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Les soupçons du DFAE sur onze ONG israéliennes et palestiniennes en grande partie infondés

Sur les 11 ONG incriminées par la Suisse, seules 3 auraient violé le code de conduite de la coopération suisse
Sur les 11 ONG incriminées par la Suisse, seules 3 auraient violé le code de conduite de la coopération suisse / 19h30 / 2 min. / le 14 novembre 2023
Selon des informations du Pôle enquête de la RTS, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) arrive à la conclusion que seules trois organisations pro-palestiniennes ont violé le code de conduite de la coopération suisse. Enquête sur ce revirement et le rôle contesté d’un organisme proche du gouvernement israélien.

Il y a trois semaines, la décision du DFAE de suspendre son soutien financier à onze ONG palestiniennes et israéliennes avait fait grand bruit. Ces dernières étaient soupçonnées d’avoir dérapé dans leur communication, voire appelé à la haine depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre suivie de la riposte d’Israël.

Les milieux de l’aide humanitaire et de la défense des droits de l’homme impliqués au Proche-Orient ont très mal pris cette mise à l’index d’organisations partenaires de longue date de la coopération suisse, principalement dans le domaine des droits humains – cinq israéliennes et six palestiniennes.

Une des ONG concernées, Hamoked, basée à Tel-Aviv et engagée dans la défense des droits des prisonniers palestiniens, a même menacé le DFAE de poursuites légales pour cette suspension de financement non prévue dans les clauses contractuelles et, surtout, pour le dégât de réputation occasionné, alors que d’autres pays menacent également de couper leurs subventions.

"Une forme de diffamation"

"C'est extrêmement préjudiciable. Il est évident qu’ils devraient d'abord enquêter et couper le financement ensuite. Dans les faits, c’est l’inverse qui s’est produit et c’est inacceptable. Publier la liste des noms des organisations, c’est déjà une forme de diffamation", déplore Jessica Montell, directrice d’Hamoked, dans le 19h30. Elle indique n’avoir reçu aucune précision sur la nature et la provenance des soupçons invoqués par le DFAE.

Avec d’autres ONG concernées, elle met en cause le rôle joué par l’institut NGO Monitor, une officine proche du gouvernement israélien qui publie régulièrement des rapports censés démontrer le double jeu des militants des droits de l’homme qui soutiendraient en fait le terrorisme et participeraient à la "démonisation" d’Israël.

Un institut pro-israélien à la manoeuvre

NGO Monitor déploie ses activités de lobbying depuis de nombreuses années auprès des parlementaires fédéraux du Groupe d’amitié Suisse-Israël. Ses rapports ont servi de base à plusieurs interventions aux Chambres fédérales pour tenter de faire cesser tout ou partie de la coopération suisse avec des ONG actives au Proche-Orient.

La décision du DFAE de suspendre onze ONG a été saluée comme une "percée majeure" par NGO Monitor, qui se vante par ailleurs d’avoir pu rencontrer dernièrement des officiels suisses.

Selon les vérifications de la RTS, deux fonctionnaires de haut-rang du DFAE ont effectivement participé le 20 septembre dernier à une réunion avec un représentant de NGO Monitor à Berne. Il s’agit de Maya Tissafi, actuelle cheffe de la Task force Proche-Orient du Conseil fédéral et de Simon Geissbühler, chef de la Division paix et droits de l’homme.

Le DFAE n’a pas répondu à la question de la RTS de savoir si ces échanges avec NGO Monitor ont été utiles à la décision de suspendre des ONG, indiquant qu'"il ne communique généralement pas sur ses sources" et précisant en avoir une multitude.

De son côté, NGO Monitor a accepté de répondre à la RTS par la voix de son président Gérald Steinberg. Il ne précise pas la nature exacte des informations transmises à la Suisse ces dernières semaines, mais il se félicite d’être mieux entendu par les autorités: "Je dois dire que le changement en Suisse a été une surprise parce que nous pensions que la Suisse et sa bureaucratie finançaient année après année les mêmes organisations sans discussion publique ni contrôle. On ne s’attendait donc pas à un changement aussi rapide".

Proximité avec les autorités suisses critiquée

Cette proximité avec les autorités suisses est critiquée par les pacifistes israéliens. "Il serait honteux de penser que le gouvernement suisse agit sur la base d'informations provenant de cette source très partiale, peu fiable et manipulatrice", poursuit Jessica Montell.

Elle en veut pour preuve la dernière publication d’NGO Monitor. L’institut pro-israélien a publié une liste noire de dizaines d’ONG accusées de "justifier les atrocités du Hamas", recoupant les 11 organisations suspendues par la Suisse.

"Nous avons exigé le retrait de cette publication terriblement mensongère", précise Jessica Montell. Menacée de poursuites légales, NGO Monitor a corrigé sa publication, invoquant une "erreur rédactionnelle". La liste des ONG pacifistes israéliennes a été retirée et celle des ONG palestiniennes a été réduite.

Alors, la Suisse a-t-elle été instrumentalisée par une officine pro-israélienne qui a dû en partie se rétracter? Officiellement, le DFAE s’en tient à son refus de commenter ses sources. Mais à l’interne, il se dit que la décision de suspendre 11 ONG d’un coup et de publier leurs noms a été mal maîtrisée et s’est basée sur des informations externes peu fiables, dont certainement celles de NGO Monitor.

Quoi qu’il en soit, les soupçons du DFAE s’avèrent en grande partie infondés. Après analyse, il devrait annoncer la levée de la suspension de huit des onze ONG visées au départ. Seules trois organisations pro-palestiniennes semblent avoir outrepassé le code de conduite du DFAE dans leurs récentes prises de position. Leur contrat ne devrait pas être reconduit à partir de l’année prochaine.

Une première discussion a eu lieu ce mercredi au Conseil fédéral sur ce sujet et celui de l'interdiction du Hamas en Suisse. Les décisions seront communiquées lors d'une prochaine séance du gouvernement.

Ludovic Rocchi/fgn

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