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L'avortement, un droit fragile en Suisse également

Des personnes sont venues manifester avec un cintre, symbole du combat pour le droit à l'avortement, après la décision de la Cour suprême des Etats-Unis de révoquer le droit fédéral à l'avortement. [AFP - Anna Margueritat / Hans Lucas]
Des personnes sont venues manifester avec un cintre, symbole du combat pour le droit à l'avortement, après la décision de la Cour suprême des Etats-Unis de révoquer le droit fédéral à l'avortement. - [AFP - Anna Margueritat / Hans Lucas]
Régulièrement contesté à l'étranger, le droit à l'avortement est également remis en cause en Suisse. La question est débattue jusque sous la Coupole fédérale. Alors que certains militent pour sa suppression du Code pénal, deux initiatives ont été lancées pour limiter les interruptions de grossesse.

En Suisse comme ailleurs, l'avortement est un sujet politique controversé. En 2002, ce droit a été partiellement dépénalisé et le régime du délai, qui permet aux personnes enceintes de décider d'avorter librement durant les 12 premières semaines de grossesse, a été introduit, après plusieurs décennies de combat.

>> Lire à ce sujet notre grand format consacré à la lutte pour le droit à l'avortement en Suisse : Après le suffrage féminin, le droit à l’avortement

Selon les derniers chiffres de l'Office fédéral de la statistique (OFS), 10'906 interruptions de grossesse (IVG) ont été réalisées en Suisse en 2020. La majorité des interventions ont eu lieu dans les huit premières semaines de grossesse et 95% d’entre elles ont été effectuées avant la douzième semaine, indique l'institution. Les IVG se sont déroulées à 79% par voie médicamenteuse, praticable jusqu'à la neuvième semaine de grossesse, et à 21% par voie chirurgicale.

Sur cette même année, il y en a eu en moyenne 6,8 pour 1000 femmes âgées entre 15 et 44 ans qui ont avorté, soit un taux similaire à celui d'il y a dix ans. Ce taux est d'ailleurs bas en comparaison internationale, rappelle l'OFS.

Taux d'IVG pour 1000 femmes en Suisse, selon l'année [OFS - Statistique des interruptions de grossesse]
Taux d'IVG pour 1000 femmes en Suisse, selon l'année [OFS - Statistique des interruptions de grossesse]

Des discriminations persistent

Il y a vingt ans, la Suisse acceptait par une large majorité en votation le régime du délai lié à l'IVG, fixé à 12 semaines de grossesse. Celui-ci est actuellement encore régi par le Code pénal. Au-delà de ce délai, l'avortement est interdit et passible d'une peine, sauf si un avis médical démontre un danger d'atteinte grave à l'intégrité physique ou d'état de détresse profonde.

Des voix s'élèvent aujourd'hui en faveur d'une suppression de l'article de loi sur l'avortement dans le Code pénal. L'organisation faîtière Santé sexuelle Suisse (SSCH) a notamment lancé une charte en ce sens à l'occasion des 20 ans de l'introduction du régime du délai. Ce dernier "a fait ses preuves", mais des obstacles subsistent encore à l'IVG, relève la SSCH.

Ils sont notamment liés à l'aspect financier et à l'accès aux prestations et à des informations claires. Les structures hospitalières ont aussi une approche encore trop paternaliste et stigmatisante de la pratique de l'IVG, dénonce l'organisation. Son inscription au Code pénal favorise en outre cette stigmatisation.

>> Voir aussi le sujet du 19h30 :

La loi suisse garantit le droit à l'IVG mais certaines femmes rapportent des expériences difficiles, avec des pressions
La loi suisse garantit le droit à l'IVG mais certaines femmes rapportent des expériences difficiles, avec des pressions / 19h30 / 2 min. / le 29 juin 2022

Un enjeu de santé avant tout

Pour la SSCH, l'avortement ne doit donc plus être un délit pénal. Sa présidente, la conseillère nationale verte Léonore Porchet, a déposé le 2 juin dernier une initiative parlementaire demandant que "l'avortement soit avant tout considéré comme une question de santé et non plus comme une affaire pénale".

>> Lire aussi : Vingt ans après le régime du délai, l'IVG n'est toujours pas considérée comme un enjeu de santé

"Actuellement, la menace pénale est utilisée par les personnes récalcitrantes ou l'entourage. Nous souhaitons que ce soit toujours une décision prise entre la personne concernée et son praticien de santé, qui devrait la traiter avec bienveillance et sans jugement", avait déclaré la Vaudoise au micro de la RTS.

Ce changement aurait un impact considérable pour les personnes souhaitant avorter, estime Léonore Porchet. Il permettrait ainsi de réduire la culpabilisation, en partie induite par la pénalisation de la pratique. La suppression de l'article de loi pourrait également limiter les comportements malhonnêtes des professionnels de la santé hostiles à l'IVG, qui s'appuient sur le droit pénal pour éviter de pratiquer des avortements.

>> Revoir le débat dans Forum entre les députés Léonore Porchet (Verts/VD) et Sydney Kamerzin (Le Centre/VS) :

Avortement, faut-il le retirer du code pénal? Débat entre Léonore Porchet et Sydney Kamerzin
Avortement, faut-il le retirer du code pénal? Débat entre Léonore Porchet et Sydney Kamerzin / Forum / 10 min. / le 2 juin 2022

Des initiatives pour restreindre l'IVG

De leur côté, les opposants et opposantes à l'avortement tentent aussi de se faire entendre. L'Union démocratique du centre (UDC) semble vouloir remettre la question au centre du débat public. Les conseillères nationales Andrea Geissbühler (UDC/BE) et Yvette Estermann (UDC/LU) ont lancé fin 2021 deux initiatives visant à réduire le nombre d'avortements.

Le premier texte veut introduire un délai de réflexion d'un jour avant toute IVG. Ce délai doit permettre aux femmes d'éviter de prendre des décisions hâtives sous pression et sous stress, précisent les initiantes. La deuxième initiative s'oppose quant à elle aux avortements tardifs, jugés "choquants". Elle veut accorder aux bébés à naître un droit absolu à la vie dès le moment où ils pourraient survivre et respirer en dehors du ventre de leur mère, de manière analogue aux prématurés.

>> Relire : Deux initiatives limitant l'avortement lancées par des conseillères nationales UDC

La question de l'avortement fait débat au sein même du parti. Invitée lundi dans Forum pour réagir sur la décision de la Cour suprême américaine de révoquer le droit fédéral à l'avortement, la conseillère nationale Céline Amaudruz a fait part de son inquiétude, "en tant que femme", concernant les atteintes au droit à l'IVG.

"Sur les aspects sociétaux, et particulièrement sur l'avortement, je ne partage pas du tout l'avis de mon parti", a souligné la Genevoise, qui a rappelé qu'"aucune femme n'avorte par plaisir, mais par choix".

>> L'interview de Céline Amaudruz dans Forum :

La Cour suprême américaine laisse les Etats interdire l'avortement: interview de Céline Amaudruz
La Cour suprême américaine laisse les Etats interdire l'avortement: interview de Céline Amaudruz / Forum / 3 min. / le 27 juin 2022

Si les opposants et opposantes à l'IVG craignaient une hausse considérable des avortements après l'introduction du régime du délai en 2002, la nouvelle législation a plutôt eu pour effet la baisse progressive de ces interventions. Le débat n'est toutefois pas clos et le droit à l'avortement continue d'être régulièrement remis en cause, en Suisse comme à l'étranger.

>> Les précisions de Charlotte Onfroy-Barrier sur les différentes législations en Europe :

Avortement: Charlotte Onfroy-Barrier fait le tour des législations européennes
Avortement: Charlotte Onfroy-Barrier fait le tour des législations européennes / 19h30 / 1 min. / le 29 juin 2022

Isabel Ares/hkr avec l'ats

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En France, la décision américaine redonne espoir aux mouvements "pro-vie"

Les anti-IVG, qui se font désormais appeler "pro-vie" aussi en Europe, se font également entendre chez nos voisins en France. Pour ces mouvements, la décision américaine est réjouissante et augure de futurs succès dans leur combat contre l'avortement.

Aliette Espieux, candidate pour le Rassemblement national aux dernières élections municipales, est la porte-parole de la Marche pour la vie, une manifestation contre l’avortement qui a lieu en France chaque année depuis dix ans. La militante de 22 ans salue la décision américaine "C’est aussi une victoire pour les enfants, grands oubliés de cette jurisprudence", souligne-t-elle jeudi dans La Matinale. Pour elle, avant d’être une victoire idéologique, la récente décision de la Cour suprême américaine est avant tout "une victoire de la vie".

La jeune femme est également contre la pilule du lendemain et contre la pilule tout court, des outils pour gérer la contraception qu’elle juge "égoïstes" et utilisés  par des femmes "qui veulent profiter et n’assument pas d’avoir des bébés".

>> Ecouter le sujet de La Matinale :

Mobilistion de militants et militantes anti-avortement, après la décision de la Cour suprême américaine de révoquer le droit fédéral à l'avortement. [Keystone - Laure Boyer]Keystone - Laure Boyer
La décision de la Cour suprême américaine sur l’avortement redonne espoir aux "pro-vie" français / La Matinale / 1 min. / le 30 juin 2022