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L'humanité a failli disparaître, affirme une étude, mais des scientifiques ont de sérieux doutes

Le "goulet d'étranglement" aurait contribué à l'évolution parallèle des espèces humaines de Néandertal, Denisova et des humains modernes. [Keystone - Matthias Rietschel]
La lignée humaine a-t-elle failli disparaître ? Sérieux doutes sur une étude / Le Journal horaire / 16 sec. / le 15 septembre 2023
Une étude récente affirmant que la lignée humaine a échappé de peu à l'extinction il y a environ 900'000 ans, grâce à seulement 1280 individus, est sérieusement remise en cause par de nombreux scientifiques.

L'étude a éveillé l'intérêt de nombreux médias début septembre. Et pour cause, selon l'article paru fin août dans la revue Science et signé par un groupe de chercheurs chinois et italiens, l'humain serait passé tout proche de l’extinction il y a 900'000 ans à cause d'un phénomène de goulet d'étranglement.

>> Lire aussi : Il y a 900'000 ans, l'humain a risqué de disparaître, selon une étude

Nos ancêtres auraient vu près de 99% de leur population disparaître en raison d'un refroidissement climatique violent.

L'équipe s'est fondée sur un modèle d'analyse génétique pour déterminer que l'existence des ancêtres de l'homme moderne a été menacée pendant au moins 120'000 ans.

"Étude pas convaincante"

Mais de nombreuses critiques ont accueilli avec scepticisme cette publication, à l'instar d'Aylwyn Scally, chercheur en génétique de l'évolution humaine à l'Université de Cambridge. "Il y a eu une réponse quasi unanime dans la communauté des généticiens, disant que cette étude n'est pas convaincante", souligne-t-il.

Aucun ne doute de la possibilité d'un goulot d'étranglement dans l'évolution de la population en question, c'est-à-dire un phénomène de réduction sévère du nombre d'humains, mais c'est la précision du modèle utilisé qui est mise en cause.

Modèle informatique

Comme il est très difficile d'extraire de l'ADN des rares fossiles de la lignée humaine vieux de quelques centaines de milliers d'années, les scientifiques utilisent les mutations observées dans le génome des humains modernes pour en déduire, à l'aide de modèles informatiques, les changements survenus dans le passé.

L'équipe chinoise a utilisé le génome de 3150 humains modernes pour en conclure qu'"environ 98,7% des ancêtres de l'Homme ont disparu" au début du goulot d'étranglement, il y a 930'000 ans, selon Haipeng Li, co-auteur de l'étude, de l'Institut de nutrition et de santé de Shanghaï.

Durant 120'000 ans, la population s'est effondrée, atteignant à peine 1300 individus, selon l'étude. "Nos ancêtres ont frôlé l'extinction et ont dû coopérer pour survivre", ajoute-t-il.

La population a fini par se reconstituer avec une remontée des températures et, peut-être, la "maîtrise du feu", ajoute le chercheur.

Une modélisation de la tête d'un enfant néandertalien de quatre ans, par l'Institut anthropologique de l'Université de Zurich. [AP/Keystone - Philippe Plailly]
Une modélisation de la tête d'un enfant néandertalien de quatre ans, par l'Institut anthropologique de l'Université de Zurich. [AP/Keystone - Philippe Plailly]

Peu de diversité génétique

Le goulot d'étranglement aurait entraîné une forte consanguinité, se traduisant par une plus faible diversité génétique dans l'espèce humaine que chez d'autres espèces proches, comme le chimpanzé.

Il aurait même contribué à l'évolution parallèle des espèces humaines de Néandertal, Denisova et des humains modernes, dont on pense qu'elles se sont potentiellement séparées d'un ancêtre commun à peu près à la même époque, toujours selon l'étude.

"Extrême scepticisme"

De son côté, Stephan Schiffels, de l'Institut allemand d'anthropologie évolutionnaire Max Planck, a fait part de son "extrême scepticisme" sur le fait que les chercheurs aient tenu compte des incertitudes statistiques en la matière.

Il ne sera "jamais possible" selon lui d'utiliser l'analyse génomique des humains modernes pour arriver à un chiffre aussi précis que 1280 individus ayant vécu il y a si longtemps.

Le spécialiste de la génétique des populations a ajouté que les données utilisées étaient connues depuis des années, et que des méthodes d'estimation de populations passées n'ont jamais conclu à une quasi-extinction.

afp/doe

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