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En finir avec le mythe d'une transition heureuse pour agir concrètement pour le climat

L'économiste belge Christian Gollier, directeur de la Toulouse School of Economics. [AFP - Pascal Pavani]
La transition écologique à quel prix? Interview de Christian Gollier / Tout un monde / 12 min. / le 5 juillet 2022
Annoncé depuis plusieurs décennies, le changement climatique est désormais un enjeu concret des prochaines années. Son intensité déjoue même les hypothèses des scientifiques, trop optimistes. Pour l'économiste libéral Christian Gollier, l'inertie politique en la matière est due à une absence globale de prise de conscience.

Il y a 40 ans, on savait tout de la catastrophe climatique à venir. On avait les connaissances et l'émergence des technologies nécessaires, mais rien de suffisant n'a été mis en oeuvre. Et même aujourd'hui, les choses ne semblent pas évoluer. Le psychologue américain Keith Larson, chef du Centre de recherche sur les impacts climatiques, posait ce constat fataliste en novembre dernier, en amont de la COP26.

Interrogé dans l'émission Tout un monde, il déplorait les réponses politiques inadéquates et insuffisantes, basées sur des discours de responsabilité individuelle, de "compensation carbone" puis sur d'hypothétiques "émissions négatives" promises par des technologies qui n'existent pas encore, et dont on suppose qu'elles procureront un intérêt économique. Pendant ce temps, sur le terrain, la machine climatique a commencé à s'emballer.

>> Écouter l'interview de Keith Larson dans Tout un monde :

Keith Larson, chef du Centre de recherche sur les impacts climatiques à Abisko, en Laponie suédoise. [AFP - Jonathan Nackstrand]AFP - Jonathan Nackstrand
Le psychologue Keith Larson a peu d'attentes concernant les conférences sur le climat / Tout un monde / 6 min. / le 4 juillet 2022

>> Lire à ce sujet : "On avait tout en main il y a 40 ans pour éviter la catastrophe climatique", fustige un chercheur

Maintenant que les choses deviennent plus concrètes, que les phénomènes extrêmes augmentent en fréquence et en intensité et que même les scientifiques sont surpris parce que leurs hypothèses étaient trop optimistes, on rechigne toujours à faire les pas décisifs qui permettraient de limiter le réchauffement.

Abattre le mythe de la transition heureuse

L'économiste de l'environnement belge Christian Gollier, directeur de la Toulouse School of Economics, a contribué à deux rapports du GIEC. D'après lui, pour comprendre ces blocages sous l'angle économique, il faut d'abord réaliser l'ampleur des sacrifices à faire. Or, les discours politiques autour du changement climatique ont créé et ancré des croyances tenaces. "Depuis 30 ans, on nous vend une transition énergétique heureuse, qui nous permettrait de créer des emplois et de réduire notre facture d'électricité. La réalité est tout à fait différente!"

"Il y a un manque de compréhension, de la part du public, de la réalité des coûts et des sacrifices qu'il faut engager pour réaliser une transition respectueuse des générations futures", estime-t-il. Et la problématique est d'autant plus complexe qu'il n'y a pas de consensus autour des sacrifices précis à réaliser.

Myopie tragique

Et, souligne-t-il, il y a la "tragédie des horizons", une expression née dans le milieu de la finance pour désigner le fait que les intérêts des investissements à court terme entrent en concurrence avec les décisions à prendre sur le long terme. "Les efforts que vous faites maintenant porteront leurs effets dans 50 à 100 ans. Donc effectivement, il faut avoir une vision longue et une vraie compréhension des enjeux intergénérationnels pour percevoir l'entièreté de la nécessité de faire ces sacrifices", explique Christian Gollier.

"Mais le court-termisme des gens et des marchés financiers fait que les investissements qu'il faudrait réaliser ne sont pas toujours faits." Selon l'économiste, c'est en partie à cause de cette "myopie économique" que les bonnes décisions à prendre pour nos modes de vie et nos modes de production sont toujours remises à plus tard.

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Dans les mains du secteur privé

Pour lui, la solution ne réside pas dans la "planification écologique", au coeur du programme de la gauche française lors des dernières élections présidentielle et législatives. "La planification écologique, c'est faire l'hypothèse que l'Etat est capable de tout décider et d'imposer un certain nombre d'actions."

"Le revenu d'une taxe carbone ne doit pas être utilisé pour éponger les déficits, mais pour compenser les ménages les plus modestes. Voilà ce qu'il faudrait faire pour créer une vraie coalition politique. Mais ça, ça n'a jamais été fait nulle part."

Christian Gollier

Or, selon lui, la réalité est tout autre. "Le secteur privé et les ménages contrôlent leurs décisions d'émettre ou de ne pas émettre de CO2. La solution, c'est donc de les inciter à faire ces efforts à l'aide de taxes correspondantes aux dommages", estime-t-il.

Manque de courage politique

La transition écologique est aussi un problème éminemment social, qui pose la question de la redistribution. Car les efforts nécessaires de décarbonation de l'économie auront un impact sur les prix. Pour Christian Gollier, c'est le principe de pollueur-payeur qui doit s'appliquer: il faut mettre un prix sur le carbone, imposer à chacun de payer une taxe proportionnelle à ses émissions de CO2, et redistribuer ce revenu fiscal vers les ménages les plus modestes.

"Ça permettrait de lutter en même temps contre le changement climatique et les inégalités sociales. Mais ça nécessite du courage politique. En France, par exemple, ça nécessiterait que le ministère des Finances reconnaisse que ce revenu supplémentaire ne doit pas être utilisé pour éponger les déficits, mais pour compenser, voire surcompenser, les ménages les plus modestes. Voilà ce qu'il faudrait faire pour créer une vraie coalition politique en faveur d'un mouvement massif de réduction des émissions de CO2", juge l'économiste. "Mais ça, ça n'a jamais été fait nulle part."

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Texte web: Pierrik Jordan

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"Paradoxes cognitifs" dans nos changements d'habitudes

Alors que les discours - parfois culpabilisants - autour des changements de comportements à adopter dans le contexte de la crise climatique se multiplient, de plus en plus de personnes cherchent à ajuster leurs habitudes de consommation. Mais les changements concrets ne sont pas toujours faciles. Entre nos paroles et nos actions, il y a souvent des paradoxes.

Pour le psychologue Yves François, fondateur d'une agence spécialisée dans les stratégies de changement de comportement, ces divergences s'expliquent par la dualité, dans le cerveau, entre les systèmes chargés de la récompense et les parties du cerveau plus évoluées qui cherchent à créer du sens à nos actions.

"Le striatum a assuré notre survie, il a créé une société d'abondance. Mais en faisant ça, on a été une espèce qui a extrêmement bien réussi mais qui a elle-même produit sa perte", estime-t-il. Il note toutefois que "certaines nouvelles générations" pourraient être capables de mieux concilier ces deux aspects, notamment en faisant partie de groupes sociaux qui fonctionnent différemment.

S'il reste plutôt pessimiste sur notre capacité à changer, Yves François souligne le rôle essentiel des relations sociales dans l'éventuelle évolution de nos comportements. "Et probablement qu'il va falloir inventer une nouvelle forme d'économie", conclut-il.

>> Écouter son interview dans La Matinale jeudi :

Pourquoi est-ce si difficile de faire les bons gestes pour la planète? Interview d'Yves François (vidéo)
Pourquoi est-ce si difficile de faire les bons gestes pour la planète? Interview d'Yves François (vidéo) / Alter Eco / 6 min. / le 7 juillet 2022