Publié

Rappaz: quand le droit s'oppose à l'éthique médicale

L'alimentation forcée n'est pas sans dangers pour le patient, indiquent les médecins.
L'alimentation forcée n'est pas sans dangers pour le patient, indiquent les médecins.
Les médecins peuvent être contraints à alimenter un patient de force, conclut lundi le Tribunal fédéral dans ses considérants sur l'affaire Rappaz. Aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG), où est suivi le chanvrier, le corps médical n'en démord pas: l'alimentation forcée est contraire à la déontologie de la profession.

En cas de divergence entre une règle de droit et l'éthique médicale, telle qu'elle est conçue par les directives de l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM), les médecins ne peuvent se prévaloir de celles-ci pour se soustraire à leur obligation juridique, indique le Tribunal fédéral (TF).

Levant toute équivoque concernant le cas Rappaz, Mon Repos ajoute que les directives de l'ASSM "ne sauraient empêcher les autorités cantonales d'ordonner l'alimentation forcée, ni dispenser les médecins requis d'y procéder, si les conditions juridiques d'une telle mesure sont remplies". Publiés lundi, les considérants du TF tombent deux mois après sa séance consacrée à l'affaire Rappaz.

"S'il préfère mourir, c'est son choix"

Cette décision du TF n'émeut pas les médecins. "Nous n'allons pas changer notre attitude. Nous n'alimenterons pas de force Monsieur Rappaz, c'est contraire à la déontologie médicale", martèle le Dr Hans Wolff, responsable de l’Unité de médecine pénitentiaire des HUG, où est suivi le chanvrier valaisan.

Bernard Rappaz devant sa ferme à Saxon (VS), le 29 juillet dernier.
Bernard Rappaz devant sa ferme à Saxon (VS), le 29 juillet dernier.

Transféré jeudi au quartier carcéral de l'hôpital de Genève dans un état "extrêmement faible", selon son ami Boris Ryser, Bernard Rappaz a passé un total de 170 jours non consécutifs sans alimentation. Il conteste une peine de 5 ans et 8 mois pour violation grave de la loi sur les stupéfiants et d'autres faits.

"Si Bernard Rappaz préfère mourir qu'assumer cette peine de prison, c'est son choix. Une personne est libre de risquer son intégrité physique tant qu'elle est capable de discernement", explique le Dr Wolff qui est aussi vice-président de la Conférence des médecins pénitentiaires suisses. Le corps médical peut utiliser la contrainte dans des cas très rares, avec des personnes fortement alcoolisées ou mentalement déficientes par exemple.

Dans le cas du Valaisan, "sa détermination est très forte". Habituellement, "les détenus se mettent en grève de la faim sur un coup de tête. Ils tiennent quelques jours, pour contester une peine, puis ils s'arrêtent", précise le médecin, coutumier de ces actes dans son service.

Après les détenus, les anorexiques?

De plus, l'alimentation forcée est un acte violent "qui peut être assimilé à de la torture", s'insurge Hans Wolff. Le risque de causer des blessures au patient est important. Par ailleurs, après une grève de la faim, "la réalimentation représente un danger pour le métabolisme".

Le docteur s'inquiète surtout que l'alimentation forcée d'un détenu en grève de la faim ne crée un précédent et que la pratique s'étende à des personnes en liberté. "Ensuite, on nous demandera peut-être d'alimenter de force des anorexiques ou de forcer des obèses au régime!".

Sébastien Bourquin avec l'ats

Publié

Droit fédéral contre déontologie

Le Tribunal fédéral avait déjà suscité la réprobation du corps médical le 26 août dernier en relevant que "l'autorité d'exécution des peines doit ordonner une alimentation forcée quand il s'agit du seul moyen d'éviter des lésions irréversibles ou la mort d'un détenu en grève de la faim".

La Fédération des médecins suisses (FMH) et d'autres groupements de médecins avaient réagi en relevant dans un communiqué qu'une telle décision contredit un principe clé de l'éthique médicale, à savoir le respect absolu de la volonté d'un patient capable de discernement. Il va de soi que ce principe s'applique aussi aux personnes en détention, avait souligné la FMH.

Sourd à la requête de la Fédération, qui lui demandait de "ne fonder aucun jugement sur des motifs contraires aux valeurs éthiques essentielles de la médecine", le TF tient à relever que les directives de l'ASSM ne créent pas par elles-mêmes de véritables normes juridiques.

Interruption de peine refusée

Entré en prison le 22 mars dernier, Bernard Rappaz avait entamé une grève de la faim et avait sollicité une interruption de sa peine. Sa requête avait été refusée le 26 août dernier en séance publique.

Immédiatement après, Bernard Rappaz avait été reconduit en prison et avait été placé au pénitencier de Crêtelongue (VS). Il se trouve actuellement au quartier carcéral de l'hôpital de Genève. Le chanvrier avait auparavant été hospitalisé à Sion en état d'hypoglycémie.