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André Duvillard: "Le risque d'une panne généralisée est une réalité"

L'invité de La Matinale (vidéo) - André Duvillard, délégué au Réseau national de sécurité
L'invité de La Matinale (vidéo) - André Duvillard, délégué au Réseau national de sécurité / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 10 min. / le 9 mai 2022
A la tête du Réseau national de sécurité depuis 2012, André Duvillard prendra sa retraite à la fin du mois de juillet. A l'heure du bilan, il se montre globalement rassurant mais pointe la menace d'une panne d'électricité généralisée comme l'un des principaux risques en Suisse.

Le Réseau national de sécurité (RNS), structure qui regroupe tous les instruments de sécurité en Suisse, avait été lancé il y a dix ans afin de mieux coordonner l’action des cantons et de la Confédération. Précédemment, la coordination entre l’armée et les forces de police s’était déjà intensifiée au début des années 2000 lors d’évènements comme le Forum de Davos ou les manifestations en marge du G8 d’Evian.

Invité lundi de La Matinale de la RTS, André Duvillard se veut globalement rassurant sur l'état de la sécurité aujourd'hui en Suisse, même après deux ans de pandémie et un retour de la guerre en Europe.

"J'ai l'impression que la Suisse n'est pas moins sûre aujourd'hui qu'elle l'était il y a encore dix ans", dit-il d'emblée tout en rappelant que "le sentiment de sécurité est quelque chose d'extrêmement subjectif". Dans ce contexte, "c'est le rôle des gens de la sécurité de transmettre le message du verre à moitié plein plutôt que du verre à moitié vide", dit-il.

La panne générale d'électricité figure tout en haut de la liste.

André Duvillard

Et le plus grand risque aujourd'hui en matière de sécurité n'est peut-être pas celui auquel on penserait spontanément. "Si on prend les analyses de risques faites régulièrement, il y a une large palette de risques et dangers, que ce soit au niveau des catastrophes naturelles, des risques techniques", explique André Duvillard." L'un d'entre eux, mentionné par les experts et qui a été exercé, est celui de la panne d'électricité généralisée.

"C'est une réalité, elle figure tout en haut de la liste", précise le délégué. "On espère que ça ne se produira pas, mais ça aurait un impact sur toute la population même si ça ne dure que quelques jours".

>> Voir aussi son portrait dans le 19h30 :

André Duvillard, chef du réseau national de sécurité, prend sa retraite. Il connaît tous les secrets d’Etat.
André Duvillard, chef du réseau national de sécurité, prend sa retraite. Il connaît tous les secrets d’Etat. / 19h30 / 2 min. / le 24 juillet 2022

La pandémie avait été décrite comme risque majeur

Il s'agit donc de se préparer à ce type d'éventualité, sans pour autant tomber dans le catastrophisme. "La population a tendance à vouloir occulter les risques", fait remarquer le Neuchâtelois. "On l'a vu avec la pandémie. Elle était décrite de manière relativement précise comme l'un des risques majeurs. Et après, on a l'impression que beaucoup de gens sont surpris. Mais ça fait partie de la nature des choses".

La guerre en Ukraine, elle aussi, a semblé inattendue. "Mais le risque de conflit armé a toujours fait partie de nos différentes analyses", rappelle André Duvillard. "Aujourd'hui, la notion de défense est de nouveau au premier plan alors qu'elle avait été souvent un peu reléguée".

La guerre n'a jamais disparu mais sa proximité rend la chose un peu différente.

André Duvillard

Le délégué au Réseau national de sécurité se dit frappé de voir qu'aujourd'hui les citoyens s'interrogent pour savoir s'ils ont une place dans un abri protégé. "Peut-être que le même citoyen, il y a cinq ans, doutait de la nécessité de disposer de tels abris", relève-t-il en soulignant qu'on "s'inquiète aussi de savoir si on a des pastilles d'iode".

Il y avait 30 conflits majeurs dans le reste du monde l'année dernière, ajoute encore le Monsieur sécurité de la Confédération. "La notion de guerre n'avait pas disparu, on a connu de grands conflits sur les 30-40 dernières années. La guerre n'a jamais disparu, mais c'est sa proximité aujourd'hui qui rend la chose un peu différente".

Un scénario catastrophe improbable il y a dix ans

Et ce conflit remet en question les fondamentaux de notre sécurité comme la neutralité, la paix ou la place de l’armée. Pourtant, sur une décennie de travail du réseau, on a vu le terrorisme en Europe, le développement des cyber-risques, la pandémie et une guerre en Europe. "Il y a dix ans, ça aurait paru comme un scénario catastrophe improbable", constate André Duvillard. "La leçon qu'on doit tirer de tout ça aujourd'hui, c'est qu'on doit être prêts à ces différents risques et dangers".

Or, ajoute-t-il, on voit aussi l'empressement du politique à donner des moyens supplémentaires à l'armée mais il y a quelques années on préférait réduire ces moyens. Je pense qu'il faut éviter de prendre des décisions à court terme, il faut vraiment garder en perspective les risques et dangers".

Pour l'avenir, celui qui va passer le témoin prochainement à Martin von Muralt estime que la notion d'anticipation est extrêmement importante. "Je pense que c'est quelque chose sur lequel on doit travailler. On sait que le monde politique est plutôt dans le réactif, c'est aux experts de faire ce travail d'anticipation".

>> Lire : Martin von Muralt prend la tête du Réseau national de sécurité

"On doit mieux expliquer ce qu'est la sécurité, y compris aux jeunes.

André Duvillard

Pour André Duvillard, il y a aussi un gros travail à faire avec la population. "On doit développer les notions de résilience", dit-il, "on doit mieux expliquer ce qu'est la sécurité, y compris aux jeunes. On a tendance à zapper ces sujets-là, mais on voit aujourd'hui, avec la palette des risques et dangers, qu'il serait bon de développer cette approche pédagogique sur la sécurité".

"La pandémie a joué le rôle de 'réveil-matin' sur un certain nombre d'aspects", relève encore le Neuchâtelois. "La notion de gestion de crise est extrêmement importante. Il faut augmenter les préparatifs en termes de management de crise".

L'autre aspect est la coordination entre la Confédération et les cantons: "Se préparer à la crise, ça veut aussi dire s'exercer. En 2014, le Réseau national de sécurité relançait les grands exercices, avec deux thèmes: la pandémie et le black-out. Donc en 2014, on était à peu près dans l'actualité".

La sécurité en Suisse est un peu une grande complication.

André Duvillard

Reste que le fédéralisme helvétique complique encore la donne. "La sécurité en Suisse est un peu une grande complication, si vous me permettez cette image horlogère, avec de nombreuses pièces", illustre le délégué. "Il y a eu au cours des 50 dernières années de nombreuses tentatives d'avoir une meilleure coordination (…) Le Réseau national de sécurité a eu le mérite d'aller au-delà de sa phase pilote, de créer véritablement un état d'esprit. Mais si vous voulez avoir une structure un peu plus visible, avec de véritables compétences, c'est toujours extrêmement difficile".

André Duvillard estime donc qu'il faut construire sur l'existant. "Mon successeur aura pour mission de développer ce réseau, de combler peut-être certaines lacunes et de répondre à de nouveaux enjeux, parce que les choses évoluent très rapidement".

Propos recueillis par Frédéric Mamaïs/oang

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