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Il y a "de grosses différences" de traitement des victimes de traite humaine entre les cantons

La Suisse n’est pas épargnée par la traite d’êtres humains: interview d’Angela Oriti
La Suisse n’est pas épargnée par la traite d’êtres humains: interview d’Angela Oriti / Forum / 4 min. / le 30 juillet 2023
Si la situation des personnes concernées par la traite d'êtres humains est meilleure en Suisse que dans d’autres régions du monde, du travail reste à faire. Angela Oriti, directrice d’une association de soutien dans le canton de Vaud, pointe du doigt les "grosses différences" de traitement des victimes entre les cantons.

Le 30 juillet célèbre la Journée mondiale pour les victimes de la traite d'êtres humains. Les déplacements et les inégalités socio-économiques affectent des millions de personnes dans le monde, ce qui les rend vulnérables à l'exploitation par les trafiquants.

Invitée dans Forum dimanche, Angela Oriti, directrice d’Astrée, une association de soutien aux victimes de traite et d’exploitation dans le canton de Vaud, rappelle la définition de la traite selon le Conseil de l'Europe. "La traite d'êtres humains désigne le recrutement, l'hébergement, le transfert d'une personne à des fins d'exploitation dans la prostitution forcée, dans le travail ou dans des activités illicites par différents moyens de contrainte."

Elle affirme que ce phénomène existe bel et bien en Suisse et qu'il est nécessaire de mettre en place des actions pour identifier les victimes, cachées par essence (lire encadré). "Aujourd'hui on peut affirmer que la traite existe en Suisse. Il faut se donner les moyens pour identifier les victimes en mettant en place des actions spécifiques", préconise-t-elle.

La traite, ce n'est pas seulement subir des conditions de travail abusives mais c'est aussi subir des moyens de contrainte, des menaces, de la séquestration de documents, de la violence physique ou verbale.

Angela Oriti, directrice d’Astrée

Nonante-six victimes en 2022

Tous les jours, l'association d'Angela Oriti suit des dizaines de victimes de traite. Elle rappelle qu'il ne s'agit pas uniquement de conditions de travail abusives.

"En 2022, l'association a pris en charge 96 victimes: 60% étaient exploitées dans le milieu de la prostitution et 40% à des fins d'exploitation du travail. Ce sont des femmes, des hommes et des enfants. Ils sont forcés à se prostituer dans les rues ou dans les lieux de prostitution dits 'indoor' comme les salons de massage, ou alors ils sont aussi forcés à travailler dans la restauration. Il ne s'agit donc pas seulement de conditions de travail abusives, mais ces victimes subissent des moyens de contrainte, des menaces, de la séquestration de documents, de la violence physique ou verbale."

Différence entre traite et esclavage

Attention toutefois à ne pas confondre la traite avec de l'esclavage, met en garde Angela Oriti.

"Les personnes travaillent sous la contrainte, donc elles ne sont pas libres de leurs agissements, mais ça prend souvent des formes subtiles. On est rarement face à des moyens de contrainte qui laissent des traces comme de la violence physique. Ce sont plutôt des formes de contrainte invisibles comme par exemple la sorcellerie. Elle est souvent utilisée dans la prostitution contrainte."

Traitements qui varient d'un canton à un autre

La directrice de l'association d'aide aux victimes souligne les différences notables de traitement entre les cantons. "Il y a de grosses différences entre les cantons qui se traduisent inévitablement par des inégalités de traitement pour les victimes et des difficultés à accéder aux droits prévus par les conventions internationales."

"Dans certains cantons comme Vaud, on met en place des hébergements spécialisés donc un foyer sécurisé, un accompagnement global qui touche les niveaux médical, psychologique et juridique. Alors que dans d'autres cantons, la loi sur l'aide aux victimes ne permet que d'héberger les victimes dans des hôtels pendant des durées très limitées sans pouvoir leur fournir un accompagnement spécialisé", illustre-t-elle.

Pour réduire ces différences de traitement, une extension de la loi sur l'aide aux victimes est prévue, mais les cantons peuvent déjà prendre des mesures s'ils le souhaitent, précise Angela Oriti. "Les cantons peuvent déjà renforcer leur loi d'aide aux victimes en prenant des mesures plus contraignantes pour lutter contre la traite s'ils le souhaitent, et certains le font déjà."

>> Sur le sujet, lire : Des différences marquées entre les cantons dans la lutte contre la traite d'êtres humains

Propos recueillis par: Esther Coquoz

Adaptation web: Julie Marty

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La Suisse épinglée à l'international pour irrespect de plusieurs conventions sur l'aide aux victimes

En Suisse, toute personne victime de traite humaine à l'étranger et qui n'a pas de domicile dans le pays est exclue des prestations d'aide. Elle ne peut pas avoir accès à un hébergement sûr, ni à des conseils, et ne peut pas bénéficier d'une aide financière pour des frais médicaux ou de traduction. Dans le cas où cette personne n'aurait pas d'autorisation de séjour, elle peut même être menacée d'expulsion.

Concrètement, les victimes sont traitées de manière différenciée selon que le lieu de l'infraction se trouve en Suisse ou à l'étranger. Ce qui n'est pas le cas dans le canton de Vaud, souligne Angela Oriti. "On a déjà la possibilité de suivre les victimes même si l'infraction a eu lieu à l'étranger", indique-t-elle.

Non-respect de traités internationaux

Le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains dénonce ces différences de traitement depuis longtemps, car elles sont contraires à des traités internationaux ratifiés par la Suisse. C'est le cas de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains et la Convention d'Istanbul.

>> Ecouter l'intégralité du sujet de Forum de dimanche :

La Suisse pointée du doigt pour son non-respect des conventions sur l’aide aux victimes de traite d'être humain
La Suisse pointée du doigt pour son non-respect des conventions sur l’aide aux victimes de traite d'être humain / Forum / 3 min. / le 30 juillet 2023

Le Parlement travaille actuellement pour modifier la loi et permettre de soutenir les victimes d'infractions à l'étranger. La commission des affaires juridiques du National a déposé une initiative parlementaire qui évoque les lacunes de cette loi. Le texte donne l'exemple d'une femme qui aurait subi des violences sexuelles pendant la guerre entre la Russie et l'Ukraine, qui serait maintenant réfugiée en Suisse et qui n'aurait pas accès à des prestations de soutien.

Pour cette commission, les victimes doivent pouvoir faire valoir leurs droits. Et la Suisse doit respecter ses obligations internationales. Le texte est en train d'être examiné par le Conseil des Etats.

Pour aller plus loin, regarder le sujet du 19h30 sur le risque bien réel de la traite d'êtres humains pour les réfugiés ukrainiens:

Le SEM lance une campagne de prévention contre la traite d'être humain. Un risque bien réel pour les réfugiés ukrainiens.
Le SEM lance une campagne de prévention contre la traite d'être humain. Un risque bien réel pour les réfugiés ukrainiens. / 19h30 / 3 min. / le 12 avril 2022