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Sexbots: une pratique sexuelle qui se démocratise

Les robots sexuels séduisent un public majoritairement masculin. De quoi combler sa solitude, repenser ou épicer sa vie sexuelle dans un monde post-Covid marqué par l’isolement social.

Plus de 40% des Suisses se disent prêts à coucher avec un robot sexuel, selon un sondage réalisé en 2023 par Lovehoney Group, une entreprise britannique spécialisée dans les accessoires de plaisirs sexuels. Cette étude a été menée auprès de plus de 22'000 participants dans plusieurs pays, y compris la Suisse, et explique les "tendances sexuelles 2023".

Il ne s'agit pas encore d'une pratique courante, mais au total, on compte déjà 56'000 robots sexuels (ou sexbots) vendus chaque année, soit un marché mondial de plus de 200 millions de dollars. Emergence des chatbots érotiques, explosion des ventes de sextoys - grands gagnants du combo Covid-#metoo - hausse des ventes de robots sexuels… Le business de la sextech est juteux et propose désormais des robots humanoïdes plus vrais que nature.

Ces nouveaux outils technologiques moins tabous s'immiscent de plus en plus dans notre société. Et si leur usage permet de combler sa solitude, d'épicer ou de repenser sa vie sexuelle, il soulève aussi des questions sociales et morales.

Les robots sexuels s'imposent dans la sextech

La sextech intègre tous les outils technologiques qui deviennent des acteurs dans une relation sexuelle avec un être humain. Après les chatbots et les sextoys, les fabricants proposent désormais des partenaires robotiques réalistes.

En 2017, on découvre la toute première "robote" sexuelle: "Harmony", et un peu plus tard sa version masculine "Henry". Des sexbots personnalisables de la tête au pied: 40 couleurs de tétons ou 14 formes de lèvres vaginales, il y en a pour tous les goûts.

Équipés d'une intelligence artificielle, ces robots sexuels peuvent imiter une relation intime, comme les chatbots érotiques. Ils se souviennent de votre plat ou de votre film préféré, et proposent des activités en fonction de vos goûts. Un robot sexuel timide ou jaloux, bavard ou discret… Ses "traits" de caractères peuvent être modifiés à tout moment.

"Ces robots permettent d'explorer une infinité de fantasmes et peuvent aussi servir à surmonter une angoisse ou un dysfonctionnement sexuel", explique Henri Faineteau, professeur en psychologie de la sexualité à l'Université de Genève. Une sorte d'"esclave sexuel robotique à votre entière disposition pour satisfaire vos désirs et sans aucun souci de réciprocité", ajoute Ezekiel Kwetchi Takam, doctorant à la Faculté de théologie.

Dans ses travaux sur l'éthique dans l'intelligence artificielle, ce chercheur s'est intéressé à la question des robots sexuels et estime que la baisse des prix, la sexualité de moins en moins taboue et le cinéma d'anticipation peuvent aider les sexbots à se démocratiser. En Suisse, "cette pratique n'est pas encore courante, mais elle peut le devenir à l'avenir" surtout au sein de la communauté masculine hétérosexuelle.

Conçu par les hommes, pour les hommes

D'après plusieurs sondages menés en Grande-Bretagne notamment, plus de 50% des hommes aimeraient coucher avec un robot sexuel contre 20% chez les femmes. "Rappelons que c'est un marché conçu par les hommes, pour les hommes", commente le doctorant.

Certains consommateurs "peuvent retrouver leur habituelle position dominante réactualisée". De fait, depuis les mouvements #metoo, "il y a eu un rééquilibre des rapports de force entre hommes et femmes, et certains adeptes de la robot-sexualité vont se réfugier dans ces pratiques qui représentent le dernier bastion de leur pouvoir".

Un bastion du patriarcat qui inquiète dans une société qui cherche à repenser les relations entre hommes et femmes. "Ces sexbots sont majoritairement féminins et font perdurer cette idée que la seule fonction de la femme est de satisfaire les désirs masculins. De même, les robots masculins offrent la représentation d'un masculinisme hégémonique, voire toxique de l'homme", conclut le chercheur.

Des questions morales et éthiques

Les psychologues craignent également l'accentuation de l'isolement social dans une société post-Covid où il n'a jamais été aussi difficile de communiquer. Ce n'est d'ailleurs pas surprenant que les poupées et robots sexuels aient du succès en Chine et au Japon, où de nombreuses personnes cherchent un remède à la solitude.

"On est dans un monde où on ne sait plus communiquer en face à face, et où on passe par des interfaces comme les natels ou les ordinateurs", explique le psychologue qui redoute que la démocratisation de ces outils sexuels "accélère cette solitude". Les consommateurs risquent de "se réfugier dans une sorte de doudou sexuel apportant un réconfort passager et illusoire, mais n'apportant pas de réel contact".

Comme tous les outils de la sextech, les robots sexuels ne seraient donc pas une solution à nos problèmes de société, mais juste un moyen de combler sa solitude, repenser ou épicer sa vie sexuelle. Une nouvelle pratique qui pourrait se démocratiser dans notre société qui se digitalise et se robotise toujours un peu plus.

Florise Vaubien

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