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"La réforme des retraites est un bon projet, même si personne n'est 100% content"

Le conseiller fédéral Alain Berset lors du débat sur la réforme des retraites. [Keystone - Peter Klaunzer]
La réforme des retraites, une victoire d’étape pour Alain Berset / Forum / 11 min. / le 17 mars 2017
Alain Berset défend avec vigueur la réforme des retraites adoptée par le Parlement. Ce projet garantit le niveau des rentes "en francs et en centimes", insiste le conseiller fédéral, qui appelle le peuple à accepter un "bon compromis".

C'est la grande réforme de sa législature. Alain Berset a dû lâcher un grand ouf de soulagement jeudi lors que le Conseil national a accepté de justesse le paquet Prévoyance vieillesse 2020, après deux ans et demi de travaux. Mais maintenant, la réforme doit encore convaincre le peuple.

Le conseiller fédéral s'attend à une campagne difficile, "à la hauteur des enjeux", confie-t-il vendredi dans l'émission Forum. "Mais c'est une belle occasion de montrer que nous sommes capables, quand c'est nécessaire, de nous unir et de trouver des majorités", ajoute-t-il.

Quand on dit que le projet est moins bon que celui du Conseil fédéral pour financer et sécuriser l'AVS, c'est simplement une erreur. C'est faux!

Alain Berset, conseiller fédéral

Une vaste fronde se dessine pour combattre cette réforme devant le population, avec d'un côté la droite et les milieux économiques, de l'autre la gauche de la gauche et certains syndicats. Face à cette double menace, Alain Berset défend le "large et bon compromis" trouvé par le Parlement.

"Personne n'est 100% content", admet le chef du Département fédéral de l'intérieur (DFI). Pourtant, "quand on dit que le projet est moins bon que celui du Conseil fédéral pour financer et sécuriser l'AVS, c'est simplement une erreur, c'est faux", affirme-t-il, contredisant les arguments du camp bourgeois.

"La pilule est amère" pour les femmes

Alain Berset insiste sur le fait que les deux objectifs fixés par le Conseil fédéral ont été satisfaits: ce projet "garantit le niveau des rentes en francs et centimes" et il "sécurise le système des rentes jusqu'en 2030". "Cette sécurité-là, elle est très favorable pour la population."

Le conseiller fédéral dit néanmoins avoir de la "compréhension" pour les critiques, issues de la gauche et des syndicats, contre le relèvement de l'âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans sans compensation directe, qu'il juge "justifiées". "La pilule est amère", reconnaît-il.

Je crois que la population comprend relativement bien ce qui se passe. J'ai une grande confiance dans la démocratie directe

Alain Berset, conseiller fédéral

"Mais ce projet, en parallèle, amène des améliorations fondamentales pour les femmes", argumente le Fribourgeois, évoquant notamment le bonus de 70 francs dans l'AVS ainsi que les mesures prises en faveur des travailleurs à temps partiel - dont de nombreuses femmes - dans le 2e pilier.

"Laisser retomber la poussière"

Alors que le débat aux Chambres fédérales a été très vif et a suscité une vive émotion, Alain Berset estime qu'il faut maintenant "laisser retomber la poussière, attendre un peu puis, à tête reposée, analyser le résultat et regarder ce qu'il y a dedans".

"Il y a des points négatifs, il y a des points positifs; le bilan, de l'avis du Conseil fédéral et de la majorité du Parlement, est clairement positif", résume le ministre socialiste, appelant le peuple à accepter le projet. "Je crois que la population comprend relativement bien ce qui se passe. J'ai une grande confiance dans la démocratie directe", conclut-il.

>> Deux syndicalistes débattent de la réforme dans Forum :

Une manifestation en faveur de l'AVS en mai 2015 à Lausanne. [Laurent Gillieron]Laurent Gillieron
La réforme des retraites divise les syndicats / Forum / 11 min. / le 17 mars 2017

Didier Kottelat

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Un compromis, avec parfois des votes stratégiques et non de conviction. Comment convaincre la population que c'est un bon projet?
"C'est un projet qui a été pensé dès le départ pour la population. Nous avons dit deux choses. Le but premier, c'est de faire une réforme avec l'objectif de garantir le niveau des rentes en francs et en centimes entre le premier et 2 deuxième pilier. C'est très transparent: les gens vivent de francs et de centimes, ils ne vivent pas de premier et de deuxième pilier. Le deuxième élément, c'est de faire une réforme qui sécurise le système de rentes jusqu'en 2030. Jusqu'en 2030, on sait qu'il est bien financé, qu'il fonctionne, qu'il est sain, c'est-à-dire que les rentes peuvent être payées. Et cette sécurité-là, elle est très favorable pour la population."
La droite a refusé le projet parce qu'il n'assainit pas durablement le système. Le Parlement a-t-il saboté, déséquilibré votre projet?
"Non, il a fait son travail, il a trouvé ses majorités. Ce n'est pas exactement le projet du Conseil fédéral, c'est vrai. Personne n'est 100% content, sinon il ne faut pas faire de travail politique, il faut l'imposer et on ne discute plus. Mais le projet qui est ressorti du Parlement est bon. Quand on dit qu'il est moins bon que le projet du Conseil fédéral pour financer et sécuriser l'AVS, c'est simplement une erreur. C'est faux. Celles et ceux qui vous disent cela vous racontent des salades. Avec e message du Conseil fédéral, on arrivait à financer un fonds AVS qui était encore à 94% des dépenses du fonds AVS en 2030. Ce qui est ressorti du Parlement hier, c'est 97%. C'est donc même mieux, en termes financiers, que ce qu'avait souhaité le Conseil fédéral. Et c'est surtout beaucoup mieux que toutes les variantes diverses et variées qui ont été mises sur la tablée ces derniers mois."
Réforme combattue à droite par l'UDC, le PLR, les milieux patronaux, mais il va aussi falloir convaincre les femmes d'accepter une hausse de l'âge de la retraite sans compensation directe, et alors que l'égalité salariale n'est de loin pas réalisée.
"D'abord, il y a eu des débats très vifs au Parlement et c'est normal. C'est beaucoup d'émotion, et la politique est aussi faite d'émotion. C'est même quelque chose de sain: nous sommes tous des humains, pas des machines. Ca a été très visible, très fortement ressenti hier. Mais je crois que maintenant, le projet est sur la table, c'est un compromis, un large compromis - il est bon - et ça vaut la peine de prendre un peu le temps, de laisser retomber la poussière, d'attendre un peu puis, ensuite, à tête reposée, d'analyser le résultat et de regarder ce qu'il y a dedans. Il y a des points négatifs, il y a des points positifs. Le bilan, de l'avis du Conseil fédéral et de la majorité du Parlement, est clairement positif. C'est un bon projet pour la population. Mais il faut se donner le temps de faire cette analyse. Sur l'opposition qui vient, elle vient un peu de toutes parts, mais c'est normal à ce stade des débats. Il faut que le travail d'analyse se fasse. Sur l'opposotion qui vient de la gauche, sur l'êge de la retraite des femmes, j'ai de la compréhension pour ces critiques. Elles sont justifiées. C'est une pilule amère. Mais ce n'est pas le seul élément de ce projet. Ce projet, en parallèle, amène des améliorations fondamentales pour les femmes, qui sont revendiquées depuis très longtemps. Je donne juste deux-trois exemples. Aujourd'hui, les femmes sont totalement prétéritées dans le deuxième pilier, dès le moment où elles travaillent à temps partiel, dès le moment où elles ont plusieurs employeurs, et c'est le cas de très nombreuses femmes, notamment avec des revenus petits ou moyens. Il y a une vraie amélioration pour elles, avec la prise en compte des temps partiels et la prise en compte des personnes qui ont plusieurs employeurs. C'est une avancée importante. Dans le premier pilier aussi. Nous avons, dans notre pays, un demi-million de femmes qui n'ont que le premier pilier pour vivre. Pour elles, l'augmentation de 70 francs - si elles vivent seules et ne sont pas mariées - et de 226 francs si elles sont mariées, c'est une vraie augmentation par rapport à la situation actuelle. C'est même une augmentation qui permettrait à l'avenir, pour des femmes qui ont des revenus petits ou moyens, de continuer à partir à la retraite à 64 ans sans perdre un franc par rapport à aujourd'hui. Donc c'est de facto le maintien de la retraite à 64 ans pour les femmes qui ont des petits ou moyens revenus. Ce sont des éléments qu'il faut naturellement mettre dans la balance avant de tirer un bilan final."
Au francs et aux centimes près...
"Tout le monde était d'accord au Parlement pour dire qu'on ne pouvait pas faire une réforme en disant aux gens que, à la fin, ils auraient moins pour vivre. Ca a été essayé et cela n'a pas été franchement un succès. La dernière fois, c'était la baisse du taux de conversion en 2010, sèchement rejeté. J'étais pour le rejet à l'époque. On me demande si j'ai changé d'avis en allant au Conseil fédéral. Mais pas du tout! J'ai changé d'avis parce que, cette fois, c'est compensé. Et on n'est pas en train de parler de pourcentages, on parle de francs et de centimes. L'objectif a été posé, a été suivi et peut être rempli avec une sécurité du système de rentes jusqu'en 2030. C'est très important. S'il n'y a aucune réforme aujourd'hui, la situation est différente, parce qu'avec toute la génération baby boom qui arrive à la retraite, qui aujourd'hui cotise mais ne cotisera plus et touchera des rentes à l'avenir, alors ce fonds AVS va diminuer. Et on serait bien avertis de ne pas créer des dettes sur le dos de l'AVS, parce qu'il faudra une fois les payer."
Climat très dur sous la Coupole.
"Dans les séances officielles, le ton a toujours été relativement correct et les choses se sont passées comme d'habitude. Après, il y a naturellement une certaine nervosité, mais elle est compréhensible. Il est question d'un projet très important, qui concerne tout le monde dans le pays. Il y avait aussi peut-être à la fin un peu de fatigue. Ce qui est important, c'est que le débat se fasse: il peut être vif, mais il est important de dire à la fin qu'on a fini le travail. Le résultat du Parlement est sorti, il est connu. La prochaine étape, c'est le vote populaire. Et maintenant, on peut se reposer un peu et regarder le produit fini. Laisser tomber la poussière, analyser le résultat et prendre un avis sur le projet.
LA réforme de votre législature. Plusieurs prédécesseurs ont échoué. Une victoire personnelle?
"Je crois que ce ne peut être qu'un travail d'équipe, avec le Conseil fédéral actuel. Nous avons beaucoup travaillé pour cette réforme depuis 2012, et c'était vraiment un travail d'équipe que de sortir ce projet, pouvoir ensuite le défendre au Parlement. C'est aussi un travail qui profite de toutes les expériences passées, qui nous ont permis de calibrer le projet. On avait promis de tout faire pour que ça marche, mais on ne peut pas garantir que ça marche, parce que le Parlement et le peuple doivent décider. Une étape maintenant est franchie, elle est très importante, arrive la suivante avec la votation populaire. Je me réjouis beaucoup de pouvoir enfin passer à une phase où on peut expliquer, informer, débattre avec la population sur ce projet, parce qu'il est très important pour tout le monde."
Campagne difficile?
"Cela va être une campagne à la hauteur des enjeux. Oui, relativement difficile. Sur un projet équilibré, c'est une belle occasion de montrer que nous sommes capables, quand c'est nécessaire, de nous unir et de trouver des majorités pour faire passer le projet. Je crois que la population comprend relativement bien ce qui se passe. Elle voit assez bien comment le travail s'est passé. J'ai une grande confiance dans la démocratie directe."