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L'intelligence artificielle détournée pour réaliser des fantasmes sexuels

L'intelligence artificielle détournée pour réaliser des fantasmes sexuels. [AFP - Jaap Arriens / NurPhoto]
L'intelligence artificielle détournée pour réaliser des fantasmes sexuels / La Matinale / 5 min. / le 11 juillet 2023
Entre sextoys interactifs et compagnons virtuels, les intelligences artificielles génératives sont désormais utilisées par l'industrie pornographique. Mais quels sont les enjeux éthiques et psychologiques de ces nouvelles technologies?

L'industrie pornographique a toujours été à la pointe des innovations technologiques, explorant constamment de nouvelles façons de stimuler le désir humain. Dernièrement, les intelligences artificielles (IA) génératives, comme ChatGPT, se sont frayées un chemin dans ce domaine et sont utilisées pour créer des scénarios érotiques personnalisés et interactifs, défiant ainsi notre conception de l'intimité et posant des questions éthiques complexes.

L'une des récentes innovations marquantes concerne l'intégration d'une IA générative à un sextoy. Le fonctionnement est simple: l'utilisateur ou l'utilisatrice exprime son fantasme à l'IA, qui à son tour crée un scénario érotique sophistiqué. Le sextoy vibre en réponse aux différents moments intenses du scénario. Il s’agit d’un prototype en anglais et le dispositif est ouvert au public.

Cependant, cette technologie ne se limite pas à l'intégration avec des sextoys. D'autres innovations notables ont vu le jour. Les "sex-bots" sont des compagnons virtuels capables de développer des interactions émotionnelles et sexuelles avec leurs utilisateurs. Vu la qualité des réponses de ces IA, vous pouvez facilement oublier que vous parlez  avec une machine.

IA, sexe et éthique

Il est important de noter que certaines de ces IA, comme ChatGPT ou Bard de Google, ont des barrières de protection strictes empêchant leur utilisation à des fins sexuelles. D'autres IA, comme Llama de Meta, dont le code est open-source, ont vu ces barrières être supprimées par des développeurs indépendants, ouvrant la voie à des discussions autour de fantasmes potentiellement violents ou illégaux.

Les conséquences éthiques de ces développements sont préoccupantes. Pour le philosophe Thierry Hoquet, expert en sexualité et robotique, l'insensibilité d'une IA ne justifie pas une utilisation sans limites. Nos interactions avec l'IA, même si elles sont privées, pourraient entraîner des répercussions dans le monde réel.

Peut-on vraiment créer un monde de désirs entièrement privé, opaque, un univers solitaire où toutes sortes d'expressions, y compris les plus violentes, sont permises?

Thierry Hoquet, philosophe

Et de s'expliquer: "Dans quelle mesure est-il possible de vivre dans plusieurs réalités superposées? Peut-on vraiment créer un monde de désirs entièrement privé, opaque, un univers solitaire où toutes sortes d'expressions, y compris les plus violentes, sont permises? Si c'est le cas, comment pouvons-nous espérer que ces expressions restent confinées à ce monde privé sans transparaître dans notre vie consciente et quotidienne?"

L'érosion de l'imagination

L'industrie pornographique a toujours été une force motrice de l'innovation. Elle a démocratisé la VHS dans les années 70, le streaming vidéo, les achats sur internet et a été parmi les premières à utiliser le téléphone portable à des fins érotiques. Ces innovations en disent long sur notre rapport évolutif au sexe.

La psychanalyste et philosophe Elsa Godart suggère que ces technologies érodent progressivement notre imagination. Selon elle, la violence des images explicitement sexuelles nous impose des visions que nous n'aurions peut-être pas choisies, contrairement à la lecture qui favorise une appropriation subjective. Elle souligne également une tendance à privilégier l'auto-gratification immédiate aux dépens de l'engagement envers l'autre.

Cela révèle un rapport un peu indifférent au sexe

Elsa Godart, psychanalyste et philosophe

La spécialiste mentionne aussi un exemple édifiant: "Un de mes patients, qui était en couple et aimait profondément sa femme, m'a confié qu'il préférait regarder du porno seul, pratiquant ainsi l'onanisme, plutôt que d'avoir des rapports sexuels avec sa conjointe. La raison? C'était moins fatigant."

"Lorsque l'on entend ce type de confessions, cela incite à la réflexion, poursuit Elsa Godart. Il semblerait qu'il y ait une quête de satisfaction immédiate, un refus d'engagement, une sorte de facilité à ne pas avoir à se confronter à l'autre. Cela révèle un rapport un peu indifférent au sexe, comme si la question était plutôt 'oui ou non, bof'."

Bénéfique ou préjudiciable?

Les technologies facilitent l'accès à une expérience sexuelle à la demande, mais elles pourraient aussi diminuer notre capacité à imaginer, à désirer et à faire preuve de passion.

Les progrès technologiques ont toujours été indissociables de notre exploration du sexe et de l'intimité. Cependant, alors que nous naviguons dans cette nouvelle ère d'IA génératives et de sextoys interactifs, nous devons aussi nous interroger sur les conséquences éthiques et psychologiques de ces innovations. Ces nouvelles technologies influencent-elles notre vie de manière bénéfique ou préjudiciable?

Pascal Wassmer

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