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Des médecins aux titres trompeurs pratiquent la gynécologie en clinique privée

Une clinique privée est accusée d'usage de faux titres en Suisse romande
Une clinique privée est accusée d'usage de faux titres en Suisse romande / Forum / 2 min. / le 21 juillet 2023
Une clinique implantée à Montreux et Martigny présente ses cinq médecins comme étant des gynécologues. En réalité, un seul a le droit de porter ce titre, révèle une enquête de la RTS. Une tromperie qui n’est pas rare selon la Fédération suisse des patients.

La supercherie est si bien rodée qu’elle est restée à ce jour inaperçue. Sur son site internet, la clinique en question vante l’excellence de son savoir-faire et met l’accent sur les compétences de ses collaborateurs. Plusieurs avis positifs sont mis en avant, ainsi que des témoignages vidéo de patientes satisfaites. De quoi gagner la confiance de potentielles nouvelles clientes, dans cet établissement qui propose tant des soins gynécologiques que des opérations esthétiques.

Problème, parmi les cinq médecins présentés comme gynécologues, et avec qui il est possible de prendre rendez-vous en ligne, deux n’ont pas terminé la formation postgrade de gynécologues et deux autres sont médecins praticiennes, donc sans spécialisation. Elles n’ont ainsi pas l’autorisation de se présenter comme tel.

Interrogée sur ses pratiques, la clinique fait endosser l’erreur sur les responsables de son site internet: "Je suis toute la journée au bloc opératoire. Je n’ai pas le temps de vérifier que mon site est à jour", explique son directeur, qui nous confirme avoir modifié les titres de ses collaboratrices à la suite de nos questions. L’erreur aura tout de même perduré plusieurs mois pour certains profils.

Quant au choix d’employer des médecins praticiennes dans une clinique spécialisée en gynécologie, le directeur répond qu’il est difficile de trouver des spécialistes formés, en partie à cause de la pénurie de gynécologues en Suisse.

"Les patientes doivent être informées de vive voix"

Pour le médecin cantonal vaudois, un médecin praticien ou assistant peut effectuer certaines prestations qui relèvent des spécialités, comme ici la gynécologie obstétrique, à la seule condition que la patiente soit informée de vive voix du véritable titre de son médecin et de ce qu’il est en droit de faire. Le directeur de la clinique nous certifie que c’est bien le cas dans son établissement.

Suite aux questions de la RTS, l’Office du médecin cantonal affirme que des démarches sont en cours pour clarifier la situation. Il devra probablement se positionner sur la formulation choisie, qui inclut toujours le terme de gynécologue. Lors de ce type d’infraction, la loi vaudoise prévoit des sanctions pouvant aller de l’avertissement à une peine pécuniaire 200'000 francs, voire à interdiction de pratiquer dans les cas les plus graves. En Valais, où la clinique tient une seconde succursale, l’amende peut monter jusqu’à 100’00 francs et peut s’accompagner d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à 3 mois.

Quant aux gestes que peuvent effectuer les praticiens et les assistants, le cadre légal est flou: c’est au médecin praticien de définir lui-même la limite de ses compétences, et au formateur de délimiter celles de ses assistants.

Une nouvelle mode

La tromperie sur les titres n’est pas rare selon la Fédération des patients. "C’est une nouvelle mode. On a par exemple des cliniques privées qui se vendent avec des titres de médecins urgentistes pour des médecins praticiens, voire qui se présentent comme une alternative aux urgences hospitalières alors qu’elles n’ont pas les infrastructures pour. Il y a ici un vrai problème de qualité et on attend des cantons qu’ils assurent une meilleure surveillance sur ces pratiques-là", déplore Simon Zurich, vice-président de la Fédération.

La surveillance demandée par l’organisation de défense des patients est toutefois impossible selon les cantons, qui répondent ne pas avoir les moyens de le faire. Tous affirment agir uniquement à la suite d’une plainte ou d’un signalement provenant d’un tiers. Le Valais confie avoir fait face à plusieurs cas ces dernières années et Genève parle d’une dizaine de dénonciations par an.

Pour la Fédération des patients, ces tendances sont en réalité plus élevées. L’organisation vérifie régulièrement les nouveaux cabinets qui ouvrent: "Ce problème ne concerne qu’une minorité de médecins, mais il y a effectivement un souci", poursuit Simon Zurich.

La Fédération des médecins suisse fait la sourde oreille

La RTS a interrogé à maintes reprises la FMH, la Fédération des médecins suisses, à propos de cette clinique. L’organisation vante, en effet, son investissement "en faveur d’un système efficace et centré sur le patient, dans lequel les médecins sont en mesure de fournir des prestations de haute qualité". Mais malgré nos interpellations quant à l’usage de faux titres au sein de la clinique valdo-valaisanne, la FMH n’a pas souhaité réagir, nous renvoyant systématiquement vers les autorités de surveillance cantonale.

>> L'interview de Cédric Dessimoz, médecin cantonal adjoint en Valais, dans Forum :

De faux gynécologues exercent en Suisse romande: interview de Cédric Dessimoz
De faux gynécologues exercent en Suisse romande: interview de Cédric Dessimoz / Forum / 5 min. / le 21 juillet 2023

Léa Bucher

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Votre médecin en est-il vraiment un?

Le registre de la Confédération, le MedReg, fait office de référence pour connaître le(s) titre(s) et autorisation de pratiquer de vos médecins. Il est accessible en ligne et est régulièrement mis à jour. Tous les médecins y sont inscrits, que ce soient les généralistes, les spécialistes, les psychologues, les dentistes ou encore les vétérinaires. Les autorités encouragent la population à s’y référer et à signaler toute irrégularité auprès du médecin cantonal compétent.

Vers une banalisation de la chirurgie esthétique

Une seconde nouvelle tendance est jugée questionnable sur le plan éthique par la Fédération des patients: "On a de plus en plus d’établissements qui mélangent la médecine de premiers recours à la médecine esthétique, et cela tend à banaliser les interventions esthétiques. Ces cliniques ciblent, par exemple, les femmes et jeunes filles sur les réseaux sociaux, alors que la publicité non objective pour des prestations médicales est en principe interdite", s’inquiète son vice-président Simon Zurich. C’est le cas de la clinique valdo-valaisanne, qui propose par exemple une opération pour l’augmentation du point G sur ses comptes TikTok, Instagram, Facebook et Youtube.

Pour la Fédération des patients, là encore, il est difficile de contrôler le nombre important de cliniques présentes sur les réseaux sociaux. L’organisation déplore avant tout le flou juridique qui entoure le terme d’objectivité dans les lois cantonales. "La limite n'est pas claire. On retrouve dans des cabinets des flyers pour des opérations remboursées, ou des incitations à consommer des prestations médicales qui ne sont pas anodines", alarme Simon Zurich.