"Villages de marques". [RTS/Keystone]
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"Villages de marques": ces entreprises suisses qui ont marqué la vie des localités où elles se sont implantées

Les cigarettes Burrus à Boncourt (JU), le cimentier Holcim à Holderbank (AG), les condiments Maggi à Kemptthal (ZH), les casseroles Kuhn Rikon à Rikon (ZH) ou les chaussures Bally à Schönenwerd (SO). La Suisse est le berceau de plusieurs marques qui, en plus d'être parfois connues au-delà de nos frontières, ont influencé en profondeur la vie des localités où elles se sont implantées.

Rikon, Zurich

Les casseroles Kuhn Rikon

Le petit village de Rikon, dans les Préalpes zurichoises, est connu pour avoir reçu à plusieurs reprises le dalaï-lama, notamment en 1973 et en 2018. Il faut dire que la commune abrite depuis 1968 un monastère tibétain, le premier construit en Europe. Mais tout cela n'aurait pas été possible sans la fameuse fabrique de casseroles Kuhn Rikon.

Le dalaï-lama lors de sa dernière visite à Rikon, en 2018. [Keystone - Ennio Leanza]
Le dalaï-lama lors de sa dernière visite à Rikon, en 2018. [Keystone - Ennio Leanza]

Pour comprendre l'histoire qui lie la fabrique de casseroles, le petit village zurichois et le Tibet, il faut remonter à 1964. A cette époque, la Confédération décide de porter secours à des familles tibétaines qui ont dû fuir leurs terres, chassées par les Chinois. Les deux frères à la tête de l'entreprise Kuhn Rikon décident alors d'offrir spontanément leur aide, leur proposant des emplois et des logements à Rikon.

Un centre culturel

Pose de la première pierre de l'institut monastique tibétain de Rikon, le 29 juillet 1967, en présence de moines bouddhistes. [Keystone - STR]
Pose de la première pierre de l'institut monastique tibétain de Rikon, le 29 juillet 1967, en présence de moines bouddhistes. [Keystone - STR]

Malgré tout, ces réfugiés ne se sentent pas tout de suite bien dans la petite localité, comme l'explique Tobias Gerfin, directeur général de Kuhn Rikon.

"Il manquait quelque chose. L'entreprise a alors décidé d'agir pour changer cette situation. Une personne de la famille Kuhn est alors partie dans le nord de l'Inde à la rencontre du dalaï-lama. Et c'est ce dernier qui a dit de créer un centre culturel."

L'Institut tibétain voit le jour en 1968, devenant rapidement le point de ralliement de la communauté tibétaine de Suisse. A noter que c'est le seul monastère bouddhique fondé hors d'Asie sur ordre du guide spirituel.

Tibétains bien intégrés aujourd'hui

Les Tibétains sont désormais bien intégrés à Rikon où de nouveaux réfugiés arrivent encore régulièrement, comme Deshar Karpo, employé dans l'entreprise de casseroles depuis neuf mois. "On m'a souvent raconté ce que cette entreprise a fait pour les Tibétains. J'ai toujours voulu travailler ici, j'ai de la chance d'être là."

Aujourd'hui, l'entreprise zurichoise produit une grande partie de ses casseroles en Chine, mais l'histoire d'amour entre Rikon et les Tibétains reste intacte.

>> Voir le sujet du 19h30 :

Rikon: un village zurichois devenu un peu tibétain grâce à un fabricant de casseroles
Rikon: un village zurichois devenu un peu tibétain grâce à un fabricant de casseroles / 19h30 / 2 min. / le 22 juillet 2022

Schönenwerd, Soleure

Les chaussures Bally

Des visiteuses admirent les chaussures de l'entreprise Bally de Schönenwerd lors de la 37e Foire d'échantillons de Bâle, en avril 1953. [Keystone - KRAFT / KOCH]
Des visiteuses admirent les chaussures de l'entreprise Bally de Schönenwerd lors de la 37e Foire d'échantillons de Bâle, en avril 1953. [Keystone - KRAFT / KOCH]

C'est à Schönenwerd, dans le canton de Soleure, que Carl Franz Bally installe en 1851 sa fameuse fabrique de chaussures. Rapidement, plus de 3000 employés rejoignent l’entreprise. Pour les loger, de nombreuses habitations y sont alors construites.

Le visage du petit bourg médiéval change radicalement, comme le raconte Martin Matter, descendant de Carl Franz Bally. "La population va littéralement exploser, surtout jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale."

"La plus grande usine de chaussures du monde"

La mécanisation galopante place l’entreprise au sommet dès le début du 20e siècle. "Aux environs de 1900, Bally est devenue la plus grande usine de chaussures du monde", souligne-t-il encore.

Mais après la gloire, l'entreprise connaît le déclin. La concurrence des importations étrangères dès les années 1960 fait mal. Rachetée, l'usine passe de mains en mains, elle licencie et quitte définitivement Schönenwerd pour le Tessin en 1999.

"Dans les années 2000, tout était vide, donc c’est clair que c’était un choc, ça sentait un peu la mort. Mais maintenant tout est plein et le village s’est tout à fait repris", explique encore le descendant de Franz Carl Bally.

Bally encore partout

Quoi qu'il en soit, si l'histoire d’amour entre Bally et Schönenwerd est aujourd’hui terminée, elle a laissé derrière elle les traces de 150 ans de vie commune. Le nom Bally est présent encore partout, à l'instar du parc Bally, de la Maison Bally ou de la rue Bally.

"Sans Bally et les autres industries, notre commune n’aurait peut-être que la moitié de ses habitants, elle n’aurait pas cette taille et surtout ne serait pas structurée de cette manière", confirme Peter Hodler, conseiller d'Etat soleurois.

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Village de marque: Schönenwerd (SO) encore marqué par Bally, en 1950 un des plus gros producteurs mondiaux de chaussures
Village de marque: Schönenwerd (SO) encore marqué par Bally, en 1950 un des plus gros producteurs mondiaux de chaussures / 19h30 / 2 min. / le 19 juillet 2022

Kemptthal, Zurich

Sauce et bouillons Maggi

Les fameux condiments Maggi ont commencé à être produits à Kemptthal depuis 1886. [Keystone]
Les fameux condiments Maggi ont commencé à être produits à Kemptthal depuis 1886. [Keystone]

La commune zurichoise de Kemptthal abrite un gigantesque site industriel créé par un personnage au nom de famille bien connu en Suisse. Il y a 150 ans, c'est là que Julius Maggi, immigré italien, y construit en effet son entreprise qui, il y a encore 40 ans, comptait des milliers d'employés.

Retraité de Maggi, Martin Oeler avait été engagé en 1982. "Il y avait une très grosse production: les soupes, les fameux bouillons cubes et la célèbre sauce Maggi qu'on a commencé à produire juste ici", se rappelle-t-il.

Nestlé rachète Maggi en 1947

Les produits Maggi s’exportent dans le monde entier. Nestlé rachète ensuite l'entreprise en 1947 et cesse toute production à Kemptthal il y a 20 ans. Le site se vide, mais l'endroit fourmille aujourd'hui d'une multitude d'autres activités. Près de 140 entreprises s'y sont en effet implantées, redonnant un nouvel élan aux locaux.

Le site de production Maggi à Kemptthal, dans le canton de Zurich, en 1996. [Keystone - STR]
Le site de production Maggi à Kemptthal, dans le canton de Zurich, en 1996. [Keystone - STR]

Un succès qui a surpris même les nouveaux maîtres des lieux, comme le souligne Mikula Gehrig, responsable du développement. "L'architecture, le charme de l'endroit plaisent beaucoup. Et l'esprit de Julius Maggi est toujours présent. On a beaucoup de start-up très innovantes, des entreprises de l'alimentaire qui perpétuent son héritage."

L'alimentation toujours au coeur de "The Valley"

Si Maggi a définitivement quitté Kemptthal, l'alimentation continue aujourd'hui de faire battre le coeur des lieux. Rebaptisées "The Valley", les anciennes usines Maggi abritent notamment le Hiltl, qui se revendique comme le plus vieux restaurant végétarien au monde.

L'intérieur de Planted Foods AG qui produit aujourd'hui à Kemptthal des substituts de viande à partir de matières premières végétales. [Keystone - Gaetan Bally]
L'intérieur de Planted Foods AG qui produit aujourd'hui à Kemptthal des substituts de viande à partir de matières premières végétales. [Keystone - Gaetan Bally]

Planted, une start-up qui produit des protéines alternatives, c'est-à-dire issues non pas de la viande mais de végétaux, a également fait le choix de Kemptthal pour s'implanter. L'entreprise a déjà séduit de nombreux investisseurs, se réjouit Pascal Bieri, cofondateur de Planted foods. "On a levé 45 millions de francs jusqu'à maintenant. Sur le marché des protéines alternatives, on est l'entreprise avec la plus grande croissance en Europe."

Et ça ne s'arrête pas là. En face de Planted, un chantier est en cours. Givaudan, Bühler et Migros créent ici un site pilote de viande de culture, c'est-à-dire de viande produite en laboratoire. Après les cubes de bouillon, des steaks ou des filets de poisson sortiront dès l'an prochain des anciennes usines Maggi.

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"Villages de marques": À Kemptthall (ZH), le site industriel de Maggi revit aujourd’hui grâce à des entreprises innovantes
"Villages de marques": À Kemptthall (ZH), le site industriel de Maggi revit aujourd’hui grâce à des entreprises innovantes / 19h30 / 2 min. / le 18 juillet 2022

Holderbank, Argovie

Le cimentier Holcim

Une vue aérienne de la cimenterie de Holderbank en 1965. [Keystone - STR]
Une vue aérienne de la cimenterie de Holderbank en 1965. [Keystone - STR]

La petite localité argovienne d'Holderbank, située sur les bords de l'Aar, résonne dans le monde entier. Il faut savoir qu'elle est le lieu de naissance peu connu du plus gros cimentier mondial. L'entreprise Holcim porte d'ailleurs jusqu'en 2001 le même nom que le village dans lequel elle a vu le jour en 1912.

A l'époque, la cimenterie Holderbank a quasi tout sous la main, à commencer par le calcaire et une usine pour le transformer en clinker, le principal constituant du ciment. La cimenterie recrute alors partout dans la région, comme l'explique Walter Deubelbeiss.

"Beaucoup avaient une ferme avec à peine une ou deux vaches, et à côté, ils venaient travailler ici", raconte ce retraité d'Holcim.

Une des premières multinationales helvétiques

A l'origine, il y a une dynastie, les Schmidheiny. D'abord Jakob puis Max font d'Holderbank, dès les années 1930, l'une des premières multinationales helvétiques. Des usines voient le jour en France, en Egypte ou encore aux Etats-Unis.

Mais à Holderbank, les temps changent. L'usine ferme ses portes en 1976. "Le père Schmidheiny, lorsqu'il est venu annoncer ça à la cantine, les larmes lui coulaient sur les joues. Le propriétaire devait fermer la mère de toutes les cimenteries, l'une des plus modernes d'Europe", relate Walter Deubelbeiss.

A la fin des années 1980, le dernier symbole de l'usine, une cheminée qui domine la commune, est dynamitée.

220 employés encore sur place

Le logo de LafargeHolcim, au siège parisien du groupe. [EPA - YOAN VALAT]
Le logo de LafargeHolcim, au siège parisien du groupe. [EPA - YOAN VALAT]

Aujourd'hui, Holcim, devenue Lafarge Holcim, fabrique le ciment ailleurs. L'entreprise qui enregistre quelque 27 milliards de chiffre d'affaires possède 260 usines dans le monde, trois en Suisse, et 220 employés travaillent encore dans les bureaux à Holderbank. Sa présence rapporte d'ailleurs à la commune encore la moitié des recettes fiscales.

En outre, dans la partie inférieure de la vieille carrière, elle y a implanté un nouveau quartier.

"Sur la partie supérieure, il y a une zone naturelle protégée d'importance nationale", souligne Herbert Anderegg, le maire d'Holderbank. "Il y vient chaque jour des visiteurs de toute la Suisse. On y trouve même des fossiles, et les gens viennent pour en chercher."

Partie conquérir le monde, l'entreprise Holcim marque toujours son lieu d'origine et son économie.

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Villages de marques: la cimenterie Holcim, l'une des plus grandes multinationales de Suisse, est née dans la commune argovienne d'Holderbank
Villages de marques: la cimenterie Holcim, l'une des plus grandes multinationales de Suisse, est née dans la commune argovienne d'Holderbank / 19h30 / 2 min. / le 20 juillet 2022

Boncourt, Jura

L'usine de cigarettes Burrus

Léon Burrus, industriel et maire est une figure de Boncourt.
Léon Burrus, industriel et maire est une figure de Boncourt.

Le petit village jurassien de Boncourt ne serait pas ce qu'il est sans sa gigantesque usine de cigarettes, vendue il y a 26 ans par la famille Burrus.

Parc, mairie, piscine, EMS, centre équestre et école: ce nom est d'ailleurs à tous les coins de rue. Il faut dire que la famille Burrus a financé quantité d'infrastructures dans la commune.

C'est l'un de ses membres, Léon Burrus, qui a par exemple financé la construction du stade du village. Comme l'explique Régis, son petit-fils, les différentes branches de la famille et leurs associés ont toujours investi dans la formation.

"Il était absolument primordial de former les collaborateurs et de leur permettre d'avoir un niveau de compétence excellent pour assurer la productivité", indique-t-il.

Pionnière en termes de prestations sociales

Les usines ne sont qu'à 300 mètres de la frontière française, mais la famille Burrus privilégie la main d'oeuvre locale. Elle s'inscrit dans la lignée du capitalisme rhénan. Allocations familiales, caisse de retraite, congés payés: l'entreprise est pionnière en Suisse au niveau des prestations sociales.

Le rail joue aussi un rôle important dans l'essor de l'entreprise. Grâce à l'industrialisation galopante et au boom de la cigarette, les volumes explosent et d'immenses entrepôts sont construits aux abords de la gare.

François Burrus, patron de l'entreprise, maire de Boncourt et député au Grand Conseil bernois au tournant du 20e siècle est un grand supporter du chemin de fer, comme le raconte Régis Burrus. "Il a joué un rôle déterminant pendant dix ans de sa vie pour assurer l'implantation de cette ligne de chemin de fer qui a permis la croissance de son entreprise."

En 1939, la guerre éclate. Les hommes de la famille Burrus sont sous les drapeaux, à l'image de Léon. Pendant ce temps, dans le domaine familial, son épouse, Marguerite, va prendre une initiative dont ses descendants viennent tout juste de découvrir l'existence, comme le relate avec fierté son petit-fils Régis.

"Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que c'était un délit, elle a aidé des passeurs pour faire venir clandestinement des réfugiés français juifs et des enfants qui ont pu grâce à elle traverser la frontière."

A Boncourt, l'usine de cigarettes Burrus n'est aujourd'hui plus que le troisième employeur, mais la commune reste durablement marquée par ceux qui l'ont dirigée pendant presque de deux siècles.

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Villages de marques: Les Burrus, une dynastie de mécènes, ont souvent été pionniers en matière de prestations sociales à Boncourt (JU)
Villages de marques: Les Burrus, une dynastie de mécènes, ont souvent été pionniers en matière de prestations sociales à Boncourt (JU) / 19h30 / 2 min. / le 21 juillet 2022