Publié

La Suisse a financé une organisation internationale défaillante et sous influence russe

Vladimir Kuvshinov, secrétaire général de l'OIPC (à droite) et Vladimir Puchkov (à gauche), lors d'une des visites du ministre russe au siège genevois de l'organisation. [icdo.org]
La Suisse a financé une organisation internationale défaillante et sous influence russe / La Matinale / 1 min. / le 17 octobre 2018
L’Organisation internationale de la protection civile (OIPC), dont le siège se trouve à Genève, est à la dérive. La Suisse a pourtant continué de financer l’institution alors qu’elle la savait défaillante et sous emprise russe, a appris la RTS.

Entre 2009 et 2017, la Suisse a versé près de 1,3 million de francs à l’OIPC alors qu’elle avait connaissance, en tant que pays observateur, de la gestion peu scrupuleuse et de la stratégie obscure de l’organisation, indiquent des documents obtenus par la RTS.

L'OIPC occupe cette villa dans un parc de Lancy (GE). [Creative Commons / Wikimedia]
L'OIPC occupe cette villa dans un parc de Lancy (GE). [Creative Commons / Wikimedia]

Aujourd’hui, les troubles au sein de l’OIPC sont devenus publics: le Secrétaire général russe de l’organisation, Vladimir Kuvshinov, est accusé par des cadres de népotisme, d’autoritarisme et de s’être octroyé un salaire et des indemnités atteignant près de 35'000 francs mensuels, comme l’a révélé Le Temps.

Plusieurs témoignages que nous avons recueillis soulignent la mainmise de Vladimir Kuvshnivov et d’une garde rapprochée sur l’OIPC, dont un intermédiaire financier externe à l’organisation. Les partenariats privés aux résultats stériles se sont multipliés ces dernières années, parfois même à l’insu de l’Assemblée générale de l'OIPC.

Dans une note datée de 2014 et obtenue en vertu de la loi sur la transparence, la Mission permanente de la Suisse auprès de l’ONU signale déjà que l’OIPC "ne montre pas toujours la rigueur requise dans la gestion de certains dossiers" et évoque des soupçons de "méthodes de gestion peu transparentes".

"Des faiblesses sérieuses et persistantes"

Ce constat a poussé la Mission à recommander à Berne de ne pas adhérer pleinement à l’organisation intergouvernementale. "Les effets potentiellement négatifs sur la réputation de la Suisse paraissent suffisamment dissuasifs", alerte-t-elle. Cet avertissement n'a pas eu d'impact sur les financements helvétiques, qui se sont poursuivis jusqu’en 2017 à hauteur de 150'000 francs par an.

La RTS a appris l’existence d'un audit aux conclusions sévères mené à la demande de la Suisse fin 2016. Cette analyse a-t-elle sonné le glas de la participation suisse, qui n'a pas été renouvelée en 2018 ? Le Département des Affaires étrangères (DFAE), qui a financé l'organisation par l'intermédiaire de la Direction du développement et de la coopération (DDC), s’en défend. Il évoque uniquement

Une des rares activités documentées de l'OIPC est la distribution d'ancien matériel suisse de secours, ici des compresseurs pour un dépôt destiné à l'Afrique de l'Ouest. [DR]
Une des rares activités documentées de l'OIPC est la distribution d'ancien matériel suisse de secours, ici des compresseurs pour un dépôt destiné à l'Afrique de l'Ouest. [DR]

des raisons budgétaires, tout en admettant que l’ultime audit "illustrait à la fois des faiblesses sérieuses et persistantes, et des progrès réels".

Concernant l’utilisation des fonds et le risque de détournement, le DFAE maintient que l'argent suisse a été utilisé pour les buts agréés, soit des cours de formation de protection civile. Selon nos informations, ces cours ainsi que l'envoi d'ancien matériel de sections cantonales de la protection civile à des pays en développement sont les seules activités tangibles de l'OIPC.

Une organisation sous influence russe

En ces temps de tension diplomatique avec Moscou, un autre aspect troublant ressort des documents: l’influence directe du pouvoir russe sur l’OIPC. Dans sa note, la Mission suisse auprès de l’ONU n’hésite pas à souligner "la forte influence" de Moscou comme facteur ne favorisant pas un rapprochement.

Elle évoque "le poids d’un donateur en particulier", la Russie, via son ministère des Situations d'urgence (EMERCOM), principal contributeur de l’OIPC. Son secrétaire général Vladimir Kuvshinov, aujourd'hui dans la tourmente, a lui-même fait carrière au sein de cette institution.

Une source interne à l’OIPC affirme que la Russie aurait retiré sa confiance au secrétaire général, qui jouit du statut diplomatique. Contactée, la Mission russe auprès de l’ONU n’a pas répondu à nos questions et nous a renvoyé vers un communiqué affirmant qu’elle a été "informée de la situation". La Russie "soutiendra toute action pertinente, y compris urgente, visant à assurer la transparence et la crédibilité de l'OIPC", y est-il précisé.

Nombreuses visites d’un ministre russe

Durant des années, le lien entre Moscou et l'OIPC était évident. En 2015, Vladimir Kuvshinov a inauguré en grande pompe et conjointement avec le ministre d’EMERCOM de l’époque, Vladimir Puchkov, un "centre International de coordination et de veille des catastrophes". Selon nos informations, cette salle de contrôle installée au sous-sol du siège de l’OIPC à Lancy n’a jamais été utilisée en situation réelle.

En novembre 2017, Vladimir Puchkov visitait encore l’OIPC à Genève. Le site internet de l‘organisation annonçait même la signature "d’un accord-cadre sur le partenariat stratégique entre l'OIPC et le gouvernement de la Fédération de Russie". Ni l'OIPC, ni Vladimir Kuvshinov n'ont voulu répondre à nos questions.

Signe de l’embarras de Berne sur ce dossier, le DFAE s’était opposé en 2015 à la première demande en transparence de la RTS, invoquant le fait qu’elle risquait de "compromettre les intérêts de la Suisse en matière de politique extérieure et ses relations internationales". Suite à une médiation, la RTS a finalement obtenu gain de cause.

Marc Renfer

Publié