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Les révélations sur Credit Suisse ont peu d'impact sur une Bourse suisse "accoutumée" aux scandales

Crédit Suisse est accusé d’avoir accepté des milliards de francs de clients douteux
Crédit Suisse est accusé d’avoir accepté des milliards de francs de clients douteux / 19h30 / 2 min. / le 21 février 2022
Suite aux révélations des "Suisse Secrets", la banque Credit Suisse a vécu une matinée compliquée en bourse. À midi, l'action du groupe était en baisse d’environ 2%. L'indice de la Bourse suisse (SMI) est quant a lui resté stable.

Les révélations de la presse internationale sur les pratiques de la banque, qui aurait hébergé durant des décennies et en connaissance de cause des milliards de francs d'origine illicite ou criminelle, ne sont pas sans conséquences sur la Bourse suisse. Mais l'impact reste limité.

A 10h31, l'action Credit Suisse était en baisse de près de 3% (8,2 francs), après avoir perdu près de 2% dès les premiers échanges. L'indice SMI, lui, s'affichait dans le vert (+0,33%).

"Ce n'est pas gigantesque", a commenté lundi dans le 12h30 de la RTS Luc Thévenoz, directeur du Centre de droit bancaire et financier de l'Université de Genève. Selon lui, cette relative stabilité témoigne d'une certaine accoutumance des acteurs financiers, qui "se disent que ce n'est qu'un leak de plus, et que les conséquences pour la banque ne sont peut-être pas aussi catastrophiques que la première émotion peut laisser penser".

>> Ecouter l'interview de Luc Thévenoz dans le 12h30 lundi :

Le professeur Luc Thévenoz.
Les investisseurs restent sereins malgré les révélations sur Credit Suisse: interview de Luc Thévenoz / Le 12h30 / 3 min. / le 21 février 2022

"Prématuré pour tirer des conclusions"

Si Credit Suisse dément et assure que des mesures ont été prises autour des comptes pointés du doigt, cette dernière affaire semble mettre à nouveau en évidence un problème de culture du risque au sein de l'établissement. "Credit Suisse admet ce problème", note Luc Thévenoz. "Ils ont commencé de reprendre les choses en main, avec un succès mitigé."

"Est-ce que ces révélations-là, qui portent sur une longue période et avec des révélations qui semblent a priori assez floues, confirment cette culture? C'est prématuré pour le dire", estime le professeur de droit. "Par exemple, lorsqu'on nous dit qu'un compte est resté ouvert durant telle période, on ne nous dit pas si le compte était bloqué ou faisait l'objet de mesures de séquestre, ce qui impose que le compte reste ouvert", précise-t-il.

Dégât d'image regrettable

Selon lui, l'autorité de surveillance (FINMA) doit désormais déterminer précisément s'il s'agit "d'un cas supplémentaire qui met en cause cette culture du risque mal calibrée de la banque". Mais les faits qui sont présentés ne permettent pas de dire que la FINMA serait complètement passée à côté d’un problème majeur, estime le juriste.

Luc Thévenoz regrette par ailleurs le dégât d'image pour la place financière Suisse. "Ce n'est pas une très bonne chose, parce que beaucoup d'efforts sont faits, y compris par la FINMA, pour ne pas apparaître comme la place financière qui accueille l'argent des méchants. Et évidemment que lorsqu'on montre sélectivement ce qu'il se passe en Suisse sans montrer ce qu'il se passe ailleurs, ça va à l'encontre de ces efforts", souligne-t-il.

Interrogé lundi dans Forum, Edouard Cuendet, directeur de la fondation Genève Place Financière, déplore lui aussi le dégât d'image sur la place financière helvétique. "La Suisse a peut-être l'arsenal le plus rigoureux du monde dans le suivi et l'acceptation de personnes politiquement exposées et elle peut se targuer d'avoir une législation très sévère en la matière", a-t-il estimé.

>> Ecouter le débat dans Forum entre Edouard Cuendet et le conseiller national et vice-président du parti socialiste Samuel Bendahan :

La Paradeplatz à Zurich. [Keystone - Gaetan Bally]Keystone - Gaetan Bally
Faut-il mieux réguler la place financière suisse? Débat entre Edouard Cuendet et Samuel Bendahan / Forum / 10 min. / le 21 février 2022

Propos recueillis par Yann Amedro
Texte web: jop avec agences

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La FINMA "en contact" avec Credit Suisse

Contactée par l'agence AWP, un porte-parole du gendarme de la FINMA a indiqué avoir pris connaissance de l'article et "se trouver en contact avec la banque" à ce sujet, sans plus de précision.

"Le respect des réglementations en matière de blanchiment d'argent est au cœur de nos activités de surveillance depuis des années", a-t-il précisé à l'agence Reuters.

Ronen Palan: "Les banques suisses ne parviennent pas à moderniser leur modèle"

Les révélations sur la banque Credit Suisse révèlent "le déni" et "le laxisme" du système bancaire suisse face à l'argent douteux, selon le professeur de politique économique internationale à l'Université de Londres et spécialiste des paradis fiscaux Ronen Palan. Selon lui, "Credit Suisse, et probablement le système bancaire suisse, ne s'est pas adapté au nouveau monde".

Dans une interview donnée à l'Agence France-Presse, le spécialiste exprime "de sérieux doutes" sur la modernisation du système bancaire helvétique. "Les banques suisses ont par le passé généralement servi à des clients fortunés, parfois du tiers-monde, à cacher des fonds issus de détournements ou de la corruption. Généralement la Suisse ne coopérait jamais. Bien sûr, ces banques affirment qu'elles ont changé sur le secret bancaire, qu'elles se modernisent. Or, j'ai de sérieux doutes sur cette mue", dit-il.

"Pas assez volontaires"

"Ces révélations montrent que, même si elles essaient, elles n'y parviennent pas car elles ne sont pas assez volontaires. Un exemple est que depuis de nombreuses années leur modèle commercial consiste en partie à opérer dans certains pays largement corrompus tels que l'Égypte ou la Thaïlande", poursuit-il. Ainsi, selon lui, "même si elles essayent de changer de modèle, elles ne sont pas vraiment compétitives dans d'autres segments de la banque ou de la finance. Alors en attendant, elles se fient encore au vieux modèle de refuge pour les fonds liés à l'évasion fiscale et aux activités criminelles".

Par ailleurs, Ronen Palan souligne que la défense de Credit Suisse selon laquelle ces affaires relèvent du passé n'est pas crédible. "Cela montre que la banque est dans un déni institutionnel, car l'argent issu de la criminalité et du blanchiment n'était pas plus légal ou moralement acceptable dans le passé que dans les années récentes."

Enfin, le chercheur note tout de même que quelques progrès ont été réalisés en matière de transparence, dans plusieurs domaines de régulation. Et les affaires, elles, ont "un effet cumulatif et nettoient le système progressivement".