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Comment la TV publique espagnole traite l'égalité homme-femme

Les Espagnoles sont descendues en masse dans la rue le 8 mars 2019 pour la Journée internationale des femmes. [Keystone - EPA/Emilio Naranjo]
Le rôle des médias dans la lutte pour l'égalité: l'exemple espagnol / Tout un monde / 7 min. / le 24 mai 2019
A l'approche de la grève des femmes du 14 juin, en Suisse, l'émission Tout un monde s'est intéressée à la manière dont l’audiovisuel public espagnol traite les questions d'égalité homme-femme au quotidien.

L'égalité homme-femme est devenue un thème important ces dernières années en Espagne. Ainsi, la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars a enregistré une mobilisation féministe sans précédent avec des millions de femmes dans les rues.

La Télévision publique espagnole (TVE) a décidé d'agir pour une meilleure égalité au quotidien.

Il y a plusieurs manières d'agir, à l'interne d'une part, pour que les hommes et femmes aient les mêmes droits au sein de l'entreprise audiovisuelle, mais aussi à l'antenne, avec la manière dont les médias traitent de ces thèmes dans leurs émissions pour éviter de reproduire un discours paternaliste ou sexiste.

Parler d'"assassinat"

Dans ce domaine, l'Espagne figure parmi les pays les plus avancés en Europe, mais le chemin a été long, concède Alicia Gomez Montano, rédactrice en chef en charge de l'égalité au sein de la Télévision publique espagnole (TVE), interrogée dans l'émission Tout un monde: "Pendant de nombreuses années, on n'avait même pas conscience qu'il y avait quelque chose à changer. Prenons l'exemple de la violence machiste, on la couvrait comme un événement ayant trait à la vie privée, à l'espace domestique, et on l'intégrait dans les sujets de faits divers. Mais un événement fondamental a changé les choses: la loi contre la violence de genre, votée en 2004. Ca a ouvert beaucoup de consciences. A partir de ce moment-là, on a cessé de parler de décès, mais bien d'assassinat. Et au lieu de dire: ce n'est qu'un cas de plus de violence domestique, on a commencé à dire clairement: c'est de la violence machiste".

Il s'agit de mettre en lumière l'aspect structurel, systématique de ces violences. Si une femme meurt toutes les semaines sous les coups de son conjoint en Espagne, ce n'est pas un hasard ni un fait divers, mais bien un problème de société. Qui ne concerne pas que l'Espagne d‘ailleurs; en Suisse, la violence domestique tue au moins une personne tous les 15 jours, et les médias n'en parlent presque pas, ou alors de manière sensationnaliste sous l'angle du fait divers, note l'association DécadréE, qui étudie la représentation des femmes dans les médias suisses.

Consignes déontologiques

La télévision espagnole a rédigé au fil des années des consignes déontologiques pour mieux couvrir ce type de violence: "On tente de mettre l'accent non pas sur la victime, sur comment elle a été assassinée, mais sur l'agresseur, pour ne pas victimiser la femme, ni la culpabiliser."

L'objectif est d'éviter un ton racoleur ou sensationnaliste. La rédactrice en chef Alicia Gomez Montano précise encore: "aujourd'hui nous avons des données et des statistiques suffisantes pour affirmer qu'une partie importante des agresseurs qui ont planifié l'assassinat de leur compagne, ou qui l'envisagent, sont excités quand ils voient, surtout à la télévision, des images de la victime sur le sol, ou du cercueil qu'on sort de la maison. Certains disent à leur femme en voyant ces images à la télévision: 'voilà comment tu vas terminer'. Nous devons arrêter d'utiliser ce genre d'images, et les remplacer par des images de l'agresseur ou de la victime lorsqu'elle était en vie".

Parité des intervenants

Au-delà des thèmes qui touchent à la violence, l'audiovisuel public espagnol a mis en place d'autres mesures, notamment concernant la question de la parité des intervenants à l'antenne. Aujourd'hui, en moyenne, la Télévision publique espagnole est presque parvenue à un même nombre d'invités hommes et femmes à l'antenne, ce qui est loin d'être le cas dans d'autres pays. Mais la TVE peut encore aller plus loin, estime Alicia Gomez Montano.

"On va se joindre à un projet existant de la BBC qui s'appelle 50/50, dans lequel chaque journaliste qui fait un sujet, que ce soit dans les programmes d'informations ou dans d'autres émissions, remplit une fiche, avec le nombre de femmes qui apparaissent dans son sujet, mais aussi combien de temps elles parlent, et en quelle qualité, comme employée de maison, économiste ou astrophysicienne?"

Sujet sur l'absence de femmes

La TVE s'est également beaucoup investie lors des grèves massives des femmes lors des journées internationales des femmes les 8 mars. Des programmes spéciaux dans les journaux d'information, mais aussi dans les magazines, les films du soir, ou les émissions pour enfants ont été réalisés le jour même et durant toute la semaine.  

"Je me souviens d'un très beau sujet pour les enfants sur l'absence de femmes au Musée du Prado, à Madrid. Il y a beaucoup de femmes peintres, mais elles sont au fond du musée, dans les sous-sols, elles ne sont pas exposées. Il n'y a que huit tableaux de femmes, de trois artistes, qui sont exposés sur plus d'un millier d'oeuvres", a encore expliqué Alicia Gomez Montano.

Discours agressif de l'extrême droite

L'audiovisuel public espagnol a soutenu la grève ouvertement, convaincu que la lutte pour l'égalité est une cause universelle, transversale, qui concerne les droits fondamentaux et se situe au-delà des appartenances politiques. Il existe en Espagne un certain consensus autour du thème de l'égalité, même si la droite freine sur des questions concrètes comme l'avortement ou l'éducation sexuelle.

Mais l'arrivée fulgurante du parti d'extrême droite Vox dans l'arène politique a un peu modifié les choses, avec un discours très agressif à l'égard des mouvements féministes: "Je le vois comme une réaction néo-machiste aux progrès qui ont été réalisés depuis la fin de la dictature il y a 40 ans", relève Altamira Gonzalo, avocate et présidente du conseil consultatif pour l'égalité au sein du parti socialiste espagnol.

>> Comment ça se passe à la RTS? Ecouter l'interview de Laurent Caspary, rédacteur en chef de l'actu radio de la RTS:

"Les Espagnols sont des précurseurs en la matière, la réflexion n'a pas encore été menée en Suisse", explique Laurent Caspary:

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Isabelle Cornaz/lan

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