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Le gouvernement espagnol veut exhumer les disparus du franquisme

Des photos de victimes du franquisme lors d'une manifestation contre les crimes de la dictature. [AP Photo/Andres Kudacki]
Le gouvernement espagnol s'attaque aux séquelles du franquisme / Forum / 2 min. / le 19 septembre 2020
Le gouvernement de gauche espagnol défend un projet de loi qui s'attaque aux séquelles du franquisme et veut sortir des milliers de victimes de la dictature des fosses communes où elles gisent encore. Une "étape importante" dans un processus vieux de plus de 20 ans.

Selon les estimations des historiens et des descendants des victimes, plus de 100'000 victimes de la Guerre civile (1936-1939) remportée par Franco, qui a ensuite dirigé l'Espagne d'une main de fer jusqu'à sa mort en 1975, se trouvent encore dans ces fosses.

Le projet de loi de "mémoire démocratique" adopté mardi en conseil des ministres fera de leur recherche une "responsabilité d'État". Une carte de toutes les fosses sera élaborée et une banque d'ADN des victimes sera créée afin de faciliter leur identification.

Reconnaissance des victimes

"La mémoire, la justice et la réparation doivent être des questions d'État", a affirmé le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez sur Twitter.

"Aujourd'hui, nous faisons un pas de plus dans la reconnaissance des victimes de la Guerre civile et de la dictature (...), aujourd'hui, nous fermons un peu plus les blessures et nous pouvons regarder le passé avec dignité", a-t-il ajouté.

Ce projet de loi, qui devra être approuvé par le parlement, prévoit, par ailleurs, d'annuler les condamnations sommaires des républicains espagnols par la justice du régime franquiste.

Il entend également créer un parquet qui se dédiera aux enquêtes sur les violations des droits de l'Homme commises durant la Guerre civile et la dictature. Jusqu'ici, la Loi d'Amnistie de 1977 a empêché toute poursuite au nom de la transition vers la démocratie.

Un processus vieux de plus de 20 ans

"C'est une étape importante d'un processus vieux de plus de 20 ans, extrêmement long et sinueux". Et "tant que le gouvernement socialiste est au pouvoir, le projet a de bonnes chances d'avancer", juge Sébastien Farré, directeur exécutif de la Maison de l'Histoire de l'Université de Genève (UNIGE), interrogé dans Forum samedi.

A la question de savoir pourquoi une partie de la population a tant de peine à aborder cette période, ce spécialiste de l'Espagne contemporaine explique qu'à la fin de la Guerre civile, le régime a "construit sa légitimité sur sa capacité à assurer l'ordre et la paix en rappelant de manière constante que l'Espagne était divisée entre vainqueurs et vaincus".

Des chapelles extrêmement solides dans une partie des médias proches de la droite et dans l'église ont beaucoup de peine a aborder cette période d'une manière apaisée

Sébastien Farré, directeur exécutif de la Maison de l'Histoire de l'UNIGE

Au moment de la transition démocratique, après la mort du dictateur en 1975, l'idée s'est imposée que "la seule façon de passer outre cette division historique était d'avoir un régime politique modéré basé sur l'oubli, ou en tout cas la mise de côté de ces questions difficiles liées à la Guerre d'Espagne", explique Sébastien Farré.

Malgré "l'excellent travail des historiens espagnols", il reste "des chapelles extrêmement solides dans une partie des médias proches de la droite et dans l'église" avec des gens "qui ont beaucoup de peine a aborder cette période d'une manière apaisée", rappelle le chercheur.

Sébastien Farré, directeur exécutif de la Maison de l'histoire à l'Université de Genève. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]Keystone - Salvatore Di Nolfi
La portée politique du projet anti-franquiste en Espagne: interview de Sébastien Farré / Forum / 5 min. / le 19 septembre 2020

cab avec afp

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Une des priorités du gouvernement Sanchez

Arrivé au pouvoir en juin 2018, Pedro Sanchez a fait de la réhabilitation des victimes du franquisme l'une de ses priorités. Car près de 45 ans après le décès du "Caudillo" et la fin du régime franquiste, les plaies de la dictature sont encore ouvertes en Espagne, où la droite accuse la gauche de vouloir raviver les blessures du passé.

La droite critique sévèrement la gestion par le gouvernement Sanchez de la lutte contre le coronavirus et l'accuse de vouloir détourner l'attention des Espagnols.

Ce projet de loi s'inscrit dans la lignée d'une première loi de "mémoire historique", adoptée en 2007 par le parlement sous l'impulsion d'un précédent gouvernement socialiste dirigé par Jose Luis Rodriguez Zapatero et qui visait à reconnaître les victimes du franquisme.

Mais la mise en oeuvre de cette loi a été bloquée durant des années par le Parti populaire, au pouvoir de 2011 à 2018 avec Mariano Rajoy et qui est l'héritier d'une formation fondée par d'ex-ministres de Franco.

Mariano Rajoy se vantait ouvertement de ne pas avoir dépensé un euro d'argent public dans l'application de la loi de 2007.