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"Il va manquer de la main-d'oeuvre dans l'horlogerie pour perpétuer nos métiers"

Manque de main d'œuvre dans l'horlogerie: le secteur aura besoin de 4'000 professionnels d'ici 2026
Manque de main d'œuvre dans l'horlogerie: le secteur aura besoin de 4'000 professionnels d'ici 2026 / 19h30 / 2 min. / le 10 décembre 2022
Pour Karl-Friedrich Scheufele, coprésident de Chopard, l'avenir s'annonce difficile pour la branche de l'horlogerie, qui manque cruellement de main-d'oeuvre. La Convention patronale de l'industrie horlogère (CP) estime qu'il faudra former et recruter près de 4000 professionnels d'ici à 2026.

On commençait à s'habituer aux fluctuations conjoncturelles de l'industrie horlogère. Mais aujourd'hui, le défi est inédit. Depuis que la CP a commencé en 1992 à mener ses enquêtes sur les besoins en personnel, c'est la première fois que le manque de main-d'oeuvre se montre aussi profond. D'ici 2026, il faudra recruter ou former un total de 3835 collaborateurs, soit une augmentation de 12,5% des besoins.

Comme si cela ne suffisait pas, les résultats de l'enquête sont sortis le jour même où la RTS révélait que Rolex comptait s'implanter à Bulle (FR), avec 2000 postes à la clé d'ici 2029.

>> A relire : Rolex souhaite créer un nouveau site de production à Bulle avec 2000 emplois

Pour Karl-Friedrich Scheufele, interrogé dans le 19h30, la formation duale est cruciale. "Mais il est certain que la trentaine d'apprentis que nous formons au minimum chaque année ne suffiront pas pour combler nos besoins. Il faudrait le double, voire le triple", estime le coprésident de Chopard.

Globalement, la majorité des postes à pourvoir d'ici 2026 sont le fait de départs à la retraite (2369), auxquels s'ajoutent 1466 nouveaux emplois, nécessaires pour soutenir la croissance.

Des exportations record

Comment la Suisse, pays des montres, en est arrivée à un tel manque de main-d'oeuvre? Selon Marion Vermot, la responsable du service de la Formation professionnelle à la Convention patronale de l'industrie horlogère, cette situation s'explique par une "économie favorable, avec des exportations horlogères qui sont vraiment très bonnes".

Les chiffres publiés par l'Administration fédérale des douanes le confirment. En 2021, la valeur des exportations horlogères a atteint un nouveau record: 22,3 milliards de francs, après une faible année 2020 (16,9 milliards) marquée par la pandémie.

Aujourd'hui, la croissance reste significative pour l'année 2022, avec déjà 20,4 milliards de francs exportés sur les 10 premiers mois de l'année.

Ces métiers que l'on voulait remplacer par des machines

La bonne santé de l'industrie du luxe n'explique toutefois pas à elle seule la pénurie de main-d'oeuvre. La branche paie aussi les conséquences du manque de formation sur certains métiers. "Il y a quelques années, on prédisait la disparition de plusieurs professions, en pensant qu'elles seraient remplacées par des machines. On pensait cela, par exemple, des métiers du polissage", précise Marion Vermot.

C'était sans compter la montée en puissance de la haute horlogerie, qui privilégie les opérations manuelles. Naël Rexhepi, 19 ans, est apprenti termineur en habillage horloger chez Chopard. Au moment de faire ce choix, il ne s'était pas laissé décourager par le risque d'automatisation de sa profession. "C'est sûr qu'on se dirige vers une ère où il y aura plus de machines. Une partie des polisseurs seront remplacés, mais pas tous. Pour beaucoup d'entreprises, le fait de dire qu'une pièce n'est plus polie à la main enlève du prestige à la montre et au bijou."

Naël Rexhepi, apprentis CFC de termineur en habillage horloger. [RTS]
Naël Rexhepi, apprentis CFC de termineur en habillage horloger. [RTS]

Recherche (presque) tous les métiers

Une fois diplômé, dans un peu plus d'un an, Naël Rexhepi sera très attendu sur le marché de l'emploi. Presque tous les métiers techniques du secteur sont cernés par la hausse des besoins. Dans le trio de tête, on retrouve les métiers du polissage-termineur en habillage horloger (+54%); les qualiticiens en microtechnique (+24%), un nouveau métier créé il y a seulement deux ans; et les opérateurs en horlogerie (+18%).

Des apprentis comme Naël, il en manque donc beaucoup pour remplir l'objectif. Selon Karl-Friedrich Scheufele, Chopard est l'une des dernières sociétés en Suisse romande à former des bijoutiers. Il faudrait en faire bien plus, dans l'horlogerie comme la bijouterie. "Nous étudions toutes les possibilités qui existent pour combler ce besoin. Mais en fin de compte, pour perpétuer nos métiers, il va manquer du monde", déplore-t-il.

Actuellement, une quarantaine de postes sont ouverts dans la production, entre Meyrin (GE) et Fleurier (NE). "Pour les cinq prochaines années, le rythme de 50 à 60 postes par an à pouvoir n'est pas exagéré", anticipe Karl-Friedrich Scheufele, deuxième génération de la famille Scheufele, qui a succédé aux Chopard.

Un signal positif pour l'horlogerie

En attendant, pour attirer des jeunes qui se dirigent toujours plus vers des études académiques, les acteurs de la branche multiplient les opérations séduction. "Nous sommes présents dans des salons comme la Cité des métiers, ou les SwissSkills, qui ont réuni 120'000 visiteurs à Berne. Avec cela, on espère remettre en marche la machine", souligne Marion Vermot.

A l'échelle de l'entreprise, ce marché totalement sec de l'emploi a de quoi contrarier les recruteurs. Mais concernant l'horlogerie suisse, en particulier celle du luxe, elle peut se targuer de croire en son avenir, en anticipant la création d'un nombre aussi important de travailleurs, dans un contexte où certains secteurs tirent la langue.

Feriel Mestiri

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