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Inès Lamunière: "Les villes ont besoin d'espaces vides, comme à Plainpalais"

#Helvetica: Inès Lamunière, architecte. [RTS]
#Helvetica: Inès Lamunière, architecte / #Helvetica / 20 min. / le 21 octobre 2023
L'architecte suisse Inès Lamunière, qui a notamment réalisé la gare souterraine de Cornavin à Genève et l'Opéra de Lausanne, était l'invitée de l'émission Helvetica de la RTS. La spécialiste des questions de densification urbaine plaide pour la sauvegarde d'espaces vides dans les villes.

La question de la densification urbaine suscite de nombreux débats, entre enjeux environnementaux et qualité de vie. Inès Lamunière, qui s'est penchée sur la question dans son livre "Fo(u)r cities Milan, Paris, Londres, New York", estime que la densification est inévitable. "La démographie a des besoins qui ne sont pas près d'être renversés."

L'architecte insiste cependant sur l'importance de prendre en compte le bâti déjà existant. "Il faut construire avec. C'est ce qui se passe à Genève, et c'est sa grande force, notamment par le PAV (Praille Acacias Vernets, ndlr.). On est dans des quartiers déjà construits auxquels il faut porter attention."

"Il y a peut-être des structures qui paraissent fragiles - je pense par exemple à des théâtres qui se sont installés - mais dont l'activité est tellement importante pour la ville qu'on se met à protéger le bâtiment aussi. Et je trouve ça passionnant. La question de la nature en ville nous préoccupe peut-être d'une manière différente, mais c'est chaque fois une réinvention."

Des espaces "où tout est possible"

La végétalisation des espaces urbains est souvent présentée comme indispensable, notamment pour lutter contre les îlots de chaleur. A cet égard, Plateforme 10 à Lausanne, avec son esplanade très minérale, a été très critiquée. Inès Lamunière estime néanmoins qu'un tel espace est indispensable.

Il faut des endroits qui attendent des activités, des événements que l'on ne connaît pas encore

Inès Lamunière, architecte

"Bien sûr, on aurait pu en faire une forêt et découvrir ces bâtiments au milieu des arbres. Mais je pense aussi qu'il faut des espaces vides dans la ville. Il faut des espaces où tout est possible. On cite toujours la plaine de Plainpalais à Genève, où ce donateur extraordinaire a voulu que cette place reste vide. Et tout le monde est un peu malheureux avec ce vide, parce qu'on se pose des questions."

"Mais en même temps, c'est un vide qui permet d'accueillir des manifestations, le cirque Knie, des foodtrucks. Il faut aussi des endroits comme ça, qui attendent des activités, (...) des événements que l'on ne connaît pas encore."

Des étages de trois mètres

Les enjeux climatiques influencent aussi l'esthétique architectural des bâtiments, avec notamment la multiplication des normes techniques et écologiques. Inès Lamunière invite à éviter de tout miser sur les solutions technologiques.

On essaie de réguler les questions climatiques sans se demander ce qu'est le confort

Inès Lamunière, architecte

"C'est vrai qu'il y a une armada de règlements qui font qu'on va vivre petit à petit dans des thermos. On essaie de réguler les questions climatiques sans se demander ce qu'est le confort. Ces solutions se réfèrent surtout à la technologie, comme mettre des pompes à chaleur, et peut-être moins aux questions de spatialité. Si vous avez des pièces à trois mètres de haut, la ventilation intérieure se fait très différemment que si vous avez deux mètres quarante de plafond."

"Certes, cela coûterait beaucoup plus cher d'avoir des étages de trois mètres. Mais peut-être que cela coûterait en fin de compte beaucoup moins cher que cette espèce de refuge derrière la technologie. Les conditions aujourd'hui font qu'on doit changer. Et cette normative dimensionnelle en fait partie, peut-être même plus que la normative isolation."

S'imprégner de la vie de tous les jours

Gare souterraine de Cornavin, Opéra de Lausanne, tour de la RTS à Genève: Inès Lamunière a façonné une partie du paysage de la Suisse romande. L'architecte y pense non sans émotion. "C'est un rapport particulier de connaître les gens qui s'approprient des espaces qu'on a pensés. Quelque part, on vous a fait des manteaux."

"Quand je travaille un projet, je m'imprègne aussi beaucoup de ce que j'observe. On avait construit une clinique psychiatrique. Vous n'êtes pas bien tous les jours, vous pensez à vos amis qui n'étaient pas bien tous les jours. Quelque part ça vous aide comme architecte. J'aime bien être comme une éponge, en prenant ce qui est autour de moi, être curieuse, écouter les autres. On est presque dans la psychanalyse."

Propos recueillis par Philippe Revaz

Version web: Antoine Schaub

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