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Les recteurs anglais viennent s'inspirer en Suisse pour négocier avec l'UE

Les universités britanniques s'étaient clairement prononcées contre le Brexit, comme le montrent les résultats du vote à Oxford (70,3% pour rester dans l'UE) ou Cambridge (73,8%). [REUTERS - Paul Hackett/File Photo]
Les universités anglaises s'inspirent en Suisse pour négocier le Brexit avec l'UE / Le Journal du matin / 5 min. / le 13 juin 2017
Une vingtaine de recteurs d'universités de tous les continents se réunissent depuis jeudi et pour trois jours à Glion (VD). L'occasion pour les Anglais de poursuivre le dialogue avec leurs collègues suisses, avant le Brexit.

Ce colloque, qui a lieu tous les deux ans, a pour ambition de parler des défis du monde académique mondial. Et l'un deux va être la situation des universités anglaises comme Cambridge ou Oxford, menacées avec le Brexit d'être expulsées du programme de recherche Horizon 2020 et du programme d'échange pour étudiants Erasmus+.

Or les universités suisses ont de l'expérience à faire valoir en la matière puisqu'au lendemain du 9 février 2014 et du vote sur l'initiative sur l'immigration de masse, leur participation aux programmes européens avait été remise en question. La Suisse avait dû alors trouver des chemins de traverse - une situation similaire à celle que va traverser le Royaume-Uni.

L'avantage des universités anglaises, c'est de pouvoir avoir un tout petit peu de temps pour pouvoir se préparer.

Yves Flückiger

Les recteurs suisses ont donc été très sollicités par les Anglais, confirme celui de l'Université de Genève Yves Flückiger. Avec le recteur de l'Université de Zurich, il a rencontré ses homologues anglais à plusieurs reprises. Tous ont une épée de Damoclès commune au-dessus de leur tête, à une nuance près: "Si la Suisse a eu le désavantage de devoir trouver très rapidement des solutions dès le 10 février 2014 (...), je pense que l'avantage des universités anglaises aujourd'hui c'est de pouvoir avoir un tout petit peu de temps pour pouvoir se préparer et surtout préparer une solution qui puisse tirer parti de ce que nous avons pu vivre", souligne Yves Flückiger.

Ce n'est effectivement pas avant 2019 que le Royaume-Uni va vivre son Brexit. Il y a donc un délai pour s'y préparer et les universités anglaises regardent l'expérience suisse d'un oeil intéressé.

Chaque conseil que l'on peut obtenir [des recteurs suisses] est réellement le bienvenu.

Leszek Borysiewicz

Le vice-chancelier de Cambridge, qui est le président de la très prestigieuse université anglaise (l'équivalent des recteurs en Suisse), sera à Glion cette semaine. Et "chaque conseil que l'on peut obtenir est réellement le bienvenu", reconnaît Leszek Borysiewicz. "Bien sûr on compare nos notes, parce que nous sommes tous inquiets de voir une baisse du financement, comme la Suisse, et on essaie d'atténuer ces conséquences."

Et s'il n'y avait qu'un conseil à retenir des Suisses, ce serait de ne jamais abandonner. "Les institutions suisses ont su débattre de manière très efficace au sein même de la Suisse", constate Leszek Borysiewicz. "Elles ont su assurer leur position. Même après beaucoup de turbulences, elles ont été capables de rester et d'avoir une relation rentable avec l'Union européenne. Donc ce que j'espère aussi, c'est que nos amis académiques, en Suisse et ailleurs en Europe, vont essayer de nous aider."

Le vice-chancelier de Cambridge lance donc un appel à la défense des universités anglaises, avec un objectif et un espoir: le statu quo, malgré le Brexit. D'où la prudence que Leszek Borysiewicz affiche quand on aborde l'opportunité de mettre en place un plan B au programme de recherche Horizon 2020 entre deux poids lourds de la recherche universitaire: la Suisse et le Royaume-Uni.

Idéalement, pour moi, notre collaboration avec les institutions suisses reste telle quelle dans le futur.

Leszek Borysiewicz

"A ce stade ce serait vraiment prématuré de déjà sauter aux conclusions", avertit le vice-chancelier. "Idéalement, pour moi, notre collaboration avec les institutions suisses reste telle quelle dans le futur. Si ça ne nous est plus accessible, nous allons alors commencer à explorer des opportunités alternatives, pas seulement avec la Suisse, mais également avec les autres pays. Donc avant toute chose, je vais me concentrer sur l'évolution des négociations avec Bruxelles et on va ensuite décider pour l'avenir, après cela."

Les universités suisses, elles, tiennent déjà une solution, même si pour Erasmus+ elle est encore provisoire. Mais comme les recteurs suisses ont déjà senti le vent du boulet, ils sont plus affirmatifs lors de l'évocation d'un éventuel plan B.

Le bilatéralisme est beaucoup plus coûteux que le multilatéralisme qu'offre l'UE en matière de recherche.

Yves Flückiger

"Je pense que c'est effectivement imaginable, aussi dans le cadre des relations que la Suisse entretient avec les universités anglaises qui sont d'excellentes relations entre universités de très haut niveau", note Yves Flückiger. Le recteur de l'Université de Genève met en garde, cependant, contre le fait que le bilatéralisme est une solution beaucoup plus coûteuse que le multilatéralisme qu'offre l'Union européenne en matière de recherche. "On l'a vu en particulier dans les accords Erasmus où la Suisse, en 2014, a dû renégocier université par université les accords qu'elle avait auparavant de manière multilatérale. Donc le bilatéralisme est très coûteux."

Le plan A reste donc le plan privilégié par les universités des deux pays, malgré les votes des populations anglaise et suisse. Et c'est le statu quo: celui de pouvoir bénéficier du programme de recherche Horizon 2020 et du système d'échange d'étudiants Erasmus+. Cela reste, pour les universités, le meilleur moyen d'obtenir les meilleurs résultats. Et l'Europe le sait bien.

Muriel Ballaman/oang

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