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Que faire des collections de restes humains héritées de l'ère coloniale?

Un squelette humain à St-Maurice. [keystone - Laurent Gillieron]
Pour un traitement éthique des restes humains anciens / Tout un monde / 7 min. / le 21 septembre 2022
De nombreuses institutions, dont des universités, possèdent dans leur collection des restes humains. Il s’agit le plus souvent d’un héritage de l’ère coloniale qui pose aujourd’hui de nombreuses questions. A l’Université de Genève, un colloque vient justement d'aborder ces questions de justice et d’éthique dans le traitement des restes humains.

Pendant des millénaires, ils ont été perçus comme des trophées sans aucune considération pour les personnes et les communautés concernées. Aujourd’hui, cet héritage pose de nombreuses questions sur leur conservation, leur utilisation et leur restitution aux communautés d’origine.

Encore récemment, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des crânes et des ossements ont été pris comme trophées, symboles de pouvoir du conquérant.

Curiosité scientifique

Interrogé cette semaine dans Tout un monde, Michael Kirby, ancien juge de la Cour suprême australienne, évoque un cadeau très particulier fait au président américain Roosevelt: un coupe-papier sculpté dans l’os du bras d’un soldat japonais. Averti de sa provenance, l'homme d'Etat a refusé l'objet et demandé qu’il soit enterré décemment.

Du 16 au 19e siècle, avec les explorateurs et les colonies, l’aspect de domination et de conquête reste important. Mais il y a aussi une curiosité plus scientifique qui apparaît.

On observe par ailleurs une évolution dans la manière dont on présente ces restes humains dans les musées. La dignité et le respect deviennent des facteurs déterminants. Le British Museum a un code très précis dans sa section égyptienne. Une justification étayée et des explications contextuelles accompagnent par exemple la présentation de squelette momifié.

Evolution dans la muséographie

Marc-André Renold, professeur à l’Université de Genève, responsable de l’enseignement du droit de l’art et des biens culturels, relève une évolution dans la muséographie. "Contrairement à avant, on ne peut plus désormais exposer des objets avec des restes humains sauf si on a eu l’accord de la communauté concernée", explique-t-il au micro de la RTS.

Au 18e et 19e siècle, la science est aussi utilisée comme prétexte pour exploiter des restes humains, par exemple dans une volonté de démontrer la supériorité de la race blanche. Mais il arrive également que certains restes humains représentent un réel intérêt scientifique.

La question de la restitution

Autre problématique abordée lors de ce colloque: la restitution de ces restes humains dans leur communauté d’origine. Parmi les cas évoqués: la tête de Badu Bonso II, le roi d’Ahanta au Ghana. Il a été assassiné par les Hollandais en 1838 et sa tête a été restituée en 2009.

Un processus pas vraiment satisfaisant selon Abena Yalley, de l’Université de Coblence, spécialiste des questions de post-colonialisme et de restitution. "La restitution, du point de vue du profane, peut être considérée comme le retour d'un objet à son propriétaire. Mais pour les indigènes, il n'est pas objectivé. Il est lié à la spiritualité, à la métaphysique ; c’est la restauration de ce dont nous avons été privés pendant tant d'années."

Populations locales pas toujours consultées

Par ailleurs, pour Nana Kusekuesi, le premier chef de la communauté Ahanta, cette restitution s’est faite sans véritable consultation avec les populations locales. "On savait qu’ils allaient ramener la tête; mais les discussions auraient dû commencer au niveau local pour que les communautés puissent décider des modalités de la restitution", a-t-il souligné mercredi au micro de la RTS.

La restitution de restes humains représente ainsi un processus délicat et souvent compliqué pour les anciens Etats coloniaux et para coloniaux, dont la Suisse fait partie.

Patrick Chaboudez/hkr

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