Publié

La Suisse pourrait rapatrier une djihadiste et sa fille détenues en Syrie

Le camp Roj, dans le nord-est de la Syrie [AFP - DELIL SOULEIMAN]
La Suisse pourrait rapatrier une djihadiste et sa fille détenues en Syrie / La Matinale / 2 min. / le 28 mars 2023
Selon des informations de la RTS, le Département fédéral des Affaires étrangères examine un potentiel retour en Suisse d’une Lausannoise et de sa fille, détenues dans un camp en Syrie. Le Conseil fédéral a jusqu'ici toujours refusé d’intervenir pour rapatrier les djihadistes adultes de nationalité suisse.

Cela fait maintenant cinq ans que Selma et sa fille, âgée de cinq ans, sont emprisonnées. Elles se trouvent actuellement dans le camp d’Al-Roj, au nord-est de la Syrie, proche des frontières turque et irakienne.

Une prison à ciel ouvert que Selma veut quitter. Interrogée il y a quelques mois par l’émission Rundschau de la SRF, cette ancienne étudiante en droit de l’Université de Lausanne disait regretter avoir rejoint Daech. "Je voulais tellement y croire, je voulais aller avec mon mari dans un endroit paradisiaque. Mais ce n’était pas le cas, je le sais aujourd’hui. J’étais trop naïve."

La Lausannoise assure ne plus soutenir l’Etat islamique et même "détester" l’organisation, "car ils ont détruit ma vie et la vie de mon mari". Aujourd’hui, Selma craint pour la sécurité de sa fille et veut rentrer avec elle en Suisse.

Retour impossible

Mais le Conseil fédéral s’est toujours opposé au retour de cette mère de famille, comme pour tous les djihadistes adultes. S’il n’est constitutionnellement pas possible d’empêcher un citoyen suisse de revenir au pays, la Confédération n’intervient pas activement pour rapatrier les adultes partis à l’étranger avec des motivations terroristes. Autant dire que cela rend de facto impossible un retour de Selma.

Seul l’enfant pourrait être ramenée en Suisse par les autorités, mais sans sa mère. C’est arrivé une seule fois, en décembre 2021, lorsque deux filles de 9 et 15 ans ont été rapatriées à Genève, avec le consentement de la mère, qui est restée emprisonnée sur place.

>> Lire à ce sujet : Pour la première fois, deux enfants sont rapatriés en Suisse depuis la Syrie

Pour Selma, il est toutefois hors de question de laisser sa fille partir sans elle. La situation est donc bloquée depuis plusieurs années.

>> Ecouter l'interview de Me Saskia Ditisheim, avocate de Selma :

Saskia Ditisheim. [Keystone - Me Martial Trezzini]Keystone - Me Martial Trezzini
Rapatriement d'une djihadiste suisse: Interview de Me Saskia Ditisheim / La Matinale / 1 min. / le 28 mars 2023

Examen du cas

La doctrine n’a officiellement pas changé. En revanche, le dossier bouge en coulisse depuis l’arrivée d’Elisabeth Baume-Schneider. La Jurassienne est l’une des trois membres de la délégation de sécurité du gouvernement, avec Ignazio Cassis et Viola Amherd.

Selon les informations de la RTS, un examen concret du cas est en cours, mené par le Département fédéral des Affaires étrangères. Fedpol et le Service de renseignement de la Confédération évaluent notamment la dangerosité d’un éventuel retour en Suisse de Selma et de sa fille.

Le Conseil fédéral pourrait donc faire une exception, mais uniquement pour cette situation, la seule qui implique une mère de famille et son enfant. Il n’est donc pas question ici de rapatrier les autres djihadistes suisses, des hommes partis au combat.

Position suisse critiquée

Au-delà du changement à la tête du Département de justice et police, ce potentiel revirement s’explique par une position de moins en moins tenable pour les autorités helvétiques. De nombreuses ONG et des experts de l’ONU dénoncent la situation dans les camps kurdes.

>> Lire également : La Suisse appelée à rapatrier ses djihadistes et leurs familles

Des dizaines de milliers de femmes et surtout des enfants y sont détenus, avec un soutien médical et un accès à l’éducation limités. Des dizaines d’enfants y meurent chaque année, selon l’ONG Save the children.

De quoi faire changer de position plusieurs pays européens, qui rapatrient désormais femmes et enfants. A l’instar de la France, condamnée à plusieurs reprises, notamment par le Comité contre la torture des Nations unies et la Cour européenne des droits de l’homme.

>> Lire à ce sujet : La France condamnée concernant le rapatriement des familles de djihadistes

En Suisse, la pression vient aussi du parlement, où des voix s’élèvent pour rapatrier Selma et sa fille. Si la gauche a toujours soutenu cette position, des parlementaires influents de droite partagent désormais cette vue.

Choix politique

En cas de retour, la fille serait prise en charge par l’Etat pour qu’elle puisse progressivement intégrer la société. La mère, elle, serait arrêtée, puis jugée. Un tel procès serait une première en Suisse.

Mais un tel scénario est encore lointain. Si l’évaluation sécuritaire est concluante, le Conseil fédéral fera face à un choix politique compliqué - il se pourrait d'ailleurs que ce dossier sensible n’évolue guère avant les élections fédérales.

Valentin Emery/ami

Publié

Débat sur la ligne suisse et le risque sécuritaire

Pour Saskia Ditisheim, l'avocate de la femme, la position de la Suisse n’est plus tenable. "Ces deux personnes sont détenues depuis presque six ans, sans aucune procédure pénale. C'est une prison à ciel ouvert, un enfer. Leurs droits fondamentaux ne sont pas garantis. Il y a un problème de sécurité. La petite ne peut pas aller à l'école. Il y a également un danger pour la mère de se faire agresser ou violer, et ce quotidiennement. Pour ces raisons, il est évident qu'elles doivent se faire rapatrier en Suisse par le Conseil fédéral", argumente l'avocate genevoise mardi dans La Matinale.

Questionnée sur la question sécuritaire, Saskia Ditisheim demande de tourner le regard vers la France, qui a "rapatrié une centaine de femmes". Elle ajoute que sa cliente n'est pas dangereuse. "Même si elle l'était, ce serait un peu ridicule que la Suisse ne puisse pas surveiller une seule personne", lance-t-elle.

La Suisse doit tenir sa ligne, selon Yves Nidegger

Le conseiller national UDC Yves Nidegger pense, de son côté, que le Conseil fédéral doit malgré tout maintenir sa ligne. "La Suisse a comme principe de dire: 'les enfants, oui; les adultes non', pour des questions de sécurité", déclare-t-il. "Un enfant qui pourrait partir depuis plusieurs années est retenu par sa propre mère, qui le tient en otage, comme bouclier humain, pour pouvoir, elle, sortir. Céder à ce chantage serait, à mons avis, extrêmement lâche et non justifié", avance le Genevois.

Elisabeth Baume-Schneider: "On doit décorréler les décisions de principe de la situation particulière"

La migration revient parmi les principales préoccupations de la population suisse. Invitée dans La Matinale mardi, la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, à la tête du Département de justice et police, a réagi à l'information révélée par la RTS sur le possible rapatriement d'une mère djihadiste suisse et de sa fille, détenues dans un camp en Syrie.

"Le Conseil fédéral a pris une décision de principe sur le fait que l'on rapatriait les enfants, pas les parents. On doit décorréler les décisions de principe de la situation particulière. Il faut voir si nous avons une responsabilité en termes de protection par rapport à cette femme et ses enfants, si un rapatriement est utile et fait sens du point de vue juridique et humain", explique la conseillère fédérale, soulignant que pour l'heure le dossier est traité par le DFAE et qu'"il n'y a pas de précipitation à avoir".