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Les compagnies aériennes tirent la langue, les jets privés sourient

L'incroyable essor de l'aviation d'affaires: le nombre de vols en jet privé a bondi de 25% en Europe depuis le début de la pandémie
L'incroyable essor de l'aviation d'affaires: le nombre de vols en jet privé a bondi de 25% en Europe depuis le début de la pandémie / T.T.C. (Toutes taxes comprises) / 5 min. / le 22 novembre 2021
Le nombre de vols assurés par des jets d’affaires dépasse aujourd'hui largement les niveaux d’avant la pandémie. Et le ciel suisse se retrouve au premier rang de ce phénomène.

Pour trouver un des rares gagnants de la crise du coronavirus, il faut regarder le marché de l’aviation privée. Alors que l’aviation commerciale reste aux abois malgré une légère récupération, celui des jets privés vit une période faste.

"Nous connaissons une croissance sans précédent", confirme Alain Leboursier, directeur de Lunajets, société installée à l’aéroport de Genève. "Dès que les frontières ont rouvert courant été 2020, on a vu ce boom arriver, qui s’est un peu estompé au début de l’année 2021. Mais depuis le mois de mai, l’activité atteint des niveaux inédits."

Les chiffres publiés par l’Association européenne de l'aviation d'affaires (EBAA) sont éloquents. En Europe, la baisse des vols commerciaux en septembre a été de -40% comparé à la même période avant la pandémie. Du côté des jets, c’est l’euphorie: la croissance a atteint +25%.

Chez Lunajets, on évoque 35% à 40% de vols en plus par rapport à 2019, une année déjà considérée comme la meilleure pour ce secteur depuis la crise financière 2008.

Genève au coeur du boom

Actuellement troisième aéroport européen en termes de trafic de jets privés selon l’EBAA, l’aéroport de Genève vit le phénomène en première ligne. La liaison entre Cointrin et Paris Le Bourget est même la plus dense d’Europe. Et on retrouve aussi celle qui relie Genève à Nice à la 4e place (voir classement en fin d'article).

Sur l’année en cours jusqu’à ce jour, le trafic d’avions privés connaît une progression de 5% par rapport à 2019. Mais le rythme a accéléré. Rien qu’en septembre, les mouvements ont augmenté de 25%. A l’opposé, les mouvements d’avions de ligne sont encore très loin de la normalisation, avec seulement un tiers (37%) des vols assurés en 2021 par rapport à 2019.

Selon Ignace Jeannerat, porte-parole de l’aéroport de Genève, l’attrait des vols privés s’expliquent par la volonté – pour ceux qui en ont les moyens – d’éviter la multiplication des contacts, sans compter la facilitation du voyage en cette période de contrôles sanitaires.

Les jets occupent la piste

L’explication est aussi structurelle. Habituellement très chargés, les aéroports disposent, avec la fonte des mouvements d’avions de ligne, de créneaux d’atterrissages et décollages disponibles. Et les jets s’y engouffrent.

En situation normale, les appareils d’affaires doivent généralement prendre leur mal en patience lorsque des avions de ligne, prioritaires, attendent de décoller ou d’atterrir. Avec la crise, cette situation d’engorgement est devenue rare.

Un retour du trafic commercial à des niveaux proches de 2019 pourrait donc limiter les options pour l’aviation privée. Reste que la normalisation n’est pas attendue avant 2023, voire plus tard.

Des voyages d'affaires en recul

Le profil des utilisateurs de vols privés pourrait aussi plaider pour une situation qui ne serait que temporaire. Chez Lunajets, avant la pandémie, "60% des clients volaient pour des affaires et 40% pour des loisirs", relève Alain Leboursier. "Aujourd’hui, le ratio s’est inversé, avec environ 80% de vols pour les loisirs et 20% pour les affaires."

La crainte, c’est l’effondrement de la demande touristique. "Le jour où la clientèle 'loisirs' va s’arrêter, le marché va s’écraser", redoute Alain Leboursier. "Le risque identifié est que les voyages d’affaires ne reprennent pas."

Yves Roch, PDG de Fly7, qui exploite des avions basés à l’aéroport de La Blécherette (VD) et qui connaît aussi une période faste, partage l’inquiétude. Les habitudes du télétravail et des vidéoconférences sont passées par là. "Beaucoup de grandes sociétés internationales ne volent plus aujourd’hui, elles restent en home office et voyagent donc très peu", constate-t-il.

Peut-on s’attendre à un éventuel retour à la normale? Pour Yves Roch, "rien n’est planifiable". "L’aviation d’affaires est le premier poste de dépense que vous coupez lorsqu’il y a des problèmes d’argent."

Reste à savoir si les voyageurs les plus aisés auront pris goût à ce nouveau luxe et s’ils continueront à préférer de prendre un jet pour un week-end à Paris, plutôt qu’un vol commercial ou un TGV.

>> Voir aussi les précisions de Yann Dieuaide dans TTC :

L'aviation privée vole de record en record. Les précisions de Yann Dieuaide sur le coût d'un vol en jet privé et l'aubaine pour les acteurs suisses du marché
L'aviation privée vole de record en record. Les précisions de Yann Dieuaide sur le coût d'un vol en jet privé et l'aubaine pour les acteurs suisses du marché / T.T.C. (Toutes taxes comprises) / 1 min. / le 22 novembre 2021

Marc Renfer & Yann Dieuaide

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