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La testostérone, une hormone entre toute-puissance et folklore

La chronique scientifique (vidéo) - La testostérone
La chronique scientifique (vidéo) - La testostérone / La Matinale / 3 min. / le 10 janvier 2022
Depuis le 1er janvier, le changement de sexe est facilité sur le plan administratif en Suisse. Mais pour les personnes en transition, il reste encore les volets personnel, relationnel voire médical avec, pour certaines, la prise d'hormones dont la testostérone. Une hormone qui traîne une réputation sulfureuse.

Alors que les hormones qu'on connaît par leur nom sont rares, la testostérone, elle, a atteint un statut quasi mythologique. C'est l'élixir de force, de libido, de virilité: l'hormone de Zeus, de Hulk et de Mister T.

Et chez les personnes qui transitionnent vers un corps plus masculin, elle peut effectivement avoir des effets impressionnants sur le volume musculaire, la pilosité, la voix, voire même la quadrature de la mâchoire; elle permet aussi l'arrêt du cycle menstruel. Mais pour pérenniser ces changements, il faut en prendre à vie.

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Agressivité et immunosuppression

Outre ses effets sur le physique, la testostérone est aussi associée à la prise de risque, au manque d'empathie et à l'agressivité en général. On lui attribue beaucoup de torts: la crise des subprimes, le hooliganisme, les relents de Guerre froide, et de n'importe quel conflit tant qu'à faire. Pourquoi pas le coronavirus pendant qu'on y est? Au-delà de la plaisanterie, cette hormone aurait des effets immunosuppresseurs.

Cela fait beaucoup pour C19H28O2, petite molécule de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. Et cela donne l'impression que c'est une fatalité si certains êtres humains se comportent comme un gang de T-Rex dans un magasin de porcelaine.

Hommes... et femmes!

Mais, selon des scientifiques, la réputation de la testostérone est exagérée. La présenter comme l'hormone de la virilité, c'est omettre qu'elle est aussi l'une des hormones les plus présentes chez la femme. Certes, les hommes en produisent en moyenne plus que les femmes, mais ce sont des moyennes: au niveau individuel, certaines femmes ont des taux de testostérone plus élevés que certains hommes, parce que la biologie est souvent moins binaire que les cases dans lesquelles on veut la faire rentrer.

Difficile de surcroît d'établir des fourchettes, en particulier chez les hommes, parce que leur taux de testostérone varie beaucoup au cours de la journée: un pic au réveil, puis une plongée juste après, pour être tout en bas une douzaine d'heures plus tard. Eh oui, Messieurs, vous aussi êtes cycliques.

Structure de la molécule de testostérone. [CC - NEUROtiker/Emeldir]
Structure de la molécule de testostérone. [CC - NEUROtiker/Emeldir]

Au niveau sportif, la testostérone a un effet sur le volume musculaire; en revanche, sur les performances, c'est moins clair. Les nombreuses études montrent un mélange d'associations positives, mais aussi en demi-teinte, voire carrément négatives. Et si la Fédération internationale d'athlétisme s'entête à pourrir la vie de certaines sportives à qui on attribue un taux de testostérone plus élevé que la moyenne, le CIO a annoncé en novembre qu'il renonçait à fixer des critères dans ce domaine, parce qu'il estime qu'on ne peut pas partir du principe que les personnes qui ne rentrent pas dans les cases sont forcément avantagées.

Les liens de cause à effet ne sont en outre pas encore très bien compris. Au-delà du taux naturel, la pratique de certains sports fait apparemment baisser le taux de testostérone, tandis que d'autres le font grimper. Des augmentations temporaires sont aussi observées après une victoire, au judo ou au catch, par exemple, mais aussi aux échecs, voire même quand vous n'avez rien fait mais que votre équipe préférée de basket a gagné, comme si c'était la situation, le comportement qui avait un effet sur la testostérone.

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Les variations du développement sexuel définissent une situation où les organes génitaux d'une personne ne sont pas clairement masculins ou féminins.
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Le rôle crucial des hormones lors dʹun changement de sexe / CQFD / 23 min. / le 3 octobre 2019

Molécule et construction sociale

La testostérone a-t-elle un effet sur le comportement ou est-ce l'effet du comportement qui se répercute sur la testostérone?

Une illustration par ordinateur d'un Tyrannosaurus Rex. [Science Photo Library via AFP - Sebastian Kaulitzki/SKX]
Une illustration par ordinateur d'un Tyrannosaurus Rex. [Science Photo Library via AFP - Sebastian Kaulitzki/SKX]

Des études suggèrent que le simple fait d'adopter une attitude dominante, d'être en position de force – même si c'est via le jeu d'un comédien ou d'une comédienne – peut faire monter le taux de l'hormone. Perspective vertigineuse: des constructions sociales, éducationnelles et culturelles – du type "Moi Tarzan, toi pauvre princesse effarouchée" – pourraient influencer notre biologie.

Et cela n'exclut pas l'inverse: il se peut que la testostérone influence le comportement et que le comportement influence la testostérone dans une sorte de boucle qui s'auto-alimente.

S'il existe une dimension socioculturelle, peut-être peut-on se permettre d'être moins fatalistes. Tout n'est pas coulé dans le bronze, ou plutôt dans nos gènes: il se pourrait que même un Tyrannosaurus rex puisse apprendre à boire du thé dans un service en porcelaine.

Sujet radio: Lucia Sillig

Version web: Stéphanie Jaquet

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