Genève, le 15 juillet 2008: Hannibal Kadhafi est brièvement arrêté dans un palace à Genève. Le fils de feu le dictateur libyen Mouammar Kadhafi et sa femme Aline sont soupçonnés d'avoir brutalisé deux employés de maison. L'arrestation met le feu aux relations helvético-libyennes.
Quelques jours plus tard, des employés d'entreprises suisses sont arrêtés. Parmi eux, l'Helvético-Tunisien Rachid Hamdani et le Suisse Max Göldi. Ce dernier sera retenu en otage durant 695 jours, en partie à l'ambassade de Suisse, en partie dans les geôles libyennes.
Réaction trop tardive de la Suisse
Cet épisode est l'un des plus délicats et traumatisants de l'histoire récente de la diplomatie suisse. Huit ans après sa libération, l'ex-ingénieur suisse, qui a pris sa retraite et vit aujourd'hui en Asie, donne sa version des événements dans "La vengeance de Khadafi. Journal intime d'un otage".
Dans ce livre, Max Göldi se montre critique envers la diplomatie suisse, qui aurait tardé à réagir et à prendre la mesure de la crise. Il évoque notamment des excuses trop tardives. C'est en août 2009 que Hans-Rudolf Merz, alors président de la Confédération, avait présenté les excuses officielles de la Suisse à la famille Kadhafi lors d'une visite à Tripoli.
Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en prend pour son grade. Un exemple: la personne chargée de gérer la crise sur place, le numéro deux de l'ambassade suisse à Tripoli, était tout le temps en vacances, plutôt qu'en train de travailler à sa libération, affirme l'ancien otage, qui charge également les autorités genevoises et les médias.
Une diplomatie libyenne "sauvage"
Interrogée dans Forum, Micheline Calmy-Rey, à la tête du DFAE au moment des faits, se refuse à commenter les propos de Max Göldi. Elle dit comprendre les sentiments de l'ancien otage. "Il a vécu une période extrêmement difficile, comme toutes les personnes qui se sont engagées dans ce dossier", affirme l'ancienne conseillère fédérale.
"Nous avons cru que parler avec la Libye pouvait aider à libérer les otages et nous nous sommes trompés. La Libye pratiquait une politique de diplomatie sauvage, à laquelle nous n'étions pas habitués", relève Micheline Calmy-Rey. "Chaque action entreprise ou chaque décision prise par le DFAE était évaluée sous l'angle de son impact sur la vie des otages", indique-t-elle.
Le "gros risque" pris par le DFAE
Pour la Genevoise, les excuses de la Suisse "n'ont servi à rien". C'est la politique de restrictions de visas décidée par la Suisse qui a permis de dénouer la crise, selon elle. Grâce à l'accord de Schengen et à la politique de visas commune avec l'Union européenne, cela a obligé l'UE à se mettre de notre côté et à faire pression sur Kadhafi, ce qui a permis de sauver les otages."
Avec cette décision, la Suisse a pris "un gros risque", admet l'ancienne ministre. "On a renversé les rapports de force. Ce n'est pas habituel pour la Suisse de jouer les rapports de force. On ne le fait quasi jamais. Nous ne sommes pas une grande puissance, nous ne sommes pas les Etats-Unis", dit-elle. "Mais ça a fonctionné, Dieu merci", conclut Micheline-Calmy-Rey.
Propos recueillis par Esther Coquoz et Renaud Malik/dk