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"Accélérer ou mourir", le credo des accélérationnistes pour dépasser le capitalisme

L'intelligence artificielle. [Depositphotos - sdecoret]
Accélérationnisme: le voyage politique d'une philosophie émergente dans la tech / Tout un monde / 6 min. / le 27 mars 2024
Mouvement émergeant qui gagne en popularité dans la Silicon Valley,"l'accélérationnisme" prône l'intensification sans limites du capitalisme porté par des technologies de plus en plus performantes. Issue de la gauche, cette philosophie est aujourd'hui récupérée par une partie des suprémacistes blancs américains.

L'accélérationnisme est un terme revenu à la mode aujourd'hui avec les "accélérationnistes efficaces", un groupe formé en ligne en 2022, sur Twitter space principalement. Ils plaident pour un développement sans entraves de l'intelligence artificielle et d'autres technologies émergentes, sans garde-fous pour freiner l'innovation. Leur credo: "accélérer ou mourir".

De nombreux entrepreneurs, ingénieurs, investisseurs et influenceurs se sont identifiés au mouvement, comme Peter Thiel, cofondateur de Paypal et premier investisseur de Facebook, ou encore Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump.

Les accélérationnistes considèrent que les nouvelles générations de téléphones, d'ordinateurs, sont en réalité des innovations extrêmement marginales

 Laurent de Sutter, philosophe spécialiste de l'accélérationnisme

Les origines du mouvement remontent toutefois à plus d'une décennie. En 2013, deux universitaires anglais, Alex Williams et Nick Srnicek, de gauche, néo-marxistes, publient le manifeste de l'accélérationnisme.

Selon eux, le néolibéralisme est à l'arrêt, explique dans l'émission Tout un monde Laurent de Sutter, philosophe qui a dirigé une collection de textes sur ce mouvement. Pour les fondateurs du mouvement, explique-t-il, "le monde ne s'accélère pas du tout, le monde ralentit".

Alex Williams et Nick Srnicek considèrent que "ce que l'on voit autour de nous, ce n'est pas tellement des innovations. Les nouvelles générations de téléphones, d'ordinateurs, les nouvelles applications lancées à chaque instant, les NFT, sont en réalité des innovations extrêmement marginales, toutes petites, des espèces de micro-innovations dont les entrepreneurs cherchent ensuite à capter un maximum de rentes", précise Laurent de Sutter.

Vers un monde post-capitaliste

Les deux accélérationnistes estiment que la gauche est paralysée et incapable de générer des idées nouvelles. Ils ne sont pas des adeptes des ZAD, ni de la décroissance. Ils appellent à dépasser la phobie de la technologie, détaille Yves Citton, traducteur du manifeste accélérationniste.

"Il y a des choses à prendre dans la technologie - même si ça a été mis en place par le capitalisme - pour dépasser le capitalisme. Il peut y avoir une écologie qui n'est pas un retour à la nature, un retour en arrière, un retour au calme ou à la lenteur. Mais on doit accélérer certaines possibilités techniques qui montrent que c'est le capitalisme qui retarde le progrès", poursuit Yves Citton.

Est-ce qu'on peut se remettre à créer de l'innovation qui ne soit pas simplement capitalistique, mais qui puisse ensuite avoir un impact social, politique?

Yves Citton, traducteur du manifeste accélérationniste

L'idée consiste à dépasser le capitalisme par la droite, en poussant au maximum la logique du progrès technologique émancipateur pour accéder au plus vite à un monde post-capitaliste. Pour Laurent de Sutter, cet accélérationnisme de gauche voit le progrès technologique avec un nouveau regard.

"Est-ce qu'on peut se remettre à créer de l'innovation qui ne soit pas simplement capitalistique, mais qui puisse ensuite avoir un impact social, politique, un impact sur nos conditions générales de vie - y compris les conditions environnementales - qui soit de plus grande ampleur?"

Une idée reprise par l'extrême droite

Cette idée se retrouve aujourd'hui dans le discours des suprémacistes blancs américains, les alt-right. Nick Land, philosophe britannique aux idées racistes et eugénistes, s'est approprié le mot. Pour lui, il faut toujours accélérer, intensifier et surtout exacerber l'autodestruction du système capitaliste.

"A partir d'une source commune, une accélération de gauche et des gens à l'extrême droite, l'alt-right américaine se dit finalement 'tant pis si plein de gens meurent, de toute façon ce sont des pauvres dans les pays pauvres, accélérons tout ça pour qu'on soit entre nous et que ça se passe mieux'", analyse Yves Citton.

Miruna Coca-Cozma/asch

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