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Les "mamans de jour" parmi les grands gagnants du salaire minimum à Genève

Le salaire minimum à Genève a permis aux travailleurs précaires de voir leur revenu bondir. Un premier bilan positif dans la lutte contre la pauvreté
Le salaire minimum à Genève a permis aux travailleurs précaires de voir leur revenu bondir. Un premier bilan positif dans la lutte contre la pauvreté / 19h30 / 2 min. / le 8 novembre 2021
Une année après l'introduction du salaire minimum à Genève de 23 francs de l'heure, les premiers bilans tirés auprès des travailleurs précaires se montrent positifs. Des "mamans de jour", par exemple, ont été augmentée de plusieurs milliers de francs. Les syndicats se félicitent, tandis que certains patrons tirent la langue.

En moyenne, les revenus des accueillantes familiales de jour ont augmenté de 50% depuis l'introduction du salaire minimum légal. Pour Elisabete Samih, il a presque triplé. De 1946 francs brut par mois en 2020, elle gagne désormais 5600 francs. Il faut dire qu'elle partait de très loin.

A 50 ans, cette mère de deux enfants dit avoir enfin un salaire digne: "On voit la vie d'une façon différente. Avant, on n'avait pas de projet, on vivait au jour le jour. Nos seuls projets étaient de pouvoir payer nos factures en fin de mois et de donner à manger aux enfants. Maintenant, on se dit qu'on pourra peut-être partir en vacances, on peut faire plaisir aux enfants en achetant des jouets, en allant au cinéma."

Système salarial repensé

Avec l'introduction d'un salaire minimum légal, voté en septembre 2020, il a fallu repenser tout le système de rémunération au sein des structures d'accueil familial. Payées auparavant à l'heure et par enfant, les "mamans de jour" touchent désormais un salaire mensuel calculé en fonction du taux de travail de l'accueillante.

A raison de 50 heures par semaine (c'est la norme pour un 100% dans ce métier) et avec 7 ans d'expérience, Elisabete Samih reçoit davantage que le salaire minimum. "Mon rêve aujourd'hui? C'est de partir plus souvent en vacances. Mes parents vivent au Portugal et ceux de mon mari sont au Maroc. Cet été, nous sommes allés les voir. Cela faisait 4 ans que mes enfants n'avaient pas vu leurs grands-parents. Ça faisait mal au coeur."

Subventions et contributions des parents

Pour permettre cette hausse salariale, les parents ont dû mettre la main au porte-monnaie. Le système de facturation a été repensé et se base désormais sur le revenu parental net, à l'image de ce qui se pratique dans les crèches publiques. Mais les prix restent encore légèrement inférieur, d'environ 10%.

La contribution des parents ne suffisant pas à assurer la hausse salariale, une augmentation importante des subventions communales a été nécessaire. Pour la structure d'accueil AFJ Rhône-Sud, qui regroupe les communes de Bernex, Confignon, Onex et Petit-Lancy, le budget a grimpé de 3 à 7 millions de francs par an.

Pour Martin Staub, président de l'association Accueil familial de jour Meyrin-Vernier-Mandement, cette augmentation est une reconnaissance supplémentaire du métier d'accueillante. Mais il reconnaît que ce changement de tarification a causé le départ d'un "petit nombre de familles".

Quant à la question de savoir s'il y a eu un report sur le travail au noir, il en doute: "Les solutions annoncées par les familles pour la suite de la prise en charge de leurs enfants allaient plutôt dans le sens d’une réorganisation familiale. Le passage vers ce type de service au "noir" est peu probable une fois que l’enfant a bénéficié des prestations offertes par L’Accueil Familial de Jour, qui garantit une sécurité de la prise en charge."

16'000 emplois concernés

Les "mamans de jour" figurent donc parmi les grands gagnants du salaire minimum légal. Mais elles ne sont pas les seules. Environ 16'000 emplois équivalents plein-temps ont franchi la barre des 23,14 francs de l'heure, selon les projections faites sur les données de l'emploi de 2018. Dans la petite enfance, le nettoyage, le commerce de détail ou l'hôtellerie-restauration, de nombreux métiers précaires ont reçu un bol d’air durant cette pandémie, sans impacter l'emploi, selon les syndicats.

"On nous prédisait une catastrophe sur la question de l'emploi. Il y a certes eu une augmentation du chômage, mais qui est due à la pandémie. Preuve en est que si on compare l'évolution du chômage sur cette période-là avec d'autres cantons ou villes comparables, on n'a pas une évolution particulière du chômage à Genève qui relèverait de l'introduction du salaire minimum légal", assure Davide De Filippo, président de la Communauté genevoise d'action syndicale.

>> A relire : Les syndicats tirent un bilan réjouissant du salaire minimum à Genève

Quelques bémols

Mais la mise en oeuvre du salaire minimum légal ne s'est pas faite sans accrocs. Dans les crèches, par exemple. Plusieurs communes refusent désormais de recourir aux aides dans la petite enfance et font appel à des stagiaires. Ces derniers ne sont pas soumis au salaire minimum.

Dans la coiffure aussi. Des associations patronales demandaient que les jeunes coiffeurs sortant d’apprentissage ne soient pas soumis au salaire minimum. Leur recours a été rejeté, et l'embauche à temps partiel est désormais légion.

>> Lire aussi : A 23 francs de l'heure, les coiffeurs genevois rechignent à embaucher à 100%

Effet domino

Dans l'hôtellerie-restauration, secteur déjà ébranlé par la pandémie, il fallait avoir les reins solides pour mettre en oeuvre le salaire minimum: "A partir du moment où l'on augmente un plongeur ou une femme de ménage, on se doit d’augmenter les aides de cuisine, les cuisiniers, les chefs de cuisine, de sorte que chaque personne ait une rémunération qui convient à son poste", souligne Sharif Hassan, directeur du restaurant Pasta People.

Au total, ce restaurateur dit avoir augmenté la masse salariale d'environ 10%. Pour ce faire, il a choisi de rogner sur ces bénéfices. Mais il craint que certains restaurateurs ne soient obligés d'augmenter les prix de leur carte pour survivre, surtout lorsque les RHT auront cessé de fonctionner.

Il faudra donc un peu plus de recul pour voir si les effets négatifs annoncés par les milieux patronaux se produiront ou non. Les conséquences sur l'emploi, la pauvreté, les assurances sociales ou le travail au noir sont en cours d'étude. En attendant, on peut déjà se reposer sur les exemples de salaires minimums introduits dans les autres régions du monde, qui affichent globalement des bilans positifs.

Feriel Mestiri

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Salaire indexé sur l'indice des prix à la consommation

En novembre 2020, le salaire minimum légal à Genève a été fixé à 23 francs bruts de l'heure, soit 4485 francs bruts par mois. Depuis le 1 janvier 2021, il a été ajusté à 23,14 francs par heure, soit de 4'512 francs bruts par mois pour un poste à plein temps (45 heures par semaine).

A noter que le salaire minimum est indexé sur la base de l’indice des prix à la consommation du mois d’août. Dès le 1er janvier 2022, le salaire horaire minimum s’élèvera à 23,27 francs.

En Suisse, outre Genève, les cantons de Neuchâtel, du Jura, du Tessin et tout récemment de Bâle-Ville ont adopté le salaire minimum.