive, le sexagénaire a bénéficié d'une peine clémente: il a écopé de deux ans au lieu des 12 à 15 encourus en cas de viol aggravé.

Là encore, le schéma est le même: après un accord du parquet et de la défense, la peine a été réduite à deux ans. Sans casier judiciaire, l’accusé est laissé libre et condamné à indemniser sa victime à hauteur de 6000 euros.

"Le sentiment qui reste, c’est que violer, c’est gratuit"

Aux yeux des associations féministes, l’effet dissuasif de tels jugements sur les accusés est loin d'être certain. Pour Yolanda Basteiro, le message envoyé à la société est même très préoccupant si les agresseurs ne vont pas prison grâce à un accord. "Le sentiment qui reste, c’est que violer, c’est gratuit. Comme si la faute revient à la victime, parce qu'elle ne s’est pas suffisamment défendue, de manière acharnée en risquant sa vie durant l’agression sexuelle. C'est quand même hallucinant", dénonce-t-elle avec colère.

Il est difficile de connaître avec précision le nombre de tels "accords de conformité" en Espagne, car il n’existe pas de chiffres officiels. Selon le quotidien espagnol El Pais, plusieurs études estiment que ces accords représentent 7 à 14 % des cas de viol. Il ne s'agit donc pas de cas isolés.

Sujet radio: Valérie Demon
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Ne pas revivre le traumatisme du viol lors du procès

Mais pourquoi les victimes donnent-elles leur accord pour éviter un procès? Pour la présidente de la Fédération des Femmes progressistes Yolanda Besteiro, c'est souvent parce qu'elles ne veulent tout simplement pas de procès afin d'éviter de revivre le traumatisme lié au viol.

"Elles veulent éviter d’être victimes une seconde fois, de revivre ce traumatisme dans un procès avec le public, le juge, les procureurs, les défenses et les accusations... Pour ces femmes, c’est très dur et très douloureux", a-t-elle expliqué mardi dans l'émission Tout un monde. "C'est aussi la raison pour laquelle, souvent, les victimes d’agressions sexuelles ne dénoncent pas un viol".

A cela s’ajoute le fait que les procès ou jugements se déroulent souvent plusieurs années après les délits, ce qui force les victimes à se replonger dans leur traumatisme. En 2021, un des procès pour viol a ainsi particulièrement marqué les esprits en Espagne, une affaire sordide où plusieurs hommes avaient violé une jeune femme de 18 ans. L’interrogatoire du parquet avait choqué le public, qui critiquait un manque de tact et d’empathie. Il avait aussi montré la réalité d’un procès, avec des questions très précises qui obligent les victimes à décrire encore une fois leur viol.