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L'Autriche, eldorado du ski, se prépare à une nouvelle ère sans neige

La station de Seefeld dans le Tyrol autrichien. [Robert Harding Premium / robertharding/ AFP - Christian Kober Robert Harding]
Comment les stations de ski autrichiennes font-elles face au réchauffement climatique? / Tout un monde / 5 min. / le 6 mars 2019
L'Autriche, première destination mondiale pour les skieurs, a vendu près de 55 millions de journées de ski l'hiver dernier. Les effets du changement climatique forcent toutefois les stations à adapter leur stratégie pour survivre.

Avec près de 55 millions de journées ski vendues l'hiver dernier - selon les chiffres de la Chambre de commerce autrichienne - le ski est un secteur clé de l'économie du pays. Les conséquences du changement climatique se font toutefois déjà sentir dans de nombreuses stations de ski.

Murau, petite bourgade autrichienne de la région autrichienne de Styrie (sud-ouest), accueille depuis des décennies les skieurs d'Autriche et d'ailleurs. Plusieurs stations de ski entourent et animent ce village de 3600 habitants. Parmi elles, Frauenalpe. Longtemps station favorite des locaux, elle a dû fermer ses portes en 2016.

Station fermée, économie affaiblie

"Frauenalpe a fermé à cause de la baisse massive des chutes de neige. L'exploitant n'a malheureusement pas pu faire les investissements nécessaires en temps voulu", relate le maire de Murau Thomas Kalcher dans l'émission Tout un monde. Cette fermeture a eu évidemment des conséquences: affaiblissement de l'économie locale, avec une baisse des offres d'emplois dans certains secteurs. "Dieu merci, toutes les autres stations de ski aux alentours ont, elles, massivement investi dans des infrastructures", indique Thomas Kalcher.

C'est le cas de Kreischberg, à quelques kilomètres de là. Située entre 850 et 2200 mètres d'altitude, la station de ski subit déjà, comme beaucoup d'autres, les effets du réchauffement climatique, aux premiers rangs desquels la raréfaction de la neige naturelle en dessous de 1300 mètres d'altitude.

Changer de modèle

"Nous avons investi plusieurs millions d'euros dans des installations d'enneigement de Kreischberg", explique l'exploitant Karl Fussi. "Cela nous permet d'avoir aujourd'hui 150 canons à neige pour une surface totale de pistes de 140 hectares, et ainsi de couvrir de neige artificielle plus de 90% de nos pistes."

Mais Kreischberg ne s'arrête pas là. La station propose de plus en plus d'activités d'hiver en dehors du ski, et promeut le tourisme de montagne estival en vue d'un avenir où la neige sera de plus en plus rare, ce qui changera le modèle actuel des stations alpines.

"Nous nous attendons à une hausse des températures de 2 à 4 degrés d'ici la fin du siècle", explique Marc Olefs, chercheur à l'Institut autrichien de météorologie. Conséquence: la quantité de précipitations solides va continuer à baisser, il y aura davantage de pluie et moins de chutes de neige. "On devrait pouvoir continuer à skier jusqu'en 2050, mais les coûts d'investissement pour les infrastructures vont fortement augmenter. Après cette date, en revanche, cela dépendra vraiment de l'action humaine et de notre capacité à lutter contre le changement climatique", estime-t-il.

Le tourisme d'hiver, sérieuse manne financière

Face à ce constat, l'Autriche s'inquiète. Dans ce pays recouvert aux deux tiers par les Alpes, le tourisme d'hiver est une manne financière importante, représentant 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires l'hiver dernier. Le problème est donc pris très au sérieux par Ulrike Rauch-Keschmann, responsable du tourisme au sein du ministère de l'Environnement.

"Près de 20 millions de touristes sont venus l'hiver dernier en Autriche, ce qui représente plus de 70 millions de nuitées", indique-t-elle. "Sans ce tourisme, il n'y aurait plus de vie de village dans de nombreuses communes, plus d'infrastructures, plus d'économie. Il y a donc eu ces dernières années des investissements massifs, notamment dans les infrastructures des stations de ski: pour l'enneigement mais aussi pour améliorer le confort et la qualité. Ce sont ainsi des millions d'euros qui sont investis chaque année par les exploitants."

Critiques sur la durabilité

Ces mesures sont toutefois critiquées par plusieurs ONG, à l'instar de Global 2000. Pour Johannes Wahlmueller, spécialiste climat au sein de l'association, il est indispensable que le tourisme d'hiver prenne le virage de la durabilité.

"Ces dernières années, la technologie du type canons à neige s'est développée très vite, on y a investi des milliards d'euros mais cela consomme beaucoup d'énergie sale, qui vient du charbon ou du nucléaire que nous importons. Ce n'est donc pas une solution durable et en plus, cela ne nous aide pas sur le long terme car avec la hausse attendue des températures, on sait que cette technologie ne fonctionnera plus", indique-t-il.

Pertes annoncées pour le tourisme

De manière plus générale, Johannes Wahlmueller dénonce un manque de vision à long terme. "Le gouvernement ne se projette que sur des périodes électorales et les acteurs économiques ne pensent qu'à la prochaine période d'investissement. Jamais sur un temps plus long", regrette-t-il.

Car même avec l'investissement dans les technologies, le dérèglement climatique aura un impact financier certain sur le tourisme, rappellent les ONG. D'après une étude de 2015, le secteur touristique autrichien pourrait perdre 300 millions d'euros par an en moyenne jusqu'en 2050, à cause des effets du changement climatique.

Isaure Hiace/kkub

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