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La kétamine, un nouvel espoir pour les personnes atteintes de dépression

36.9° - La kétamine au secours de la dépression. [RTS]
La kétamine au secours de la dépression / 36.9° / 22 min. / le 4 octobre 2023
Utilisée depuis peu dans le traitement de la dépression, la kétamine apporte une nouvelle voie de traitement différente des anti-dépresseurs conventionnels. Une étude de l’Université de Genève montre que la substance aurait aussi l’avantage d’être peu addictive.

La kétamine est utilisée comme un anesthésiant depuis plus de 50 ans. Mais administrée à une plus faible dose, elle a montré récemment des effets prometteurs chez une catégorie de patientes et patients qui, jusque-là, ne répondaient pas aux anti-dépresseurs conventionnels.

Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) l’utilisent depuis 2020 dans l’unité des troubles de l’humeur où arrivent beaucoup de patients en échec thérapeutique.

Il existe deux formes principales de traitement. La kétamine en perfusion intraveineuse, ou plus récemment sous une forme modifiée: l’eskétamine, un spray nasal, plus facile à utiliser. C’est uniquement cette deuxième forme qui peut être prise en charge par les assurances.

Par rapport aux antidépresseurs classiques où le délai d’action classique est de deux à trois semaines, les approches par kétamine ou eskétamine sont beaucoup plus dynamiques et beaucoup plus rapides.

Dre Hélène Richard Lepouriel, Responsable Unité Humeur & anxiété, HUG

"Dans les premières études avec la kétamine, l’état des patients s’améliorait entre deux et quatre heures seulement après le traitement, donc les délais d’action sont très rapides. Sur l’eskétamine, c’est la même chose qui est décrite. On voit certains patients pour qui, après la séance, les choses vont mieux dans les 24 heures. L’enjeu c’est que cela dure au-delà des 24 premières heures. Mais c’est vrai que par rapport aux antidépresseurs classiques où le délai d’action classique est de deux à trois semaines, les approches par kétamine ou eskétamine sont beaucoup plus dynamiques et beaucoup plus rapides quand les gens y répondent bien", précise dans 36,9° la doctoresse Hélène Richard Lepouriel, responsable Unité Humeur & anxiété aux HUG.

Un autre mode d’action

La kétamine bouscule un modèle dominant depuis plus de 50 ans. Les anti-dépresseurs conventionnels reposent en effet sur l’hypothèse que la dépression est liée à des taux déficients de sérotonine, noradrénaline ou dopamine dans le cerveau. Or, la kétamine cible d’autres neurotransmetteurs encore plus répandus: le système glutamatergique.

"La kétamine travaille sur le système du glutamate. Et ça, c’est nouveau. Déjà, le fait qu'elle fonctionne si rapidement signifie très probablement qu'elle agit selon un mécanisme très proche des causes de la dépression. C'est toujours bon signe lorsqu'un médicament agit très rapidement. La sérotonine est certes importante pour le sommeil et l'humeur, mais c'est une sorte de modulation. Il n’y a pas beaucoup de neurones sérotoninergiques dans le cerveau. Le système principal est celui du glutamate. Il est impliqué dans les mécanismes d'acquisition. C'est intéressant parce que dans la dépression, il faut justement réapprendre, par exemple, à avoir des idées plus positives, il faut changer sa façon de penser. Il semble donc que le fait d’agir sur le système du glutamate soit particulièrement utile pour modifier votre rapport au monde et à vous-même", détaille le professeur Gregor Hasler, psychiatre et chercheur en neurosciences à l'Université de Fribourg.

Absence de désir et de plaisir, ruminations négatives, ralentissement général, incapacité à se projeter, ce tableau clinique de la dépression est amélioré par la tempête que provoque la kétamine dans le cerveau.

Nouvel espoir, mais pas de traitement miracle

L’encadrement de ce nouveau traitement est très soutenu. Au moment de l’administration bien sûr, mais aussi en parallèle dans un travail de psychothérapie qui peut être littéralement "augmenté" par la molécule. La kétamine contribuant à desserrer l’étau de pensées rigides et négatives qui enserre le patient.

On ne veut pas traiter quelqu'un pour la dépression, pour ensuite avoir des gens qui sont accros. On a pu voir qu'il n’y avait aucun animal qui a développé une auto-administration compulsive: ce risque d'addiction est très, très faible.

Prof. Christian Lüscher, neurologue, Université de Genève.

Mais la kétamine reste un traitement beaucoup plus contraignant et onéreux que la simple prise d'antidépresseurs. Et son effet à long terme n’est pas encore connu.

Des études sont en cours dans le monde entier. A l’Université de Genève, le modèle animal a été utilisé pour observer d’éventuels effets addictifs de la substance chez les patients.

"La kétamine est utilisée à but récréatif, alors nous nous sommes posé la question: est-ce qu'il existe des évidences d'addiction dans des modèles animaux? On ne veut pas traiter quelqu'un pour la dépression, pour ensuite avoir des gens qui sont accros. On a pu voir qu'il n’y avait aucun animal qui a développé une auto-administration compulsive: ce risque d'addiction est très, très faible" constate le professeur Christian Lüscher, neurologue à l'Université de Genève.

Si le risque d'addiction est faible, en revanche, passée une première phase d’amélioration, y a-t-il un risque d’accoutumance et les effets sont-ils durables dans le temps? Il faudra plus de recul pour le savoir. "On a un effet qui va plus loin que l’effet immédiat de la substance dans le cerveau, mais malheureusement pour beaucoup de patients cet effet ne persiste pas pendant plus que deux à trois jours", observe Christian Lüscher.

La dépression reste une pathologie complexe. Mais la kétamine apporte une nouvelle voie de traitement, même s’il n’existe pas de clé miraculeuse ou éternelle.

Reportage TV: Raphaëlle Aellig

Adaptation web: Gaëlle Bisson

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